Loi de finances pour 2007 : question préalable

Publié le 23 novembre 2006 à 09:36 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’INSEE a confirmé mardi la panne de la croissance française au troisième trimestre, malgré une consommation des ménages encore vigoureuse, alors que le Gouvernement pronostique un « très bon quatrième trimestre » et table toujours sur 2 % à 2,5 % pour l’ensemble de l’année. La croissance est pourtant restée « clouée au sol » - 0,0 % - au troisième trimestre, selon la deuxième estimation de l’INSEE qui vient confirmer le chiffre publié le 10 novembre. Après une progression du PIB de 1,2 % au trimestre précédent, c’est une douche froide !

La consommation, principal moteur de la croissance française, n’a pas suffi cette fois à la sortir de l’ornière, malgré une hausse de 0,6 % des dépenses des ménages. Les mauvaises nouvelles sont venues du déstockage réalisé par les entreprises e,t surtout, du commerce extérieur : pour la première fois depuis le premier trimestre 2005, les exportations françaises ont en effet baissé, ce qui constitue, pour M. Alexander Law, du cabinet d’études sectorielles Xerfi, « la plus désagréable nouvelle » parmi les différentes causes avancées pour expliquer ce trou d’air de la croissance française.

De son côté, M. Nicolas Bouzou, du cabinet Asteres, estime que « c’est vraiment le déficit désormais structurel de compétitivité de l’économie française qui ressort des chiffres » publiés mardi. Il rappelle que « toutes les branches manufacturières ont vu leur activité reculer » au troisième trimestre et que « la palme du décrochage revient à l’automobile ». Il juge « difficile, dans ce contexte, d’investir », ce que confirment d’ailleurs les chiffres, la croissance des investissements des entreprises non financières ayant en effet connu une forte décélération - 0,8 % seulement ce trimestre, contre 2,2 % au trimestre précédent. Cela constitue, pour M. Bouzou, le signe d’un « comportement défensif ».

Pour sa part, M. Marc Touati, économiste chez NatIxis, loin d’opposer la bonne performance du deuxième trimestre et la mauvaise qui a suivi, relève que, hors stocks, « la croissance française a été identique au deuxième et au troisième trimestre, en l’occurrence 0,3% ». C’est dire, selon lui, « combien la France est loin de la vigueur économique ».

Dans une analyse publiée mardi par le quotidien La Tribune, M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études chez Ixis-CIB, rappelle que la consommation est liée à « la progression très rapide des crédits aux ménages » et que « la croissance française n’aurait été que de 1 % en 2006 si le taux d’endettement des ménages était resté stable ».

Quant à M. Nicolas Bouzou, il avertit : « le modèle actuel de croissance français, basé sur une perte de compétitivité rampante et une consommation dynamique, n’est pas tenable à terme ».

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il a raison !

M. Bernard Vera. Cette situation ainsi décrite par une récente dépêche d’agence de presse suffit amplement à démontrer que le projet de loi de finances est, pour une bonne part, fondé sur des données parfaitement virtuelles.

Comme nous l’avons souligné lors de la discussion générale, la situation économique et sociale de notre pays n’est pas satisfaisante et porte en germe de nouvelles difficultés dont les victimes, en dernière instance, sont d’ores et déjà identifiées : ce sont tous ceux qui, depuis de longues années, subissent de plein fouet le développement de la précarité de l’emploi, la réduction du pouvoir d’achat en termes réels, l’aggravation des inégalités sociales et des discriminations en tout genre, ainsi que le déclin de la dépense publique.

Les victimes des choix opérés par le projet de loi de finances, je les rencontre tous les jours dans mon département : ce sont les salariés soumis aux plans sociaux dans leurs entreprises ; les jeunes exclus du monde du travail ; les travailleurs immigrés, dont les droits ne sont pas reconnus ; les familles modestes, qui sont pénalisées par les impôts et la hausse des prix ; enfin, les « mal logés », qui attendent depuis de trop longues années que le droit au logement devienne réalité.

Quel décalage entre ces urgences sociales et économiques et le contenu du projet de loi de finances que vous nous présentez, monsieur le ministre !

En guise de réponse au problème du pouvoir d’achat, vous ne proposez que l’augmentation de la prime pour l’emploi, qui représente un versement moyen de 40 euros par mois, et le développement de la participation ! Il existe pourtant un moyen très simple d’assurer la progression du pouvoir d’achat : relever le SMIC de manière significative et procéder au dégel du traitement indiciaire des fonctionnaires, à qui vous accordez généreusement, ce mois-ci, quatre euros de majoration ! Nous pourrions présenter d’autres orientations pour ce projet de loi de finances.

