Monsieur le ministre, comme vous l’avez rappelé, la durabilité du projet de loi de finances pour 2009 est relative, car, ne l’oublions pas, dès le mois de janvier prochain, un projet de loi de finances rectificative sera débattu au Parlement, qui comprendra nombre de mesures relatives au plan de relance de l’activité économique annoncé à grand renfort de couverture médiatique, à Douai, par le Président de la République lui-même !
Nous examinons donc un texte à durée déterminée, singulièrement pour ce qui concerne le contenu des dispositions fiscales, mais aussi et surtout pour ce qui a trait aux engagements directs de l’État sur le strict plan des dépenses budgétaires comme sur celui de la dépense fiscale.
Nous discutons de ce texte alors même que nous commencerons demain l’examen d’un collectif budgétaire pour le moins étrange, certains crédits étant toujours aussi manifestement sous-évalués, comme ils l’ont été dans la loi de finances pour 2008. Nous allons débattre d’un collectif qui supprime, dans certains chapitres, des sommes que nous retrouvons pour partie dans le projet de loi de finances initiale pour 2009 et que nous retrouverons plus sûrement encore dans le collectif de janvier. Quel sera l’intitulé de ce texte ? Le nommera-t-on : « projet de loi de finances rectificative pour la relance de l’économie et la croissance » ? Comme nous avons discuté, en octobre dernier, d’un projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, qui masquait, sous ce titre ronflant, une série de cadeaux accordés, sans contrepartie, aux établissements bancaires, pourtant coupables d’avoir provoqué le désordre des marchés et qui ont été victimes de leur obsession à rechercher les placements les plus juteux, parce que les plus spéculatifs ?
Nous allons donc voter un projet de loi de finances à durée déterminée, d’un mois environ entre ce soir et l’examen du texte suivant, et de quelques semaines entre sa promulgation effective et sa rectification.
Mais le caractère dérisoire de cette situation, provoquée sans doute par l’ampleur de la crise économique et sociale dans laquelle le pays semble devoir s’enfoncer, n’empêche pas que, au milieu du marasme et de la noirceur des temps, vous offriez encore de nombreux cadeaux à quelques-uns, tandis que vous demandez des sacrifices aussi nombreux à d’autres !
Lors de la fin de la discussion de ce projet de loi de finances, nos débats ont été éclairés d’un jour nouveau quand M. le rapporteur général a souhaité permettre à une infime minorité d’épargnants - nous ne connaissons d’ailleurs toujours pas leur nombre ni l’ampleur des sommes en jeu - d’imputer sur leur revenu global les pertes subies dans le rendement de leurs placements boursiers.
Qu’il est beau le risque financier quand la collectivité le prend à sa charge ! Qu’il est intéressant ce libéralisme économique qui appelle à son secours la collectivité quand il est confronté à son échec, en tout cas quand il n’atteint pas l’objectif de rentabilité qu’il s’assigne !
Eh bien non, ce n’était pas possible ! On ne pouvait demander à ceux qui n’ont que leur travail pour vivre de payer pour que ceux qui ont perdu au grand casino de la Bourse « se refassent » !
Mais ce serait presque oublier que quelques bonnes âmes, issues des rangs centristes, et souhaitant marquer leur différence avec le groupe majoritaire, ont demandé ici même que soient imposées, sans pitié, les indemnités journalières des salariés en cas d’accident du travail ! Il est vrai que l’on pourchasse les niches fiscales que l’on peut ! Et celle-là était sans doute intolérable pour ceux de nos collègues qui estiment que les salariés accidentés du travail font exprès de se blesser !
Dans sa grande sagesse, et par crainte de voir cette mesure d’iniquité fiscale pointée du doigt et susciter un mouvement social, la commission mixte paritaire a supprimé l’article concerné.
Seulement, lors de l’examen de la deuxième partie, les mêmes parlementaires centristes se sont fait les avocats de la famille modèle en décidant de revenir sur le quotient familial des personnes célibataires, veuves ou divorcées ayant élevé des enfants.
