La politique gouvernementale accélére la dégradation des comptes publics

Règlement des comptes pour l'année 2008

Publié le 15 juillet 2009 à 08:58 Mise à jour le 8 avril 2015

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le président de la commission des finances vient de parler de « moment de vérité budgétaire » et de « moment de cohérence ». Tel est bien, à mes yeux, le sens de ce débat et c’est dans cet esprit que je m’exprimerai.

Permettez-moi de citer, en guise de préambule, de citer quelques-uns des propos que tenait mon amie et collègue Marie-France Beaufils au mois de décembre dernier, pour justifier notre vote contre le projet de loi de finances rectificative pour 2008 qui consacrait a priori l’état des comptes publics tel qu’il résultait des choix fiscaux et économiques du Gouvernement :

« S’il fallait trouver quelques bonnes raisons de ne pas voter en faveur de l’adoption de ce projet de loi de finances rectificative pour 2008, il suffirait évidemment de se pencher sur la situation désastreuse des comptes publics que recouvre ce texte.

« Le désastre s’amplifiera encore en 2009, eu égard à ce qui a été décidé, à la dernière minute, lors de l’examen du projet de loi de finances initiale pour 2009. [...]

« Ainsi, l’INSEE vient d’annoncer que le produit intérieur brut devrait enregistrer une régression de 0,8 % au dernier trimestre de 2008 et que le mouvement de récession, confirmé d’ailleurs par le ralentissement de la progression des prix, devrait se prolonger au cours du premier semestre de 2009, avec un taux de croissance négatif de 0,4 %. »

Chers collègues de la majorité, je ne résiste pas à la tentation de vous rappeler quelques-uns des discours que vous teniez à la même époque sur la réalité du déficit public ou, mieux encore, ceux qui étaient les vôtres à l’automne 2007, lors de la présentation du projet de loi de finances initiale pour 2008, qui prévoyait un déficit de moins de 42 milliards d’euros. Notre collègue Josselin de Rohan appelait alors, au nom du groupe UMP, à l’approfondissement des réformes engagées dès le printemps 2007 :

« Le chemin de la croissance passe par les réformes. Ces réformes, de très grande envergure et de très grande portée, que le Président de la République a voulues, sont la condition du redressement de nos finances publiques, du développement de notre économie et du progrès social. Nous nous devons de les mener à bien sans hésitation ni faiblesse, non seulement pour moderniser notre pays, mais aussi pour renforcer notre crédibilité en Europe et dans le monde. »

Ce temps est bel et bien révolu puisque, avec un déficit de plus de 56 milliards en 2008, déficit qui va plus que doubler en 2009 si l’on en juge par les comptes, le redressement des finances publiques est plutôt mal parti !

Quant au rapporteur général, dont on connaît les qualités de prévisionniste en matière économique, dans un même élan, il se félicitait d’avoir supprimé l’impôt de bourse, relevé le seuil d’exonération des plus-values mobilières, aménagé de manière favorable le régime d’imposition des sociétés d’investissement immobilier cotées, toutes mesures dont on sait la pertinence pour le simple citoyen français... Je regrette d’ailleurs que M. Marini ne soit pas présent aujourd’hui, car, connaissant ses qualités de debater, je suis sûr qu’il m’aurait interrompu !

Quoi qu’il en soit, lors de la discussion générale sur le projet de loi de finances initiale pour 2008, il avait décrit certaines des voies dans lesquelles il nous fallait, selon lui, nous engager.

« Pour ma part, disait-il, je ne saurais trop conseiller deux axes : la compétitivité, d’une part, et la rigueur, d’autre part, une rigueur au sens d’une approche rigoureuse de la réalité, sans se faire d’illusions et en évitant de diffuser des illusions autour de soi.

« La compétitivité est la condition de tout. Je me réjouis, madame le ministre, que les deux assemblées valorisent enfin l’industrie financière. Vous avez à juste titre insisté sur ce point, car c’est une variable clé en termes de compétitivité.

