Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce nouveau collectif budgétaire est essentiellement consacré à la situation de Dexia et aux conséquences du plan de redressement tel qu’il a été négocié entre l’État, la Belgique et le Luxembourg.
Les sommes en jeu sont particulièrement importantes : 380 milliards d’euros d’actifs dans le groupe, 77 milliards d’euros de prêts aux collectivités locales, dont 50 milliards d’euros pour la France. Et ce sont près de 40 milliards d’euros de garanties qui sont proposés dans ce texte.
Nous craignons d’ailleurs que de telles sommes ne soient insuffisantes, non pas pour faire face aux dépréciations d’actifs qui touchent les activités les plus concurrentielles de Dexia, mais plutôt pour prendre en compte les légitimes attentes des élus locaux confrontés à la dérive des emprunts structurés. D’autant que, nous le savons tous, Dexia n’est pas la seule banque à avoir proposé des emprunts de ce type aux collectivités locales.
La situation que nous connaissons aujourd’hui avec Dexia est le résultat de la privatisation intégrale des activités bancaires, avec la sollicitation permanente des ressources onéreuses sur les marchés financiers et le marché interbancaire.
C’est la suite logique de la crise financière qui avait déjà amené les gouvernements français et belge à recapitaliser la banque Dexia à hauteur de 6,4 milliards d’euros en 2008, sans aucune contrepartie réelle.
Une fois de plus, aucune exigence n’a été émise pour que la banque ainsi « sauvée » concentre ses efforts vers le financement des PME, des collectivités, avec l’objectif de servir l’intérêt économique des pays où elle intervient.
Une telle course à la rentabilité financière maximale et de court terme montre une fois de plus sa nocivité. Après en avoir engrangé les bénéfices, c’est vers la puissance publique que l’on se tourne pour éviter la chute.
M. Roland Courteau. Et voilà !
Mme Marie-France Beaufils. Permettez-moi tout de même de revenir dans cette discussion générale sur l’historique du financement des collectivités locales.
La Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales, la CAECL, fut longtemps l’établissement financier des collectivités, complétant par des ressources de marché – en général, il s’agissait d’emprunts émis auprès du public – les financements directs de la Caisse des dépôts et consignations.
À l’époque, le taux d’intérêt des emprunts était fixe, et la lisibilité des opérations évidentes ; les élus locaux avaient donc une grande sécurité.
La CAECL était un établissement public. Elle a été privatisée en 1987 et remplacée, en quelque sorte, par le Crédit local de France, le CLF, société anonyme à caractère commercial. En 1996, la fusion entre le CLF et le Crédit communal de Belgique s’accompagne de l’ouverture au marché du financement des collectivités territoriales.
Dès lors, les collectivités deviennent des clients comme les autres pour l’ensemble d’un secteur financier de plus en plus privatisé, banalisé et avec des activités de plus en plus diversifiées.
Dexia n’échappe pas à la règle et abandonne son cœur de métier, c’est-à-dire le financement des collectivités territoriales. La rentabilité n’est probablement pas au niveau attendu par ses actionnaires. C’est d’ailleurs ce que nous a rappelé l’une des personnes que nous avons auditionnées en commission des finances. Il est vrai que les collectivités locales ne déposent pas leurs ressources au sein des banques pour qu’elles puissent y trouver une rémunération.
Dexia se lance dans des activités de prise de contrôle d’entités bancaires dans le monde, comme aux États-Unis où, nous le savons tous, le groupe éponge encore d’ailleurs les dettes de sa filiale FSA.
Ce développement est fondé sur un schéma financier risqué, associant levée de ressources de court terme et distribution d’emprunts de long terme, conduisant de fait à créer une bulle de créances que le groupe ne peut plus honorer. Et ce d’autant que ses débiteurs, en particulier les dettes obligataires de la Grèce ou de l’Italie, ne sont plus en situation de faire face à leurs engagements.
Affectée par les subprimes en 2008 et touchée par la crise obligataire cette année, Dexia avait pourtant – faut-il le rappeler ? – passé avec succès tous les tests de résistance définis par les instances européennes.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Marie-France Beaufils. Il semble bien que ces mesures soient passées à côté de l’essentiel.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Marie-France Beaufils. Une fois de plus, la démonstration est faite que les outils d’analyse du système capitaliste dans lequel nous vivons sont inadaptés pour anticiper la crise. Nous le voyons également avec les agences de notation, qui ont tendance à aggraver la situation au lieu de créer les conditions favorables à la résolution des problèmes.
