Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à entendre certains, nous ne serions plus en situation de crise et la reprise poindrait, mais il faudrait néanmoins se préparer à examiner un collectif budgétaire cet hiver, peut-être un autre au printemps, et, pour faire bonne mesure, pourquoi pas un autre avant la fin de l’année, en plus de celui que le Parlement examinera, comme c’est la tradition, dans la foulée du projet de loi de finances initiale, en l’occurrence pour 2011.
Histoire de marquer la différence, ce collectif budgétaire comporte un certain nombre de mesures, dont je parlerai plus avant dans cette intervention, mesures qui aboutissent à un résultat immédiatement compréhensible : l’accroissement du déficit de l’État, celui-ci passant, en 2010, de 116 milliards d’euros à 149 milliards d’euros, soit bien huit milliards de plus que le déficit constaté à la fin de 2009.
Quelques esprits chagrins auraient tendance à critiquer de prime abord cette situation, alors même que, en vertu d’engagements européens validés par la grâce de la ratification parlementaire du traité de Lisbonne – au mépris de l’opinion exprimée par le suffrage universel – nous devrions plutôt nous situer dans la perspective d’une réduction programmée de ce déficit.
Comme le dit à qui veut l’entendre le Président de la République, nous serions sortis de la crise, en grande partie grâce à son intervention déterminée, et une bonne part du déficit pour 2009 serait intimement liée à l’action menée contre les effets de la crise.
À la vérité, monsieur le ministre, puisque nous avons l’occasion de constater qu’une fois encore le déficit budgétaire atteindra des records et que l’on fera tourner avec constance et conviction les planches à imprimer les bons du Trésor et les titres obligataires de la dette publique, cette discussion devrait, pour nous, être l’occasion de revenir sur le bilan remarquable de l’action gouvernementale depuis 2007 et ce fameux printemps où, selon un slogan désormais quelque peu désuet, « tout devenait possible ».
Eh bien oui, les promesses ont été tenues et les engagements respectés : tout était possible et tout est devenu réalité, mais, d’abord et avant tout, le pire.
Hausse du pouvoir d’achat des ménages ? Je ne sais pas où le Président de la République a pu trouver la moindre statistique prouvant que le pouvoir d’achat est reparti à la hausse, mais ce n’est que par quelques transferts sociaux d’urgence et, surtout, par les produits du capital et de la propriété que la situation des ménages semble s’être améliorée.
Du côté des retraités, aux retraites gelées sur l’indice des prix, et du côté des salariés, confrontés de plus en plus nombreux sinon aux plans de licenciement, à tout le moins au chômage technique, pas grand-chose à se mettre sous la dent, même pas ces fameuses « heures sup’ » défiscalisées, dont vous n’osez d’ailleurs plus guère parler aujourd’hui.
À moins que l’on n’impute une partie de la hausse des salaires à celle de la rémunération des traders et des dirigeants d’entreprise, lesquels accumulent bonus, primes exceptionnelles, retraites chapeau et parachutes dorés !
En 2009, le nombre des chômeurs de catégorie A a progressé de 22 %, ce qui ne constitue d’ailleurs qu’un élément de la situation générale du monde du travail actuel, confronté à la précarisation galopante, aux incertitudes du lendemain, à une gestion patronale arbitraire qui, près de trente ans après les lois Auroux, continue d’avoir une essence purement monarchique.
Et permettez-moi de trouver indécent le discours de M. Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi, qui se félicitait de n’enregistrer, pour 2009, « que » 450 000 suppressions d’emploi, au lieu des 700 000 attendues ! Pourtant, 450 000 à 500 000 suppressions d’emploi, cela représente plus de 1 000 chômeurs supplémentaires par jour !
Dans la France de 2010, on continue de licencier pour assurer la rentabilité des investissements et le niveau des dividendes. On se sert même parfois des concours de l’État pour monter des plans sociaux sur fonds publics !
Lorsque l’on considère le rôle du Fonds stratégique d’investissement dans les affaires Nexans ou Trèves, par exemple, on se dit qu’il y a décidément quelque chose qui ne va pas dans la politique industrielle de ce gouvernement !
Mes chers collègues, si nous étions vraiment sortis de la crise, nous n’aurions sans doute pas constaté la chute libre des mises en chantier de logements neufs, sociaux ou pas, que nous avons observée en 2009, ni l’essoufflement des ventes de voitures neuves, malgré les incitations publicitaires que ne manquent pas de multiplier les constructeurs. Et nous n’aurions sans doute pas à déplorer non plus le fait qu’un million de chômeurs ayant épuisé tout droit à indemnisation seront appelés à « basculer », dans le courant de l’année, sous le régime du revenu de solidarité active.
