Ce projet de budget intervient alors que l’urgence sociale est évidente et qu’elle a conduit, là où les inégalités sont les plus criantes, à des actes désespérés.
Cette colère et ce désespoir qui vont bien au-delà des frontières territoriales que vous désignez, touchent particulièrement la jeunesse et les milieux populaires. La jeunesse enfermée dans la précarité, le sous-emploi, les bas salaires, les stages, mais aussi tous ceux qui subissent les conséquences des délocalisations, et souffrent dans un monde du travail dont les règles sont abominables.
Notre tâche est de réhumaniser ce monde- là, mais vous faites le contraire. Nous ne voyons pas de solution dans votre politique, bien au contraire, vos choix continuent sur une lancée dont l’échec est flagrant parce que vous refusez d’écouter la population et que vous persistez dans une politique budgétaire aussi injuste qu’inefficace.
Monsieur le Ministre, votre politique souffre d’autisme. Vous êtes sourds lorsque les salariés, les retraités, les précaires, les jeunes - stagiaires ou étudiants - manifestent pour la défense du pouvoir d’achat, contre la précarité, pour le logement, l’emploi, et les services publics.
Vous ne répondez pas quand ils pétitionnent, par exemple contre le prix élevé de l’essence, et vous ne tirez aucune conséquence de l’expression du suffrage universel. C’est inacceptable.
Le vote du 29 mai dernier n’a en rien modifié vos choix.
Les citoyens ont pourtant largement débattu et fait le bilan de ce que cette construction européenne leur avait apporté : des délocalisations honteuses, une pression toujours plus forte sur les salaires, des services publics en danger...
Le respect de la démocratie aurait été d’infléchir les politiques nationales et de faire d’autres choix au niveau communautaire. Vous faites le contraire : l’Europe n’est pas, pour vous, un lieu de coopération et de solidarité, mais un lieu de compétition. Ce projet de budget est antidémocratique car il ne jure que par la concurrence : c’est votre religion, et le dogme va un peu loin quand il prétend dominer là où les études les plus sérieuses ont tendance à le reléguer.
C’est le cas en matière de concurrence fiscale : le Conseil des impôts et nombre d’économistes en relativisent l’importance. Nombreux sont ceux qui soulignent le caractère bien plus déterminant des infrastructures, des services publics, et du niveau de qualification de la main-d’œuvre pour l’implantation des entreprises. Mais vous ne voulez pas l’entendre, c’est pourquoi la croissance n’est pas là.
Les facteurs qui lui sont favorables - services publics de qualité, infrastructures, éducation, formation, recherche - sont bradés à un marché de la finance que vous alimentez également avec vos baisses d’impôts. Vous donnez l’argent à ceux qui détruisent l’emploi, délocalisent et génèrent les bas salaires. Pour justifier ces choix, vous vous réfugiez derrière une flopée d’indicateurs, souvent vides de sens, sous couvert du programme de stabilité et de la L.O.L.F., avec la bénédiction de la technocratie bruxelloise. Toute cette machinerie ne permet pas une amélioration du débat budgétaire.
En tant que rapporteur de deux programmes concernant les retraites, j’ai constaté avec stupéfaction qu’avec les indicateurs retenus, il n’est à aucun moment question du niveau des pensions, encore moins de l’évolution du niveau de vie des retraités. Ces questions sont, pour vous, hors sujet.
Vous refusez de mesurer les effets des exonérations que vous accordez pour soi-disant soutenir l’emploi, l’investissement, la recherche, le logement... Au contraire, vous privez l’État de moyens pour évaluer ses politiques publiques en procédant à des suppressions d’emploi massives au sein du ministère de l’Économie, des Finances, et de l’Industrie.
Vous mettez ces cadeaux bien à l’abri et le plafonnement des niches fiscales vise à éviter tout débat sur leur pertinence. Il est scandaleusement généreux - 4 000 euros - et ne touche que 10 000 foyers fiscaux. Pire vous multipliez les niches, sans évaluation.
Quand on sait que chaque emploi créé en zones franches urbaines coûtait, selon une étude de 1997, 20 000 euros, il y a matière à s’interroger sur la pertinence de ce dispositif. C’est pourtant ce que vous proposez pour les quartiers en difficulté...
