Loi de finances pour 2007 : recherche et enseignement supérieur

Publié le 1er décembre 2006 à 16:23 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément aux orientations définies par le pacte pour la recherche, le budget de la MIRES pour 2007 traduit la volonté du Gouvernement de transformer radicalement le paysage de la recherche et de l’enseignement supérieur de notre pays.

M. François Goulard, ministre délégué. Eh oui !

M. Ivan Renar. Rassurez-vous, monsieur le ministre, je vais rapidement changer de registre !

Ce budget bouleverse les équilibres entre, d’un côté, universités et organismes publics, et, de l’autre, entreprises, structures et agences nouvellement créées. Il renforce le pilotage de la recherche en mettant en oeuvre une conception utilitariste lourde de menaces pour l’avenir de notre pays.

Une fois encore, les acteurs historiques de la recherche voient leurs moyens considérablement diminuer alors que l’effort financier est redéployé massivement vers un secteur privé qui, sauf exceptions notables, demeure jusqu’à présent peu enclin à s’investir dans les activités de recherche- développement.

M. François Goulard, ministre délégué. C’est faux !

M. Ivan Renar. Il faut, en outre, déplorer que certains engagements antérieurs du Gouvernement n’aient pas été tenus. Je citerai l’exemple de la revalorisation des allocations de recherche et celui du nombre de postes créés, très en deçà du chiffre annoncé il y a quelques mois. J’y reviendrai.

Alors que la France a grand besoin d’un enseignement supérieur et d’une recherche forts pour se maintenir dans le peloton de tête des pays développés, le budget pour 2007 se caractérise par une augmentation particulièrement modeste, de l’ordre de 2,58 % à structure constante et en euros courants.

M. François Goulard, ministre délégué. Il faut y ajouter l’ALS !

M. Ivan Renar. Ce budget ne permet pas de rattraper le retard dû aux coupes claires opérées les années précédentes, que seule la mobilisation de la communauté scientifiques, soutenue par l’opinion publique, a permis d’enrayer.

Au terme de cette législature, la recherche et l’enseignement supérieur figurent parmi les premières victimes de la politique de compression budgétaire mise en oeuvre depuis 2002.

En 2007, les crédits affectés aux établissements d’enseignement supérieur et aux organismes de recherche serviront essentiellement à couvrir les mesures liées à l’emploi et à la masse salariale. Les principaux acteurs de la recherche publique ne connaîtront quasiment aucune augmentation de leur dotation propre.

Comme nous l’avions déjà proposé lors du débat consacré à la loi de programme, il est plus que jamais indispensable de revoir l’équilibre entre le financement propre des organismes et celui qui est versé par les agences, d’autant que la gestion de la pénurie engendre des situations particulièrement préoccupantes pour l’avenir de notre recherche.

En témoigne l’actualité récente du CNRS, où les restrictions budgétaires ont amené la nouvelle présidente à opérer des choix qui mettent en danger des pans entiers de la recherche fondamentale. Ainsi le département des sciences de la vie, qui emploie le quart des effectifs du CNRS, devrait-il enregistrer une baisse de sa dotation. Cette mesure, difficilement acceptable sur le fond, serait, selon la direction, nécessaire pour financer les recherches dans de nouveaux secteurs tels que l’environnement et le développement durable.

Pourvu d’un budget pour 2007 bien trop insuffisant afin de faire face à la hausse des salaires, à l’augmentation des cotisations sociales ainsi qu’à l’inflation des dépenses courantes, le CNRS, comme la plupart des opérateurs publics de recherche, risque à court terme l’asphyxie.

Concernant les mesures fiscales destinées à soutenir la recherche-développement et l’innovation privée, le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie observe « une diminution préoccupante de la part des entreprises dans l’effort national de recherche », précisant que « de très importants efforts fiscaux ont été mis en place depuis et accentués en 2007, dont on ne mesure pas encore les effets. »

En attendant, cette année encore, le Parlement est appelé à reconduire le crédit d’impôt recherche, le CIR, qui atteindra, en 2007, 900 millions d’euros, sans connaître précisément l’efficacité de cette mesure. Une récente étude, d’ailleurs favorable à l’initiative, montre néanmoins que l’impact du CIR est réel pour les entreprises effectuant déjà de la recherche.