Là encore, on pourchasse les niches fiscales que l’on peut et l’on vise expressément, dans le cas qui nous préoccupe, ces très nombreux foyers fiscaux qui ne sont pas composés, comme cela semble encore la règle pour beaucoup, d’un mari, d’une femme et d’enfants. Il s’agit d’ailleurs là d’un débat relativement ancien, puisque le Conseil constitutionnel a déclaré, à plusieurs reprises, contraire au principe d’égalité devant l’impôt la remise en question de cette fameuse demi-part supplémentaire.
N’oublions jamais un aspect de fond : la demi-part supplémentaire des contribuables célibataires, veufs ou divorcés ayant élevé des enfants désormais majeurs n’a pas la même valeur que le quotient familial concernant les familles « ordinaires ». La demi-part de quotient familial représente un avantage de 2 227 euros pour les familles ordinaires et de 855 euros seulement pour celles dont il est ici question.
L’égalité devant l’impôt n’est donc aucunement menacée, comme d’aucuns le prétendent, à tort. C’est justement de l’inverse qu’il s’agit ! D’ailleurs, qui est frappé par cette mesure ? Sur les 36 millions de foyers fiscaux que compte notre pays, près de 7 millions d’entre eux ont un quotient familial compris entre 1,25 part et 1,75 part. Par ailleurs, plus de 1,6 million de foyers fiscaux comptent certes deux parts, mais un seul parent.
En clair, une part très importante des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu sont directement concernés par la remise en cause du quotient familial des familles monoparentales. Que n’a-t-on d’ailleurs entendu sur cette question ? Pour un peu, d’aucuns choisiraient d’avoir des enfants sans être mariés, tandis que d’autres divorceraient pour optimiser leur déclaration d’impôt ou, que sais-je encore, pour bénéficier de la demi-part supplémentaire !
Toutefois, mes chers collègues, avez-vous oublié qu’il s’agit la plupart du temps de familles de condition modeste et surtout, j’y insiste, les familles monoparentales sont d’abord des familles au sein desquelles seule la mère assume l’éducation des enfants. En effet, les victimes de cette mesure inique sont d’abord et avant tout des femmes salariées, élevant ou ayant élevé seules leurs enfants,...
M. Eric Woerth, ministre. Cela ne change rien pour celles qui ont élevé seules leurs enfants !
M. Thierry Foucaud. ...contre vents et marées parfois, contre les idées reçues et une certaine morale !
M. Eric Woerth, ministre. Relisez la mesure ! Il faut dire la vérité !
M. Thierry Foucaud. Je dis ce que je pense, monsieur le ministre !
M. Eric Woerth, ministre. Mais c’est faux !
M. Thierry Foucaud. Vous me répondrez si vous le souhaitez !
M. Eric Woerth, ministre. Sur un sujet comme celui-là, il est important de dire la vérité !
M. Thierry Foucaud. Depuis hier, j’entends un peu partout les gens gronder contre la mesure que vous avez prise !
Quand des femmes font le choix, toujours douloureux, mais souvent nécessaire, de divorcer ou de se séparer, c’est elles qui, le plus souvent, doivent assumer par la suite l’éducation des enfants !
Quand des femmes maltraitées par leur mari, comme cela arrive trop souvent dans toutes les couches de la société, décident de retrouver leur liberté et leur dignité en se séparant de la personne maltraitante, permettant ainsi à leurs enfants d’échapper à cette situation, doit-on, par la suite, leur faire payer le prix de ce choix ?
C’est pourtant ce que l’on parvient à faire avec cet article honteux, qui a été validé par la commission mixte paritaire et qui ne grandit ni l’Assemblée nationale ni le Sénat !
En définitive, que cherche t-on ?
Nous connaissons certaines motivations parfois « familialistes » : à en écouter certains, hors le mariage, point de salut ! Mais il y a surtout ces motivations cachées, inavouables, qui tiennent non pas de la morale, mais bien d’autre chose. Dans un contexte de crise économique et de déficit budgétaire grandissant, il faut trouver de quoi faire quelques économies, d’autant que l’on ne peut payer les cadeaux que l’on continue à distribuer à ceux qui ont déjà tout - et plus qu’il n’en faut ! - sans demander aux autres, les plus nombreux, de se serrer toujours un peu plus la ceinture !