« Si l’on veut que notre pays, qui a des atouts, puisse voir croître son industrie financière et prélever une petite partie de ce qui fait le succès de la Grande-Bretagne, certaines conditions concrètes doivent être remplies ; la suppression de l’impôt de bourse en est une. »

Ce discours date donc de l’automne 2007, quand le CAC 40 naviguait gentiment entre 5 500 et 6 000 points, alors qu’il peine aujourd’hui à rester aux alentours des 3 000 points !

J’ajoute que ce qui paraissait à l’époque constituer l’atout de l’économie anglaise, c’est-à-dire son industrie financière, est devenu son talon d’Achille et la source de la plus formidable récession connue par le Royaume-Uni depuis 1929 ! Avec une prévision de récession de 4,3 % cette année et un PIB qui se maintiendrait à grand-peine l’an prochain, le lion de la finance et de l’ingénierie boursière a les griffes pour le moins émoussées !

Félicitons-nous donc que la France n’ait pas encore tout à fait quitté le champ de l’économie matérielle !

L’exécution du budget 2008 a été marquée par l’aggravation de la situation économique et sociale du pays, aggravation qui n’a, du reste, pas attendu la tempête boursière de l’automne pour se manifester.

Nous sommes ainsi parvenus à un déficit de 56 milliards d’euros au titre de l’année 2008. Personne n’avait fait pis depuis longtemps, sauf peut-être sous le gouvernement Balladur, lorsque l’actuel Président de la République était ministre du budget !

Hélas, l’examen des données les plus récentes montre clairement que ce triste record sera nettement battu. Sans manifester plus d’émotion, monsieur le ministre, vous avez annoncé, en commentant les 88,7 milliards d’euros de déficit à la fin du mois de mai dernier, que notre pays s’acheminait tranquillement, pour 2009, vers un déficit compris entre 125 milliards d’euros et 130 milliards d’euros.

Vos services ayant l’art de la litote, ils expliquent que le déficit du mois de mai 2009 est de 38,6 milliards d’euros supérieur à celui du mois de mai 2008, dont 16,1 milliards d’euros sont imputables au plan de relance, le « reste » tenant principalement à l’évolution moins favorable des recettes fiscales, du fait de la conjoncture. Or ce « reste » pèse tout de même comme 22,5 milliards d’euros !

Je ne m’attarderai pas davantage sur les déclarations des uns ou des autres, pour me concentrer sur l’essentiel, à savoir que le pari économique du gouvernement Fillon s’est fracassé sur les écueils de la réalité.

Loin de provoquer la croissance économique et de favoriser le développement de l’emploi et des potentialités du pays, la politique gouvernementale n’a cessé d’accélérer la dégradation des comptes publics, tandis que progressait le nombre de chômeurs aussi sûrement que ralentissait l’activité.

Pouvoir d’achat en berne, malgré les innombrables dispositions inapplicables prises sur ce sujet, emploi en charpie, malgré les discours ronflants ou encore la création de Pôle emploi, précarisation du travail, incertitude du lendemain : tout ce qui a été entrepris depuis le printemps 2007 doit être jugé à l’aune des faits.

Nous approchons à grands pas des 3 millions de chômeurs officiels - selon nous, ils sont bien plus nombreux en réalité, et il n’y a que la communication gouvernementale pour ne pas le reconnaître -, la récession est durablement installée, les PME licencient, parfois disparaissent, victimes de l’assèchement des carnets de commande, et même la bourse pique du nez.

Cela va tellement mal que les prix de l’immobilier ont commencé une décrue, au demeurant nécessaire, et que l’activité du secteur du bâtiment est au plus mal. Même si le destin de Mme Boutin semble indiquer qu’on lui a fait payer le prix du ralentissement de l’activité dans ce secteur, il faut surtout y voir la conséquence des choix politiques initiaux du pouvoir sarkozyste.

Revenons à l’une des sources du mal, dont il a déjà été question : le paquet fiscal de la loi TEPA. À grands coups de clairon, le Gouvernement avait à l’époque mis en avant la désormais fameuse défiscalisation des heures supplémentaires. Mes chers collègues, je n’aurai pas la malignité de vous rappeler ce que cette mesure que nous avons déjà qualifiée d’imbécile a pu entraîner en termes d’arbitrage de gestion du personnel dans nombre d’entreprises. Je dirai seulement que la plus récente note de la DARES sur les heures supplémentaires fait apparaître une baisse de 11 % au premier trimestre 2009 par rapport dernier trimestre de l’année 2008, et ce malgré la période des soldes de début d’année dans le commerce et la distribution !

