M. Bernard Vera. Je veux rappeler que, en 2008, selon les chiffres officiels, ont été dénombrés plus de 700 000 accidentés du travail. Parmi ceux-ci, 569 n’ont pas survécu et, comme l’a souligné tout à l’heure Thierry Foucaud, deux salariés meurent chaque jour au travail.
En outre, plus de 44 000 salariés ont subi une mutilation en 2008, ayant entraîné une incapacité permanente.
L’ensemble de ces accidents du travail ont représenté, en moyenne, 35 millions de journées d’indemnisations.
À ces chiffres, il faudrait ajouter les suicides causés par la souffrance, l’épuisement et la non-reconnaissance au travail, ainsi que, bien entendu, les maladies professionnelles, tant physiques que mentales.
Tels sont les chiffres concernant les mutilés du travail jugés par la majorité comme des « privilégiés ».
Mais, pour nous, à l’évidence, il s’agit non pas de chiffres, mais de vies, qui se brisent en raison d’une organisation dégradée et déshumanisée du travail.
Or ce sont les maigres indemnisations de ces victimes que vous entendez aujourd’hui taxer.
Plutôt que de faire les fonds de poche de ces victimes, pour obtenir, comme cela a été dit, 150 millions d’euros, savez-vous qu’il existerait un meilleur moyen d’obtenir de nouvelles recettes ?
Cette solution serait de réduire le nombre d’accidents du travail par une politique volontariste. Si nous parvenions, par exemple, à en faire baisser le nombre ne serait-ce que de 3,5 %, les 150 millions d’euros que rapportera la fiscalisation envisagée seraient largement économisés.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Bernard Vera. Pour réduire le nombre d’accidents du travail, il faudrait agir sur plusieurs axes : adopter des mesures strictes de protection de tous les travailleurs, améliorer les conditions de sécurité dans les métiers à risques et permettre plus de contrôles dans les entreprises.
Il faudrait également interdire ou, du moins, encadrer strictement les nouvelles formes de management, qui aggravent la dangerosité tant physique que mentale au travail.
Mais, au contraire, vous vous félicitez de la mise en place de nouvelles méthodes de travail, comme le « lean management », méthode grâce à laquelle une chaîne automobile sortira une voiture toutes les quarante-huit secondes, au lieu d’une par minute auparavant. Douze secondes gagnées sur une minute, c’est énorme ; et je vous laisse en imaginer la traduction en termes d’aggravation des conditions de travail pour tous les salariés maillons de cette chaîne.
Savez-vous que certaines entreprises respectent l’obligation légale de salarier 6 % de personnes atteintes d’un handicap d’une étrange manière : on maintient dans l’entreprise des salariés handicapés qui ont été victimes d’une mutilation au sein même de cette entreprise !
La mesure que vous envisagez rapporterait donc 150 millions d’euros. La simple défiscalisation des heures supplémentaires coûte 4 milliards d’euros et les niches fiscales représentent plus de 120 milliards d’euros.
Nous voudrions évoquer un dernier chiffre : celui du recul du capital des entreprises participant au financement de notre protection sociale.
Aujourd’hui, plus de 40 % du revenu total des grandes entreprises échappent aux prélèvements sociaux et, donc, au financement de la sécurité sociale. L’entreprise qui dégage des bénéfices en bourse, grâce au jeu de la financiarisation de l’économie, ne participe en rien à la solidarité nationale.
Si toutes les ressources financières des entreprises, y compris celles qui sont issues des plus-values boursières, étaient réinjectées dans notre système de protection sociale, cela rapporterait aux alentours de 70 milliards d’euros.
Voilà une belle niche à laquelle il faudrait s’attaquer, plutôt que de fiscaliser les indemnités journalières des accidentés du travail !