Alors, on se jette sur la dépense fiscale liée au quotient familial des contribuables célibataires, veufs ou divorcés, et on décide de réduire cette dépense de 1,7 milliard d’euros au plus tôt, car c’est bien de cela qu’il s’agit ! Or, ne l’oublions pas, cette dépense fiscale représente 30 euros par mois en moyenne, ce qui donne une certaine idée de l’iniquité de votre dispositif !
Et, comme la double peine existe, les mêmes qui deviendront imposables, car ils ne bénéficieront plus de la demi-part supplémentaire, verront, le moment venu, le montant de leur taxe d’habitation relevé, puisque leur revenu fiscal de référence aura augmenté !
Mme Nicole Bricq. Tout à fait !
M. Thierry Foucaud. Leur revenu fiscal, bien sûr, mais pas le moins du monde leurs revenus ! De cela, il n’en est pas question ! En revanche, on les autorise à travailler plus, si leur âge le leur permet, s’ils en ont le temps ou la force !
Après ce coup porté à 4 millions de nos compatriotes au moins - nous espérons que cette mesure fera l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel -, le débat relatif aux conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2009 semble quelque peu biaisé.
Que peut-on encore dire de ce texte ?
Que l’on est venu au secours des promoteurs immobiliers en difficulté, qui ont un stock de logements invendus ? Oui, c’est vrai !
Que l’on a fait encore bénéficier les redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune d’allégements de leur cotisation solidaire ? Oui, c’est encore vrai !
Que l’on a permis aux ménages les plus aisés de pouvoir déduire encore plus, sur leur feuille d’impôt, les salaires versés aux gens de maison ? Oui, c’est toujours vrai ! Et toutes ces mesures réduisent à néant le débat « publicitaire » mené sur la maîtrise de la dépense fiscale et son plafonnement ! À cet égard, je partage les propos de ma collègue Nicole Bricq.
Que l’on a rendu possible, par la loi, la transmission des patrimoines les plus importants en parfaite optimisation fiscale ? Oui, ce fut l’une des priorités !
Mais posons-nous la question suivante : pour qui et pour quoi fait-on une loi de finances dans ce pays, notamment eu égard au contexte de la crise économique actuelle ? Pour l’intérêt général, pour l’emploi et la croissance, pour le pouvoir d’achat du plus grand nombre de nos concitoyens ? Ou pour faire de nos discussions budgétaires le réceptacle des demandes des groupes de pression les plus divers et les plus influents, en tout cas dans les couloirs et les lieux de pouvoir de notre pays ?
Pour le reste, le prix du déficit est partagé entre les collectivités locales, sommées de réduire leurs dépenses, faute de disposer des concours financiers de l’État, et les plus modestes, condamnés à la double peine : celle qui consiste à multiplier le taux d’imposition de leur consommation, à les pénaliser pour l’usage de leur automobile ; celle qui consiste, comme nous l’avons vu, à faire payer plus à ceux qui ont peu, ceux qui ont travaillé pour élever leurs enfants au lieu de placer leur épargne en bourse, au gré du vent et des indices ! Celle qui consiste aussi, au travers du gel de la dépense publique, à ne pas leur apporter les services publics qu’ils sont en droit d’attendre de leur contribution à la charge commune.
Ce budget, c’est notamment plus de TVA et plus d’impôts régressifs pour les plus modestes, moins de logement social, une éducation de moindre qualité pour les enfants et les jeunes, moins de dépenses de santé pour les malades, une qualité moindre des transports collectifs, moins de soutien à la vie associative, moins de services publics !
M. Michel Bécot. Ce n’est pas vrai !
M. Thierry Foucaud. Nous confirmerons donc notre rejet de ce projet de loi de finances tel qu’il a été modifié par la commission mixte paritaire.