Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Dans la France de 2005, que devrait être une loi de finances ?
Question en apparence simple, pour ne pas dire simpliste, au moment où l’on nous parle de croissance, de relance économique, d’effort inégalé pour l’emploi, de « sursaut » (comme dirait M. CAMDESSUS).
Juste dommage que ce sentiment ne soit pas partagé par les 3 millions de chômeurs officiels, les millions de salariés précarisés, des salariés victimes de la modération salariale, des plans sociaux avec licenciements en masse, de la flexibilité équivalant à leur souplesse à accepter les pires conditions de travail.
Juste dommage que ce sentiment ne soit pas celui des 1,1 millions de familles touchant le revenu minimum d’insertion, du million d’enfants vivant sous le seuil de pauvreté, du million de demandeurs de logement, victimes de l’explosion des loyers que les incitations fiscales les plus récentes ont vivement encouragée.
Une loi de finances en 2005, ce devrait être une loi de justice sociale et de solidarité.
Quelle réponse de votre part, Monsieur le Ministre, de la part du Gouvernement dont vous êtes encore, pour soixante douze heures, le Ministre de l’Economie ?
Vous avez ainsi résumé l’ordre des priorités de votre loi de finances pour 2005, à l’occasion de sa présentation devant l’Assemblée Nationale.
Je cite
Au total les 17 Md € de marge qui sont les nôtres pour 2005, nous les répartissons en faisant des choix clairs, que nous assumons pleinement, mais qui restent équilibrés :
10 Md € pour la réduction du déficit
5 Md € pour les priorités du gouvernement,
2 Md euros de mesures fiscales en faveur de la croissance et de l’emploi
Par ailleurs, il faut inscrire ce mouvement de réduction de nos déficits dans la durée. Seule cette dernière nous permettra d’obtenir des résultats. C’est pourquoi, le gouvernement inscrira chaque année en loi de finances les modalités d’affectation d’éventuels surplus de recettes, dues à la croissance.
Étant donné l’ampleur de notre endettement, il est normal que le gouvernement ait à rendre compte de l’utilisation des plus values fiscales. En 2004, les 5 milliards d’euros de plus values sont ainsi affectés à la réduction du déficit, ce qui paraît logique lorsque l’on a 1000 milliards d’euros. Je rappelle simplement qu’en 1999, les surplus de recettes avaient atteint 7,5 milliards d’euros, et qu’ils avaient été intégralement affectés à des dépenses pérennes, aggravant donc la situation budgétaire pour la suite au lieu de l’améliorer. ( fin de citation ).
Comment ne pas citer toutefois ici un autre discours, que l’on entend peut être un peu moins mais qui semble particulièrement présent dans la conception de cette loi de finances.
Je cite :
Si le projet de budget de l’Etat pour 2005 témoigne de la volonté de maîtriser la dépense publique, il est néanmoins préoccupant pour les entreprises sur plusieurs points : les dépenses publiques de fonctionnement restent trop élevées, avec le remplacement de neuf fonctionnaires sur dix partant en retraite ; la diminution du déficit demeure insuffisante : - 0,3 % du PIB, hors recettes exceptionnelles, ce qui marque l’absence de réduction des dépenses (fin de citation)
Ce texte, Monsieur le Ministre, a été publié sous forme de communiqué par le MEDEF, à l’issue de la présentation de la loi de finances pour 2005.
Il marque, sous des apparences de mécontentement relatif, l’orientation générale du projet de loi de finances.
Réduction du déficit et réduction de la dépense publique sont bel et bien les priorités de l’action de ce Gouvernement, la nécessaire redistribution de la richesse nationale permise naturellement par le budget de l’Etat dusse t elle en souffrir.
Et pour faire bonne mesure, alors que toutes les apparences d’une forme de pause dans le processus de baisse des impôts sont présentes dans le texte de la loi de finances, ne voilà t il pas que sur quelques points bien précis, des cadeaux fiscaux nouveaux sont concédés tant aux ménages les plus aisés qu’aux entreprises.
Comment, à ce stade de la discussion, ne pas s’indigner de l’opération sur l’impôt de solidarité sur la fortune, le texte initial de la loi de finances n’ayant prévu aucune mesure que quelques amendements d’origine parlementaire ont ou auront tôt fait d’introduire dans le texte final ?