Au-delà de l’indécent discours de certains membres de la majorité – MM. Bertrand et Lefebvre, notamment – qui considèrent qu’un million de chômeurs en fin de droits sur l’année, ce n’est jamais que 150 000 chômeurs de plus par rapport aux autres années, la vérité nous impose de dire que la gestion des situations difficiles va être transférée aux collectivités territoriales, aux départements en particulier, sans que les moyens nécessaires soient prévus pour compenser les dépenses nouvelles. Ensuite, il se trouvera toujours un sémillant porte-parole de l’UMP pour critiquer la « folie fiscale » des gestions locales de gauche, sans considérer plus avant la réalité.
Et quelle est-elle, cette réalité ?
Non seulement les politiques menées depuis 2007 n’ont pas résolu, loin de là, la situation de l’emploi, mais, sous bien des aspects, elles ont même contribué à l’aggraver.
On peut toujours froncer les sourcils devant Carlos Ghosn qui délocalise la production de la plupart des modèles de Renault en Espagne, en Slovénie ou ailleurs, mais c’est oublier un peu vite que l’actionnaire de référence qu’est l’État se dispense, depuis plusieurs années, notamment depuis 2002, date à laquelle le mouvement de délocalisation s’est accéléré, d’intervenir de quelque façon que ce soit dans la gestion du groupe. Sans doute parce que les avisés gestionnaires de l’Agence des participations de l’État – objet si désiré par certains de nos collègues – ne s’inquiètent, depuis longtemps, que du niveau du dividende versé au budget général, quel que soit le coût social ou économique de ce dividende.
Ainsi, une bonne partie du déficit commercial désormais chronique de notre pays réside précisément dans le retour en France des voitures « françaises » fabriquées à Bursa ou à Novo Mesto.
S’il fallait prouver encore l’absence d’une véritable politique industrielle, nous pourrions aussi évoquer la situation de Total, société éminemment stratégique dans notre économie. Rappelons, pour mémoire, que ce groupe est né de la fusion de deux anciennes sociétés à base française, Total et Elf, d’une part, la société belge PetroFina, d’autre part.
Nous avons ainsi vu naître un géant du pétrole – avec en aval de nombreuses activités dans tous les secteurs de la chimie –, un géant qui, au fil du temps, s’est désengagé du territoire national, en réduisant progressivement ses capacités de raffinage, comme le montre l’affaire toute récente de la raffinerie de Dunkerque. Pressé par l’opinion, et risquant de payer la facture lors du scrutin régional, le Gouvernement a obtenu que Total examine le devenir du site après que l’on aura passé l’écueil électoral. Je crains, hélas, que cela ne suffise pas !
On nous avait aussi promis, en 2007, que, grâce à la croissance, la situation économique allait s’améliorer. Il est évident que le Gouvernement avait fondé de grands espoirs sur la loi de modernisation de l’économie, le LME, dont il convient, à ce stade du débat, d’esquisser le bilan.
Je commencerai par les auto-entrepreneurs : 300 000 de nos compatriotes ont tenté l’aventure et réalisé un chiffre d’affaires cumulé de 500 millions d’euros. Allons à l’essentiel : 500 millions d’euros, cela représente 0,025 % du produit intérieur brut, soit un peu plus de deux heures de l’activité économique du pays…
Ce qui est indéniable, c’est que les artisans régulièrement inscrits au registre du commerce se sont trouvés face à une concurrence déloyale, quoique ponctuelle dans la plupart des cas. Et si quelques millions d’euros de recettes nouvelles sont venus alimenter les caisses de l’État et de la sécurité sociale, nous sommes bien loin, très loin de la révolution idéologique promise par Hervé Novelli !
Évoquons la suppression des marges arrière, autre disposition de la LME. La crise qui touche les producteurs de lait et la filière des fruits et légumes, dont le présent texte porte d’ailleurs une trace incongrue avec l’article 8, est venue opportunément nous rappeler que, si l’on privait les grandes enseignes de la distribution de la possibilité d’exercer une de leurs pratiques coercitives, elles en appliquaient immédiatement d’autres, notamment en pesant à la baisse sur les prix à la production.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : le revenu agricole s’est effondré, chutant de 37 % en 2009, sans que les consommateurs, en bout de chaîne, constatent de baisse du prix des produits frais, par exemple du lait, mais aussi du pain
En ce qui concerne la banalisation de la distribution du livret A, nous sommes en plein paradoxe.
L’ouverture à la concurrence, voilà une dizaine de mois, a, dans un premier temps, entraîné un accroissement du nombre des livrets ouverts et du montant des dépôts, mais il y a un « hic », monsieur le rapporteur général : ce mouvement a accompagné la lente mais constante dégradation du nombre de logements mis en chantier, notamment des logements sociaux.