En revanche, les entreprises peu ou pas impliquées dans la recherche-développement « sont très peu influencées par le CIR ». De même, l’effet de cette mesure fiscale sur les activités de recherche des grandes entreprises est très « difficile à cerner ».

Monsieur le ministre, n’eut-il pas été plus pertinent de prendre le temps d’évaluer plus finement les effets de ces mesures fiscales avant de les reconduire en 2007 et, qui plus est, d’augmenter l’enveloppe qui leur est consacrée ?

Alors que la recherche et l’enseignement supérieur sont des secteurs stratégiques dont dépend l’avenir de notre pays, ne faut-il pas considérer que la nation devrait en priorité remédier à la sous-dotation des universités et des laboratoires publics, dont les besoins sont immenses ? Selon la conférence des présidents d’université, la CPU, 3 milliards d’euros supplémentaires manqueraient aux établissements d’enseignement supérieur pour assurer décemment leurs missions et atteindre le niveau des grandes universités des autres pays développés et, désormais, de certains pays émergents.

Un plan de rattrapage pour l’enseignement supérieur est d’autant plus indispensable que la réponse aux défis contemporains exige un formidable développement de la connaissance et des savoirs.

Cela étant, un grand patron du Nord, dont l’entreprise a massivement investi dans la recherche, déclarait récemment, lors d’un colloque à Lille, que les chercheurs ne disposaient pas « de moyens à la hauteur de leurs talents ». Lors de ce même colloque, un responsable de laboratoire a rappelé que la France connaissait une véritable crise des vocations pour la recherche, et a indiqué que la plupart des doctorants en activité au sein de sa structure étaient étrangers et, en majorité, chinois.

Les derniers chiffres connus confirment ces propos : la France ne forme que 6 000 docteurs français et 3 000 docteurs étrangers, tandis que 14 000 thèses sont soutenues en Grande-Bretagne ou 24 000 en Allemagne. Pour atteindre les objectifs de Lisbonne et Barcelone, il faudrait pourtant que la France double le nombre de ses titulaires du doctorat. Or le nombre d’étudiants inscrits en master « recherche » semble diminuer significativement, ces dernières années. À ce sujet, monsieur le ministre, pourriez-vous nous confirmer l’existence d’un tel phénomène et nous communiquer les chiffres d’inscription en master « recherche » par discipline pour les cinq dernières années ?

M. François Goulard, ministre délégué. Je ne les ai pas !

M. Ivan Renar. Ce n’était pas un piège, monsieur le ministre ! (Sourires.)

Pour combattre la désaffection des carrières scientifiques, phénomène aggravé par l’exil de nombreux doctorants et post-doctorants, la majorité des acteurs du système national de recherche affirme qu’il est urgent de rendre les rémunérations des chercheurs plus attractives, de mettre à leur disposition l’équipement nécessaire pour développer leurs travaux, ou encore de créer les conditions permettant aux organismes de disposer d’une plus grande réactivité, notamment en matière d’ouverture de postes.

De même, il apparaît de plus en plus indispensable d’établir un plan pluriannuel de l’emploi scientifique, afin de donner des perspectives aux jeunes scientifiques et, plus largement, d’offrir une vision stratégique de l’avenir de la recherche française. Le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie rappelle cette année encore qu’ « il a en de nombreuses circonstances recommandé qu’une véritable politique de l’emploi et de recrutement pour l’ensemble de la recherche publique française soit mise en place, prenant en compte non seulement le volume global mais aussi la dynamique des disciplines et leurs évolutions ». Ces recommandations resteront, cette année encore, lettre morte.

Plus grave encore, en dépit des engagements pris, le Gouvernement n’affichera, en 2007, que 2 000 créations d’emplois pour la recherche et l’enseignement supérieur sur les 3 000 postes promis. Il faut, en outre, noter que seuls 1 550 postes statutaires seront créés, du moins en théorie, puisque les EPST ne disposeront pas des moyens budgétaires nécessaires pour financer la création des nouveaux emplois.