En effet, alors que les assurés sociaux vont être ponctionnés de 900 millions d’euros sur leur salaire, que les retraités vont laisser 750 millions d’euros au titre de la CSG, que l’application du forfait d’un euro va coûter 700 millions aux familles, que notre pays compte, malgré toutes les manipulations statistiques, 200 000 chômeurs de plus, voilà que la priorité du débat fiscal de cette année serait la peine dont souffriraient les 300 000 contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune.
300 000 contribuables, que nous ne pouvons évidemment que rapprocher des 33 millions de foyers fiscaux de notre pays, c’est-à-dire que les infortunés contribuables de l’ISF représentent, in fine, qu’un peu moins de 1 % des ménages.
Quelle soudaine sollicitude pour la fortune !
Que vous ayez, Monsieur le Ministre, fait le choix de laisser à la représentation nationale l’honneur, si l’on peut dire, de porter des coups à un impôt dont le rendement est tout de même quelque peu limité (environ un pour cent des recettes fiscales de l’Etat, de mémoire) est finalement assez symbolique.
Cet impôt sur la fortune est symbolique, au plan de son rendement, mais il l’est aussi parce qu’il « connote » fortement le Gouvernement qui en modifie les règles, que ce soit d’ailleurs à la hausse ou à la baisse en termes de rendement ou de qualité.
Mais votre démarche, Monsieur le Ministre, mes chers collègues, est assez emblématique.
On laisse le taux normal de la TVA à 19,6 %, on ne baisse pas l’impôt sur le revenu, on accroît les prélèvements sociaux, au motif de réduire les déficits dans ce domaine, et on décide donc de réduire l’ISF.
Chacun ses priorités, le fait est patent.
Et les vôtres, Monsieur le Ministre, nous les connaissons.
Toujours plus pour les plus aisés, avec une poursuite du processus d’allégement des droits de succession et de la fiscalité du patrimoine (dont l’ISF est un élément parmi d’autres), toujours plus pour les entreprises, sans garantie ni contrepartie (que sont devenues les créations d’emplois promises par les entreprises de l’hôtellerie et de la restauration ?), et toujours moins pour les plus modestes.
Les salariés, dans leur grande majorité, vont souffrir dans cette loi de finances.
L’impôt sur le revenu ne baisse pas, nous l’avons vu, et la seule indexation du barème ne réduit pas toute la ponction de 4 milliards d’euros produit de ’ l’évolution spontanée ’ de l’impôt.
Les prélèvements sociaux augmentent, du fait de l’adoption de la réforme de l’assurance maladie.
Rien n’est à attendre en matière de taxation des produits pétroliers.
Rien ne se produira sur la TVA en termes de pouvoir d’achat et la hausse de la prime pour l’emploi est anecdotique, atteignant environ 2 euros par mois et par salarié concerné.
Et pour faire bonne mesure, ce sont les salariés et leurs familles qui vont subir les effets de la réduction des dépenses publiques, dont la traduction est à la fois multiple et significative.
Le gel de la dépense publique d’Etat, c’est moins d’entretien des routes (l’Equipement va supprimer encore cette année un millier d’emplois), moins d’enseignants en zone rurale, moins de sections ouvertes dans les lycées et les collèges (il va manquer cette année 4 000 postes au CAPES), moins de logement social accessible aux plus modestes, moins d’appui à la vie associative, au développement culturel, entre autres réalités.
Le gel de la dépense publique d’Etat, c’est moins de solidarité et de justice sociale au quotidien pour la grande majorité des habitants de ce pays.
Le gel de la dépense publique d’Etat, en bout de course, c’est plus de charges et de responsabilités pour les collectivités territoriales, donc plus d’impôts locaux pour les ménages salariés, parce qu’il faudra bien faire face à ces charges et ces responsabilités.
Vous comprendrez donc, Monsieur le Ministre, que nous ne puissions vous suivre dans les choix budgétaires que vous avez effectués cette année encore et que les parlementaires du Groupe Communiste Républicain et Citoyen s’y opposeront au niveau et à la hauteur qu’il convient.