Bref, tout ce qui peut permettre, faute d’utilisation des sommes disponibles, à M. Apparu, promu au Gouvernement à la grande surprise de Mme Boutin (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG), d’annoncer un plan pour le logement sentant quelque peu le réchauffé…
La loi de modernisation de l’économie, l’un des pivots de la thématique sarkozyste, n’a donc pas eu beaucoup d’effets sur la situation économique. Elle a d’ailleurs littéralement volé en éclats avec le développement de la crise financière ! Les déficits ont alors gagné en importance, prenant leurs aises avec l’argent public et franchissant la barre fatidique des 100 milliards d’euros annuels – plus que l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés réunis – pour atteindre le niveau de 141 milliards d’euros dans le collectif de la fin de l’année 2009.
La dette publique galope, même si le compteur affolé ne figure plus sur le plateau de Mme Chabot, comme lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007. Et nous risquons de l’accroître encore avec le présent projet de loi de finances rectificative !
Monsieur le ministre, quelques mauvais esprits, dont nous sommes, considèrent d’ailleurs qu’une bonne part du déficit que nous avons constaté en 2007, en 2008 et en 2009, et que nous risquons d’observer encore en 2010, aurait pu être évitée. Sans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, connue sous l’appellation de loi TEPA, nous aurions sans doute constaté un résultat légèrement différent.
Cela coûte cher de payer un bouclier fiscal à un millier de privilégiés qui continuent pourtant de préférer les investissements spéculatifs, comme cela coûte cher de permettre à quelques familles particulièrement aisées d’optimiser la gestion de leur patrimoine grâce aux donations entre vifs, d’alléger la douleur d’avoir perdu un parent proche grâce à la baisse des droits de succession, de réduire l’impôt de solidarité sur la fortune et, plus généralement, de multiplier niches, exemptions et régimes dérogatoires divers !
Lors du débat que nous consacrons tous les ans à la dépense fiscale, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances, nous constatons que le seul poste budgétaire qui progresse constamment, et souvent très vite, est la mission « Remboursements et dégrèvements », dont ma collègue et amie Marie-France Beaufils est le rapporteur.
L’impôt sur le revenu est ainsi perverti et détourné de sa finalité. Aujourd’hui, compte tenu des mesures prises, on peut dire qu’il existe un type d’impôt sur les sociétés par entreprise, tant est grande la variété des dispositifs d’exonération, d’allégement, d’évasion fiscale ou d’assiette !
Il suffit de considérer ce que rapporte à Renault ou à Total le régime du bénéfice mondial consolidé ! Ce qui semble positif pour la compétitivité de ces groupes ne l’est manifestement pas autant pour l’emploi en France !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est bien parce que l’État a décidé, voilà déjà un certain temps, de prendre à sa charge une part importante de ce qui incomberait aux entreprises que notre pays connaît cette situation de déficit budgétaire durable et de dette publique confortée.
Certes, on peut toujours soutenir que ce collectif comporte des mesures qui sont en rupture avec certaines habitudes du passé, reprenant ainsi le « cela ira mieux demain » que nous avons déjà si souvent entendu.
Rendez vous compte ! Nous aurions trouvé les coupables de la crise financière de 2008, ceux-là même qui – comme l’indique le texte – par leurs actes inconséquents, ont provoqué les tensions interbancaires, l’explosion des déficits publics et la mise en œuvre de plans de sauvetage, à grand renfort d’argent public. Ces coupables, ce sont les traders, caste privilégiée d’acteurs de salles de marchés électroniques, scandaleusement rémunérés en fonction de la spéculation qu’ils organisent.
À la vérité, la taxe prévue par l’article 1er du présent texte semble bien relever du symbole. Elle représente le millième de ce que l’État était prêt à garantir pour sauver le secteur financier et elle est de peu de poids dans un déficit ayant atteint les niveaux que l’on sait, et qui ont été rappelés voilà quelques instants.
En outre, comme la taxe ne figure que dans ce collectif et pas dans la loi de finances initiale, nul doute que les banques auront tôt fait de trouver les moyens d’éviter de la payer. D’autant que ces mêmes banquiers avaient tenté, dans un premier temps, d’en affecter le produit au financement du système de garantie mutuelle que les sommets du G20 ont recommandé.
Je crois même me souvenir que quelques-uns de nos collègues avaient envisagé, sans doute en toute magnanimité, de gager la nouvelle taxe sur la suppression de la taxe sur les salaires payée par les banques ! Mais, en annonçant à l’avance les mesures que l’on envisage, on crée sans doute les conditions qui permettent aux intéressés d’y échapper !
En conclusion, le présent projet de loi de finances rectificative, largement consacré au grand emprunt, ne rompt aucunement avec les errements qui, depuis trop longtemps, entraînent les comptes publics sur une pente périlleuse, et la France dans le même temps. Il prépare sans doute, à sa manière, la nouvelle purge d’austérité qui nous semble promise pour les années à venir, du fait des engagements européens que j’ai évoqués. Pour toutes ces raisons, nous ne le voterons pas.