Permettez-moi d’ailleurs, mes chers collègues, de citer un avis autorisé sur le contexte économique dans lequel nous nous trouvons, extrait du site personnel de M. le président de la commission des finances : « Pour la quatrième année consécutive, la croissance mondiale va dépasser 4 %. Alors que les entreprises du CAC 40 affichent des résultats sans précédent - 80 milliards d’euros -, la croissance française stagne autour de 2 % et le chômage ne régresse que grâce aux emplois publics du « plan Borloo ». En fait, les sociétés du CAC 40 opèrent au plan mondial, investissent, créent des emplois et réalisent leurs bénéfices hors de France. En poussant le trait à l’extrême, elles sont sorties de l’économie nationale. Certaines disposent d’une trésorerie si pléthorique qu’elles sont tentées de racheter leurs propres actions. La finance ne finance plus l’économie nationale, elle finance la finance ! ».

Oui, les profits des entreprises du CAC 40 n’ont jamais été aussi élevés ! Ceux d’Accor ont augmenté de 54 % au premier semestre ; ceux d’Axa, de 20 % - 2,73 milliards d’euros - ; ceux de l’Oréal, de 22 % - 1,08 milliard d’euros - ; ceux de LVMH, de 46 % - 820 millions d’euros - ; ceux de Sanofi Aventis, de 33,6 % - 3,96 milliards d’euros - ; ceux de Suez, de 39,5 % - 2,2 milliards d’euros - ; ceux de Total, de 13 % - 7,12 milliards d’euros - ; et, enfin, ceux de Vivendi, de 48,1 % - 1,86 milliard d’euros.

L’ensemble des entreprises du CAC 40 ont vu leurs profits croître au premier trimestre 2006 de 49,8 milliards d’euros, soit plus que le déficit budgétaire prévisible et pratiquement autant que le produit attendu de l’impôt sur les sociétés. Cette progression s’ajoute à celle de 23 % qui avait été enregistrée pour l’année 2005, déjà considérée alors comme exceptionnelle !

Que l’on ne s’y trompe pas, la bonne santé des rentrées fiscales de l’Etat que nous attendons pour 2006 n’est donc qu’un paradoxe au regard d’une situation dont bien des éléments indiquent clairement que nous sommes près d’un retournement de conjoncture économique.

Si nous n’y prenons garde, nous allons continuer de connaître, en France, cette accumulation infinie de capitaux et de moyens destinés à être gaspillés dans des aventures financières, comme, par exemple, ces opérations de retrait-destruction d’actions - ce que Total fait avec le tiers de son résultat net annuel depuis plusieurs années -, tandis que avec les opérations de fusion-acquisition et leur cortège de plans sociaux, on continue d’externaliser les coûts, de liquider des emplois et de délocaliser tout ou partie des capacités de production.

M. Jean Arthuis. Mais pourquoi les entreprises délocalisent-elles ?

M. Bernard Vera. Ce monde de la finance et du capital n’a pas de morale. Son seul credo consiste à valoriser toujours plus, et par tous les moyens, l’investissement initial, fût-ce au prix de l’emploi, des conditions d’existence des salariés et de leurs familles, de l’équilibre et du développement des territoires et, in fine, de l’argent public, dont il s’avère grand consommateur pour la défense de ses intérêts.

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Tout ça pour ça !

M. Bernard Vera. Or, le projet de loi de finances pour 2007, déjà largement obéré par les dispositions votées pour 2006 et par toutes celles qui sont contenues dans les lois de finances promulguées depuis le début de la législature, ne prévoit rien d’autre que quelques mesures d’accompagnement et l’inacceptable primauté du capital et de ses intérêts sur l’intérêt général, compris au sens de celui de la majorité des habitants de ce pays.

Le MEDEF s’insurge contre les efforts demandés aux entreprises au titre de l’impôt sur les sociétés ; la facture s’élèverait à 800 millions d’euros de charges fiscales nouvelles. Pour bien en mesurer le caractère confiscatoire, je vous invite, mes chers collègues, à rapprocher cette somme des 50 milliards d’euros de profits cumulés par les seules entreprises du CAC 40 au premier semestre 2006...

