Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous avons presque épuisé l’ordre du jour de cette année 2009, nous voici face au texte issu des travaux de la commission mixte paritaire sur le troisième collectif budgétaire de l’année.
Au préalable, je tiens à remercier notre collègue Michel Charasse, suppléant « de luxe », qui m’a remplacé au sein de cette commission mixte paritaire, à laquelle je n’ai pu prendre part en raison d’un empêchement. Son vote a été identique à ce qu’aurait été le mien.
Ce texte, qui ne comprenait à l’origine qu’une trentaine d’articles, en comptait déjà quatre-vingts à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale et a en encore gagné lors de son examen par le Sénat.
Monsieur le président de la commission, en concluant votre intervention par quelques considérations sur le bon usage des projets de loi de finances rectificative, vous avez dit que c’était assez juste. Ce collectif de fin d’année ne déroge pas à cette règle qui tend à s’imposer depuis plusieurs sessions : il donne l’impression assez fâcheuse d’être un texte « fourre-tout » dont l’objet est de valider toutes sortes de dispositions qui, faute de temps, n’ont pu être adoptées au cours de l’année.
De fait, aucune ligne directrice ne se dégage de ce texte, qui, par conséquent, manque d’une cohérence d’ensemble.
Au cours de son examen par le Sénat, nous nous sommes largement exprimés sur les dispositions relatives aux collectivités territoriales, sur le bouclier fiscal, sur la fraude, etc., autant de sujets sur lesquels aucun progrès n’a été enregistré. Pour autant, je m’efforcerai de mettre au jour plusieurs aspects du texte issu de la commission mixte paritaire.
Premier aspect : les recettes fiscales de l’État ont été très largement rognées à la fois par l’application des mesures votées au cours de l’année 2009 et par les effets de la crise économique.
Cette réduction des recettes fiscales trouve essentiellement son origine dans la chute des recettes de l’impôt sur les sociétés et dans celle, plus faible, mais réelle, des recettes de TVA. L’impôt sur le revenu, quant à lui, n’a pas été trop affecté, malgré la progression du chômage.
Tout cela, monsieur le ministre, concourt une fois encore à faire de la fiscalité indirecte la source principale de revenus pour l’État.
Deuxième aspect : pour réduire autant que possible le déficit, le Gouvernement a procédé, une fois encore, à d’amples réductions de dépenses publiques.
Le non-remplacement, dogmatique, d’un départ sur deux à la retraite dans le secteur public, qui en constitue l’une des manifestations les plus éclairantes, est désormais remis en cause, y compris par la Cour des comptes, qui vous interroge sur cette obstination à démanteler les services publics.
La Cour vient de rappeler au Gouvernement que, pour fonctionner, un État a besoin de fonctionnaires et que cette façon d’avancer ne procède pas d’une bonne gestion.
Monsieur le ministre, il vous est arrivé de comparer les situations de l’Allemagne et de la France, qui ont connu des taux de croissance négatifs respectivement de l’ordre de 4 % et de 2 %. Pour ma part, je persiste à penser que nous devons ce meilleur résultat à notre service public, qui joue un rôle de véritable amortisseur social.
Troisième aspect : un long débat s’est instauré dans le cadre de ce collectif budgétaire sur la lutte contre la fraude et les paradis fiscaux. Avec la crise de l’été 2008, le Gouvernement et sa majorité ne pouvaient faire autrement que de tenir compte de l’état et du sentiment de l’opinion publique.
La révélation de l’ampleur de la spéculation financière, de la course effrénée au profit maximal, du caractère exorbitant de la rémunération de certains dirigeants, de salariés d’établissements de crédit ou d’entreprises d’investissements a profondément choqué, surtout ceux qui, en 2008 comme en 2009, auront goûté aux délices du chômage technique, des plans sociaux, des fermetures d’entreprise et des licenciements.