M. Roland Courteau. Exact !
Mme Marie-France Beaufils. Le plan de redressement qui nous est proposé vise clairement à éviter que le groupe ne fasse faillite, victime d’un surcroît de dettes impossible à couvrir !
L’affaire Dexia suffit à démontrer que la stricte logique privée et l’exigence de rentabilité financière conduisent à cette faillite. Or la proposition qui nous est faite ne règle pas cette question.
Nous le savons bien, la nationalisation est un mot tabou, au moins en France – la Belgique, elle, a purement et simplement choisi cette voie –, pour les libéraux. On nous dit même qu’il s’agit de mesures dépassées. Pourtant, on tourne autour et on parle de solliciter la garantie de l’État moyennant rémunération. Comme on le ferait d’une sorte d’engagement hors bilan, tendant à limiter les effets de ce que nous n’allons pas manquer de voir.
L’État ira chercher sur les marchés les ressources lui permettant d’accorder sa garantie. Il la fera rémunérer et constatera sans doute en bout de chaîne les moins-values les plus diverses. Celles-ci vont de la déperdition des titres de Dexia, qui est déjà avérée – l’action est désormais aux alentours de 55 centimes à 60 centimes, alors qu’elle valait encore 3,20 euros à la fin de l’année 2008 –, aux conséquences de la dépréciation des actifs gérés. Sans oublier les intérêts relatifs à la souscription du financement de la garantie.
L’affaire est d’ailleurs tellement bien ficelée que la Caisse des dépôts et consignations, appelée avec la Banque postale à reprendre le portefeuille de titres de dette publique locale en attendant de le développer à son tour, a demandé et obtenu que le plafond de garantie, dans un premier temps, soit supérieur sur ce créneau au risque de dépréciation encouru.
Il faut dire que si le résultat de la Caisse des dépôts disparaissait en tout ou partie dans la reprise des actifs de Dexia, le budget général s’en porterait sans doute assez mal !
En d’autres termes, la clientèle si particulière des collectivités servira probablement à asseoir l’équilibre financier de l’opération. En effet, les collectivités, obligées de renégocier leurs prêts pour éviter la dérive des taux, payeront pour une part la facture du redressement de Dexia.
Quand l’article 4 prévoit une garantie de refinancement rubis sur l’ongle en quelque sorte pour les actifs « ordinaires » de Dexia et une garantie minorée, partageant les coûts éventuels de dépréciation pour les actifs de « dette publique locale », il ne fait qu’accepter une certaine forme de laxisme pour un segment et de rigueur pour l’autre.
Dans le montage de l’article 4, ni Dexia ni la Caisse des dépôts n’ont le moindre intérêt à accorder aux collectivités locales quelque « faveur » que ce soit, qu’il s’agisse d’un abandon de créances, d’un moratoire de remboursement, même temporaire, ou d’un rééchelonnement éventuel des emprunts...
C’est là une situation que nous ne pouvons tout à fait accepter. C’est le sens de l’un de nos amendements, d’autant que les investissements des collectivités sont un facteur important de maintien de l’activité économique et de l’emploi, ce dont nous aurions grand besoin aujourd’hui.
Il importe que le présent projet de loi ouvre clairement la voie à la structuration d’un véritable pôle financier public, intégrant notamment au titre de ses missions prioritaires le financement des collectivités locales. La création d’un établissement public de financement s’appuyant sur la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale, entre autres, aurait été le prolongement indispensable aux propositions de garantie que vous nous proposez dans ce projet de loi de finances rectificative.
Or aucune proposition en ce sens ne nous a été présentée par le Gouvernement. Rien pour le moment dans la présentation que vous venez de faire, monsieur le ministre, ne nous laisse supposer que vous acceptez de vous engager dans une démarche de constitution d’une banque publique dédiée au financement des collectivités territoriales dans laquelle l’État pourrait pleinement faire entendre ses exigences pour contribuer efficacement aux politiques publiques.
Un tel positionnement du Gouvernement, s’il était maintenu au cours de nos débats, ne nous permettrait pas d’approuver le présent projet de loi de finances rectificative.