Financiarisation pour financiarisation, les dernières années ont été marquées par une progression sensible des revenus du capital et du patrimoine. Cette progression participe, d’ailleurs, de la hausse du pouvoir d’achat des ménages à laquelle on tente, depuis quelques mois, de nous faire croire. Mais les faits sont là : si l’on en croit les données fournies par l’administration fiscale elle-même, les revenus les plus dynamiques ces dernières années sont ceux qui sont tirés du capital et du patrimoine.

S’agissant de l’évolution des revenus, entre 2003 et 2004, le montant moyen du salaire annuel imposable n’a progressé que de 2,1 % en un an et cette progression est encore moindre si l’on prend en compte les contrats spécifiques et les emplois étudiants des enfants à charge.

Le montant moyen de la pension ou de la retraite imposable a augmenté de 3 % sur la même période, sans doute parce que les retraités de ces dernières années sont ceux dont la carrière professionnelle est complète.

En revanche, le revenu foncier net a progressé de 3,1 %, les revenus de capitaux mobiliers ont crû de 3,6 % et les revenus tirés de plus-values de cession d’actifs ont littéralement explosé, avec une hausse de 55 % en douze mois !

Ce sont trois milliards d’euros de plus qui ont été ainsi récupérés par tous ceux - ils ne sont pourtant pas bien nombreux, tout juste 300 000 - qui tirent du « boursicotage » et de la spéculation foncière et immobilière l’essentiel de leurs revenus quotidiens...

Toutes les études le prouvent : nous connaissons mal dans notre pays la réalité des patrimoines et des fortunes, si ce n’est par la photographie imparfaite que nous en offre l’impôt de solidarité sur la fortune, dont le nombre de redevables ne cesse de progresser !

Songez, par exemple, mes chers collègues, que le patrimoine détenu par les seuls ménages assujettis à l’ISF à Neuilly-sur-Seine représente 18,1 milliards d’euros pour l’année 2005 et que le patrimoine détenu par les assujettis domiciliés dans les VIe, VIIe, XVe et XVIe arrondissements de Paris constitue un ensemble de 81,5 milliards d’euros, soit pratiquement deux fois le montant du déficit budgétaire prévu !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous avez de bonnes informations ! Des sources internes, sans doute ?

M. Bernard Vera. Bien entendu, je ne confonds pas patrimoine et revenus, ou stock et flux, mais la réalité est claire et nette : les inégalités sociales s’accroissent dans notre pays et l’essentiel de la richesse produite par le travail du plus grand nombre est littéralement captée par une infime minorité de contribuables.

Et que nous propose-t-on de faire, avec la discussion de ce projet de loi de finances ? De procéder, encore et toujours, à des aménagements législatifs destinés à alléger l’imposition du patrimoine, du capital, de la fortune ! Comme si le sort des 400 000 personnes assujetties à l’ISF devait primer sur celui des 27 millions de personnes percevant des revenus salariaux !

Les parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen ont, comme nous l’avons indiqué dans la discussion générale, une tout autre conception de la fiscalité et de l’action publique qui s’adosse au produit de cette fiscalité.

Les années qui viennent de s’écouler sont celles du développement des inégalités sociales, de l’allégement des obligations fiscales des plus fortunés et des plus grandes entreprises, du gaspillage des deniers publics dans de très coûteux dispositifs sans résultat avéré ni évalué sur la croissance et le développement de l’emploi.

M. André Trillard. C’est faux !

M. Bernard Vera. Ce projet de loi de finances pour 2007 ne déroge pas aux orientations imprimées par les lois équivalentes et que nous avons combattues sans la moindre ambiguïté depuis 2002.

Le Parlement n’a pas, à notre sens, à se résoudre à débattre de la loi de finances sous l’emprise étroite du simple accompagnement du jeu mené par le capital contre l’intérêt général et le bien de la nation. Nos travaux ne sauraient consister à faire droit aux seules aspirations d’une infime minorité de privilégiés.

Mes chers collègues, le projet de loi de finances qui nous est proposé pour 2007 ne fera qu’aggraver les inégalités dans notre pays et n’est nullement à la hauteur des enjeux. Non seulement il n’y a pas lieu d’en débattre, mais il est urgent de proposer un autre projet de budget fondé sur la priorité accordée aux êtres humains et non au capital, un budget de reconquête économique et sociale, un budget dans lequel l’égalité et la solidarité seront respectées.

C’est pourquoi je vous propose d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

Bernard Vera

Ancien sénateur de l'Essonne
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