Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que la commission mixte paritaire ait abouti à un désaccord n’est finalement rien de moins que logique. La discussion du texte initial, la semaine dernière, et l’issue des débats sur le projet de loi de finances pour 2012 ont déjà montré les désaccords et les divergences d’appréciation existant entre les deux assemblées sur les lois budgétaires.
Le projet de loi de finances rectificative qui nous est aujourd’hui soumis présente les caractéristiques habituelles d’un collectif de fin d’année : c’est l’occasion d’adopter des mesures de dernière minute, insuffisamment mûres pour pouvoir être incluses dans un autre texte financier, d’ouvrir des crédits pour les dépenses dites « de guichet », lesquelles sont régulièrement sous-évaluées en loi de finances initiale – il faudra d’ailleurs un jour se demander pourquoi on ne parvient pas à les évaluer correctement –, d’annuler des crédits dits « de la réserve de précaution », mais, comme souvent, au-delà des ouvertures nettes de crédits votées par le Parlement.
Ce collectif est également l’occasion d’économies de constatation, dont il n’y a pas lieu de particulièrement se réjouir, surtout lorsqu’elles résultent de la diminution de l’investissement des collectivités territoriales : l’écart serait de près de 10 %, comme l’a rappelé tout à l’heure notre collègue Yvon Collin. Cela témoigne d’ailleurs des difficultés rencontrées par les collectivités.
Plus fondamental est le débat sur les remèdes déclinés dans ce collectif budgétaire pour réduire le déficit public et, par voie de conséquence, la dette publique.
Quel constat peut-on faire à la fin de notre marathon budgétaire ?
La réduction de la dette publique n’est pas forcément à l’ordre du jour : en effet, la situation de 2012 laisse perdurer un déficit de fonctionnement, produit du poids, parfaitement excessif selon nous, de la dépense fiscale et surtout des abandons de recettes.
Que fait le Gouvernement pour réduire le déficit, alors que la situation économique globale, marquée par une récession qui devrait durer au moins deux trimestres, se dégrade ? Il s’attaque à l’un des moteurs de la croissance : la consommation des ménages.
L’augmentation du taux réduit de TVA sur un certain nombre de produits, de biens ou de travaux, pour un rendement attendu d’environ 2 milliards d’euros, représente l’équivalent de l’allégement de l’ISF que vous avez décidé en 2011. Or cette mesure contribuera clairement à réduire la consommation.
Quant au gel du barème de l’impôt sur le revenu, dont la discussion a montré, avec force exemples, qu’il frappait d’abord les contribuables les plus modestes, il suscitera probablement une sorte d’épargne de précaution de la part des contribuables se situant à la limite des différents plafonds de l’impôt.
Surtout, l’imposition effective de plusieurs dizaines de milliers de contribuables mettra aussi en cause l’exercice de certains droits connexes, à commencer par le plafonnement des impositions locales, ainsi que les conditions d’attribution des aides personnelles au logement. Au vu du poids que représente la part consacrée au logement par les foyers à revenu modeste, il apparaît que la cible qui sera touchée est particulièrement mal choisie.
Enfin, l’Assemblée nationale a supprimé la proposition présentée par notre collègue Christian Cambon, sous-amendée par notre groupe et le groupe socialiste-EELV, puis approuvée unanimement par le Sénat, qui mettait en place les moyens rendant effectif l’accès à l’eau. La France va aborder le Forum mondial de l’eau, à Marseille, dans de bonnes conditions…
La taxation temporaire des entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires au titre de l’impôt sur les sociétés nous a, quant à elle, été présentée comme une mesure de justice, visant à protéger les PME. Évidemment ! Les ménages étant déjà fortement mis à contribution par le Gouvernement, il aurait été difficile de ne pas solliciter, ne fût-ce qu’un peu, les entreprises !
Le Gouvernement et sa majorité devraient envisager de ne pas demander plus d’efforts aux ménages, car ils ont déjà largement payé la facture du déficit, notamment via la hausse de la fiscalité et la mise à mal des services publics. Le présent collectif, tout comme la loi de finances initiale pour 2012, accentue ces choix politiques.
L’accompagnement des PME appelle d’autres réponses que celles que vous apportez. Si l’on veut vraiment que la France redevienne un pays producteur de ce qu’elle consomme, à moins que j’interprète mal le nouveau credo que je vous ai entendu proclamer ce matin à la radio, monsieur le secrétaire d’État,…
M. Bruno Sido. Non, c’est bien ça !
Mme Marie-France Beaufils. … une démarche bien différente de celle que vous proposez me semble devoir être suivie.
Les petites et moyennes entreprises éprouvent aujourd’hui des difficultés pour obtenir auprès des établissements bancaires les moyens financiers indispensables à leur activité et à leur développement. De très petites entreprises et des artisans voient assez souvent la taxe professionnelle laisser place à une contribution économique territoriale plus élevée, alors qu’ils sont déjà les premiers à ressentir la baisse de la consommation des ménages.
Il est grand temps de remettre les choses à l’endroit. Nous sommes arrivés au bout d’un cycle économique, largement guidé par la dérégulation, le laisser-faire, la libéralisation de la circulation des capitaux, la financiarisation des activités économiques. Il faut en sortir !
Vingt-cinq ans de libéralisme sans obstacles majeurs ont conduit à des déficits toujours plus lourds et à une dette publique de moins en moins maîtrisée. Toute politique budgétaire nouvelle appelle une rupture avec ces pratiques du passé, ce mode de gestion publique qui fait supporter le risque et les coûts sociaux de l’économie de marché par les finances publiques, en privatisant de manière exclusive les bénéfices que l’on peut en tirer.
Le passage au crible de l’ensemble de la dépense fiscale et des dépenses publiques motivées par l’« aide aux entreprises » – expression fourre-tout recouvrant des acceptions fort différentes –, dont l’efficacité n’est pas toujours démontrée, est une nécessité.
Accroître les recettes publiques est une obligation pour relancer l’activité. Il est temps de réhabiliter l’impôt progressif sur le revenu et d’en accroître le rendement. C’était le sens des propositions qu’avait faites la majorité sénatoriale en première lecture de la loi de finances pour 2012.
M. François Marc, vice-président de la commission des finances. Exactement !
Mme Marie-France Beaufils. Il s’agissait par là non seulement de réduire les déficits, mais d’abord d’accroître l’activité en décourageant la financiarisation et en facilitant les réinvestissements, et de faire face à la dépense publique, indispensable au maintien et au développement des services publics dont notre pays a besoin.
Le débat est ouvert et le restera au moins jusqu’au printemps prochain. Espérons qu’il donnera naissance à une nouvelle conception de la croissance, plus respectueuse des équilibres sociaux et environnementaux. Car ce sont bien les électeurs qui, en dernière instance, arbitreront cette confrontation d’idées.
En attendant, nous voterons en faveur de la motion présentée par la commission des finances.