Quand vous nous dites que l’efficacité de la dépense publique vous préoccupe, nous ne vous croyons pas. Une réforme reste à faire, associant les citoyens, les salariés et les fonctionnaires.
Certaines de vos comparaisons sont simplistes et terriblement réductrices, comme la mise en balance des taux des impôts sur les entreprises et sur les plus fortunés entre les différents pays de l’Union européenne. Vous ne cessez de comparer des choses incomparables, afin d’éviter tout débat sur l’assiette des impôts.
S’agissant d’autres indicateurs, vos évaluations sont délibérément fausses : ce budget est mensonger, insincère.
Quelques précédents ont entamé le crédit de votre gouvernement. Nous nous rappelons l’épisode Total, quand, obligé de réagir face à l’énormité des profits que ce groupe pétrolier fait sur le dos des populations, vous avez annoncé une proposition, à nos yeux la plus juste : taxer ses profits. Pourtant, ceux-ci sont encore en hausse : le chiffre d’affaire de Total a augmenté de 19 % au troisième trimestre 2005, avec un bénéfice net par action de + 36 %. C’est pourquoi nous avons, cette année encore, déposé un amendement pour mieux taxer ces profits.
Vous pourriez grâce à cela baisser la T.I.P.P., donc le prix à la pompe, car l’accord que vous avez passé avec Total peut être modifié et il n’engage nullement les autres compagnies.
Nous n’oublions pas non plus Hewlett-Packard : le Premier ministre annonce qu’H.P. devra rembourser les aides reçues, puis on nous dit que l’entreprise n’en a reçu aucune ! Le remboursement des aides est une bonne idée, pour l’appliquer il nous faut commencer par rétablir la commission de contrôle des aides publiques aux entreprises, que votre majorité s’est empressée de supprimer en arrivant au pouvoir. Ces commissions doivent évaluer toutes les dépenses publiques, y compris les exonérations de cotisations ou d’impôts dont bénéficient les entreprises. Voilà qui permettrait de fixer des objectifs d’emploi et d’investissements aux entreprises.
Le prix du gaz augmente, mais vous noyez le poisson en espérant que la population ne s’en aperçoit pas ; mais les gens paient, monsieur le Ministre, ils voient bien que le prix du gaz augmente de 14 %, après 4 % en juillet et 2,6 % en septembre !
Vous êtes optimiste, sûr d’une économie de croissance qu’aucun économiste ne tient pour crédible : la plupart des instituts tablent sur 1,8 % ! Vous dites que l’investissement repart, alors que la situation s’aggrave depuis trois ans. L’emploi est la priorité du Président de la République depuis dix ans, mais la précarité s’étend et les conditions de travail se dégradent, sauf pour les hauts salaires : les patrons se portent bien, de même que les revenus financiers !
Votre optimisme nous rappelle l’an passé : vous annonciez 2,5 % de croissance, nous sommes en fait à 1,8 %. Vous nous dites que ce n’est pas grave. Mais c’est que ça vous arrange bien, pour brader le patrimoine public et annuler 4 milliards d’euros de crédits. Autant d’annulations, c’est pour vous un signe de bonne gestion ; sur le terrain, ce sont des chantiers paralysés, moins d’action pour l’insertion, le logement, l’éducation. L’année 2005 a été catastrophique pour les associations et les collectivités locales ! Les voitures brûlaient dans les quartiers en difficulté mais, le 3 novembre, vous annuliez ces crédits : 205 millions d’euros de moins pour l’emploi des jeunes, 55 millions pour les logements sociaux, 45 millions pour les transports collectifs, 45 millions pour les quartiers en difficulté, 50 millions pour le sport, la jeunesse et la vie associative !
L’État n’est plus un partenaire fiable, les acteurs de terrain le savent bien ! Le président d’Emmaüs France a suspendu sa participation au Conseil national de lutte contre les exclusions, pour protester contre le décalage entre les discours et les actes, après le refus de verser une subvention de 500 000 euros à une association qui emploie des salariés en insertion !