Dans le registre des promesses non tenues, je rappellerai également qu’il avait été annoncé que le montant de l’allocation de recherche serait porté à 1,5 fois le SMIC dès le 1er janvier prochain. Cette revalorisation, très attendue par les jeunes chercheurs, ne concernera finalement que les seuls doctorants en troisième année et ne prendra effet qu’à la rentrée 2007. La grande majorité des jeunes chercheurs demeurera donc en situation précaire.

Dès lors, s’étonnera-t-on encore du nombre élevé d’abandons en cours de thèse ou plus tôt, de la profonde désaffection pour des études longues et exigeantes, dont les débouchés sont à l’heure actuelle plus qu’incertains ? Ces phénomènes ne peuvent être enrayés que par la mise en oeuvre d’une politique volontariste assurant un financement décent aux jeunes poursuivant un cursus doctoral offrant des perspectives d’emploi durable, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé.

Il serait, en effet, grand temps que les entreprises reconnaissent les compétences spécifiques des docteurs. Ceux-ci connaissent les savoirs formels acquis à la frontière de leur spécialité scientifique, qui se révèlent très utiles pour assumer des fonctions d’expertise pointue, et sont également des vecteurs de savoir-faire originaux, qui les distinguent des ingénieurs ou des gestionnaires, auxquels on les compare pourtant trop souvent, à leur désavantage.

Acquises dans leur premier parcours professionnel et au cours de leur thèse, ces compétences constituent des aptitudes peu banales : capacité d’identifier des problèmes et d’expérimenter des méthodes nouvelles, savoir expérimental en matière de validation et d’évaluation d’idées nouvelles, expérience des projets collectifs, appartenance à des réseaux nationaux ou internationaux au contact immédiat des meilleurs experts.

Toutefois, rares sont les entreprises qui ont pris conscience de l’atout que représentent les docteurs. Face aux nombreux défis que la France doit relever pour s’engager pleinement dans l’économie de la connaissance, il paraît urgent d’inciter les employeurs privés à embaucher les jeunes chercheurs issus de l’enseignement universitaire.

La question de l’emploi scientifique demeure fondamentale pour rétablir un cercle vertueux ; la promesse d’emplois stables, justement rémunérés, devrait contribuer à attirer notre jeunesse vers les filières scientifiques et la recherche. Encore faudrait-il que les entreprises acceptent de s’ouvrir à une culture de la recherche, certes risquée mais aussi porteuse d’avenir. De ce point de vue, il est intéressant de constater que des groupes comme L’Oréal, Bouygues ou Roquette se sont inscrits dans une telle démarche, estimant à juste titre qu’une entreprise n’investissant pas dans la matière grise est à court terme menacée.

Favoriser l’émergence d’un important corpus de docteurs impose de s’engager résolument dans la lutte contre l’échec dans l’enseignement supérieur. Pour cela, il est nécessaire de renforcer significativement l’encadrement et l’orientation des étudiants - je dis bien orientation et non sélection !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !

M. Ivan Renar. Autant dire qu’il faut déployer un effort sans précédent pour renverser la tendance actuelle, qui voit les universités françaises se distinguer par l’indigence de leurs moyens. Doit-on rappeler que la France est l’un des pays de l’OCDE qui investit le moins dans l’enseignement supérieur ?

M. Dominique Braye. C’est vrai !

M. Ivan Renar. À cet égard, j’évoquerai la situation des instituts universitaires de technologie, les IUT, qui, faute de moyens humains et financiers suffisants, risquent de ne plus être en mesure de mener à bien leurs missions. Globalement, ce sont plus de 6 millions d’euros qui feront défaut à ces instituts qui assurent pourtant la liaison entre l’université et le monde économique.

Encourager la recherche, d’abord fondamentale puis appliquée, renforcer l’enseignement supérieur, susciter l’intérêt de la jeunesse en promouvant un développement impétueux de la diffusion de la culture scientifique et technique aux quatre coins du pays, telles devaient être les priorités de ce projet de loi de finances. Je regrette que ce ne soit pas le cas. Force est de constater que le budget de la MIRES pour 2007 n’est pas à la hauteur des défis que la France doit relever. Nous ne pourrons donc le voter.

Sur les mêmes sujets :

Education et recherche
Budget et fiscalité