Cependant, avec les timides « mesurettes » présentées dans ce collectif, le compte n’y est pas, tant s’en faut ; elles ne permettront pas de modifier profondément les choses. Tout laisse à penser que l’on fait comme si une petite remontrance cette année suffirait à changer les pratiques et les méthodes de management de banques, toujours à la recherche du profit dans les salles de marché !
Nous n’avons pas manqué de nous étonner du récent épisode suisse, qui n’est pas terminé. En dépit de toutes vos déclarations, monsieur le ministre, nous ne voyons toujours rien venir, sinon, comme le rappelait fort justement Nicole Bricq, des déclarations télévisées.
M. Michel Charasse. Point d’argent, point de Suisse ! (Sourires.)
M. Thierry Foucaud. Mes chers collègues de la majorité, pour la moralisation du capitalisme, on repassera !
Quatrième aspect : vouloir lutter contre la fraude fiscale ne dispense pas de continuer à offrir – est-ce la période qui le veut ? – de nouveaux cadeaux fiscaux à celles et ceux qui en ont déjà reçu beaucoup. Encore une fois, les Français sont choqués par cette façon de faire face aux problèmes qu’ils rencontrent.
Pour notre part, nous avons l’étrange impression que, après les discours condamnant sans la moindre ambiguïté la fraude fiscale, vient, très vite, la petite musique des nouvelles dispositions dérogatoires, nouveaux crédits d’impôt, nouvelles sources d’évasions fiscales autorisées car tout simplement légalisées.
C’est ainsi qu’est apparu un nouveau crédit d’impôt destiné aux défenseurs un peu « fortunés » de la nature, sans compter les nouvelles « adaptations » du régime des groupes, qui vont permettre aux vedettes du CAC 40 de pratiquer avec bonheur une optimisation fiscale renforcée.
De même, pour complaire aux Lagardère, Bouygues, Bolloré et consorts, amis, paraît-il, du Président de la République (M. Michel Charasse s’exclame) et, accessoirement, propriétaires de réseaux audiovisuels, on a décidé de réduire le rendement de la taxe sur la publicité télévisée destinée à compenser, pour le secteur public, la suppression des messages publicitaires aux heures de grande écoute.
Pour conclure provisoirement sur la question, n’oublions jamais que, si la fraude fiscale et sociale est estimée à 50 milliards d’euros dans notre pays, l’évasion fiscale et sociale, quant à elle, grâce à toutes sortes de dispositifs, atteint plus de 130 milliards d’euros.
M. Michel Charasse. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas s’opposer à la création de fichiers permettant de détecter les fraudes !
M. Thierry Foucaud. La seule optimisation fiscale du régime des groupes coûterait au budget de l’État plus de 8,5 milliards d’euros !
Tant que nous n’aurons pas décidé de remettre en question ces exemptions fiscales et sociales, tant que nous ne nous serons pas interrogés sur leur utilité économique et sociale, nous ne pourrons pas réduire les déficits et nous ne pourrons qu’imposer aux familles les plus modestes la création, chaque année, de taxes nouvelles et la réduction continue de la dépense publique.
Mes chers collègues, plus le temps passe et plus le risque est grand que l’opinion ait l’impression qu’elle ne bénéficiera plus des services publics qu’elle est en droit d’attendre d’un État moderne au XXIe siècle en contrepartie du paiement de l’impôt.
Pour toutes ces raisons, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC-SPG ne pourront que confirmer leur vote négatif sur ce projet de loi de finances rectificative.
Enfin, puisque nous sommes à quelques heures des fêtes de Noël et de fin d’année, permettez-moi de conclure sur une note toute particulière en remerciant, comme d’autres l’ont fait avant moi, les agents de l’administration du Sénat pour le dévouement et la compétence dont ils ont fait preuve tout au long de nos travaux.
S’il fallait formuler un vœu pour l’année qui vient, que ce soit pour espérer que le peuple de notre pays puisse donner sens à ses colères, à ses attentes et donner corps à ses aspirations et à ses légitimes revendications.