À dire vrai, seules les mesures relatives à la taxation du patrimoine - exonérations sur les successions et donations, allégements divers de l’impôt de solidarité sur la fortune, bouclier fiscal - ont connu un certain succès depuis 2007. Mais ce succès n’a fait que renforcer les possibilités financières des ménages les plus aisés, sans permettre la moindre relance de la consommation.

La crise financière est tellement grave qu’on a cru devoir annoncer - sans trop de publicité, tout de même - que des mesures de clémence seraient appliquées aux quelques épargnants français leurrés par les activités de M. Madoff ! Ce qui signifie, faut-il le préciser, que les impôts de tous les Français seront utilisés pour alléger les pertes de celles et de ceux qui ont préféré investir leur épargne aux États-Unis plutôt que dans l’économie nationale !

Cela dit, ce ne sont pas seulement quelques particuliers qui ont ainsi été trompés par le schéma de Ponzi monté par l’habile Madoff ! Natixis s’est également fait piéger, et pour plusieurs centaines de millions d’euros, ayant en l’occurrence suivi les conseils de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, établissement qui comptait parmi ses responsables un certain François Pérol, celui-là même qu’on a ensuite appelé pour voler au secours de Natixis...

Nous en reparlerons le moment venu, chers collègues, même si, voilà un mois, vous avez été invités à voter sans en modifier la moindre virgule le texte relatif à l’organe central des caisses d’épargne et des banques populaires. Attendez que l’on évalue les actifs nets de qui a été fusionné : vous risquez fort d’être surpris que l’on ait ainsi instrumentalisé, pour ne pas dire pipé, votre vote ! Il en est avec ce texte comme il en a été lorsqu’il s’est agi vous faire voter, sans modifications excessives, le projet de loi de finances initiale pour 2008, ainsi que les collectifs qui ont suivi.

Peut-être parce que la raison d’être de l’opposition est de s’opposer, nous avons voté contre le projet de loi de finances pour 2008 et, de la même manière, contre les deux collectifs qui l’ont modifié, collectifs dont les ajustements se sont d’ailleurs révélés insuffisants pour faire apparaître le chiffre exact du déficit budgétaire.

Dans ce projet de loi de règlement figure tout ce qui justifie notre opposition : échec de la loi TEPA en termes de relance de l’activité, déficit en dérapage quasi incontrôlé, recettes fiscales déprimées de plus de 1 milliard d’euros. Bravo, mille fois bravo !

Pour ce qui est des dépenses, si d’aucuns se plaignent de la nouvelle dérive qu’elles connaissent, il convient de les informer sans délai : sur 8 milliards d’euros de dépenses budgétaires supplémentaires, 5 milliards sont à imputer à la seule progression de la charge de la dette publique !

La norme de dépenses aura donc été tenue pour tout sauf pour la dette publique, ainsi que pour les remboursements et dégrèvements.

Cette fameuse « mauvaise herbe fiscale » aura en effet augmenté de 11 milliards d’euros en 2008, faisant exploser la barre des 90 milliards d’euros - et je n’ose imaginer ce qu’il en sera en 2009, avec le plan de relance ! -, se rapprochant donc dangereusement du produit cumulé de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés.

Il est plus que temps de changer de braquet et de logique budgétaire, sauf à créer les conditions de déficits encore plus insupportables et dont nous savons par avance qui paiera la facture.

Mme Nicole Bricq. Eh oui !

M. Thierry Foucaud. Pour 2009, nous pouvons craindre que ce ne soit déjà trop tard puisque la logique délirante qui préside depuis 2007 aux destinées du pays est toujours à l’œuvre.

Les recettes éculées appliquées jusqu’ici ayant fait la démonstration de leur nuisance, peut-être changera-t-on de logiciel pour 2010...

En tout cas, vous l’aurez compris, nous ne voterons pas le présent projet de loi de règlement.

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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