La libre administration des collectivités territoriales n’est plus garantie

Loi de finances pour 2010 : exception d'irrecevabilité

Publié le 19 novembre 2009 à 10:54 Mise à jour le 8 avril 2015

Madame la ministre, comment pouvez-vous affirmer que ce texte garantit la libre administration des collectivités territoriales quand leur autonomie financière est réduite à la portion congrue ? Les élus locaux auront seulement la liberté de déterminer le taux d’imposition à la cotisation locale d’activité, soit un élément de ressources plus faible que la taxe professionnelle...

« Oxygène de la République, la décentralisation a libéré les initiatives et les énergies locales. Elle a, par ailleurs, accru l’efficience de l’action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité. (...) Enfin, la décentralisation a contribué, même si des progrès restent à accomplir, à donner corps et âme à la démocratie locale à un moment où les inquiétudes suscitées par l’inéluctable mondialisation exacerbent notre besoin d’enracinement. Pourtant, force est de constater, vingt ans après les lois Defferre, que la décentralisation, en dépit de son bilan globalement positif, apparaît comme « à bout de souffle », « au milieu du gué », et surtout « à la croisée des chemins ». Ce propos n’est nullement de notre groupe mais du président Poncelet ! Il constitue l’exposé des motifs de sa proposition de loi constitutionnelle, qui a inspiré la réécriture, par le Sénat, de la loi du 29 mars 2003. La situation est originale : sept ans après, la majorité sénatoriale jette aux orties ses convictions pour voter sans trop broncher, hormis une petite fronde via les médias, un texte par lequel la décentralisation se perd dans les sables de la rupture démocratique menée par M. Sarkozy. Que deviendra la coopération intercommunale quand la suppression de la taxe professionnelle conduira à réduire la compensation attribuée par le conseil communautaire à chacune des communes membres ?

La réforme aura des effets désastreux sur les dotations de solidarité communautaires.

Que devient la décentralisation quand les régions ne disposeront plus bientôt que des ressources dédiées par le partage d’une cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée, dont l’affectation sera décidée par le pouvoir législatif ? Que devient la décentralisation quand les départements connaîtront le même sort alors qu’ils font depuis plusieurs années l’expérience pour le moins douloureuse des transferts de charges non compensées, notamment avec le RSA ou encore l’APA ?

Avant les débats sur la révision constitutionnelle de 2003, le président Arthuis s’interrogeait en commission sur le fait que la libre disposition des ressources soit présentée comme la seule garantie de la libre administration des collectivités territoriales et, avec M. Frimat, sur la part et la nature des ressources propres et la notion d’autonomie financière. Dans l’hémicycle, le président Fourcade affirmait : « La majorité d’alors a fortement réduit le domaine de responsabilité des élus locaux et la jurisprudence du Conseil constitutionnel a laissé faire, qu’il s’agisse du remplacement d’impôts locaux par des dotations budgétaires ou bien des prélèvements multiples sur les recettes fiscales de certaines collectivités. Il faut donc élever une barrière ».

« Cette barrière, mes chers collègues, doit être solide », poursuivait-il, « car la pente naturelle de l’État est de refuser le maintien du lien entre l’élu local et les citoyens qui paient l’impôt ». Lors de la conclusion de ces débats à Versailles, M. Raffarin, alors Premier ministre, qui nous fait aujourd’hui bénéficier de son expérience, indiquait : « Le premier principe est celui de l’autonomie financière : les collectivités disposent librement de leurs ressources, dans les conditions fixées par la loi. Le deuxième, très important, est celui de la juste compensation : les transferts seront financés loyalement. (...) Nous voulons sincèrement rétablir la confiance entre l’État et les collectivités. Le juge constitutionnel empêchera les décentralisations de charges qui n’auront pas été préalablement financées. Troisième principe : l’autonomie fiscale. La part des ressources propres des collectivités dans le total de leurs ressources devra être déterminante. En privilégiant le transfert des recettes fiscales sur celui des dotations, nous responsabiliserons les élus, qui pourront rendre des comptes aux contribuables sur les dépenses financées par l’argent public. Des élus dotés d’une capacité d’initiative mais rendant des comptes aux électeurs, voilà notre conception de la décentralisation ».

Nous sommes aujourd’hui dans un autre cadre et cette loi de finances met à mal l’organisation décentralisée de la République comme l’autonomie des collectivités locales, deux concepts de valeur constitutionnelle. Avec la cotisation supplémentaire assise sur la valeur ajoutée, une recette fiscale est remplacée par une dotation budgétaire, bientôt normée et insuffisante. Que signifie l’encadrement de ces dotations par rapport à la libre fixation des ressources et au droit de lever l’impôt ? Le montage juridique douteux de l’article 27 n’annonce-t-il pas une non-compensation du nouveau prélèvement opéré sur les ressources des collectivités au titre de la taxe carbone ? On met bel et bien en cause le principe d’autonomie.

Dans le champ de la fiscalité, la cotisation complémentaire échappe complètement aux élus locaux. L’article 2, même revu par le rapporteur général, indique que les règles ne seront pas fixées localement, de sorte que les efforts déployés pour accueillir une entreprise ou l’aider à s’agrandir ne seront pas récompensés localement mais pourront se traduire par une augmentation des ressources d’une autre collectivité !

Les dépenses contraintes sont de plus en plus lourdes, ainsi de l’APA. Voilà ce qui, au coeur de ce projet de budget, fait de l’article 72-2 une simple déclaration de principe.

Ce rappel suffit à justifier le vote de la motion et à simplifier du même coup un travail parlementaire singulièrement lourd ces jours-ci, mais le principe d’égalité devant l’impôt, pourtant inclus dans le bloc de constitutionnalité, est une nouvelle fois en brèche. Où est l’égalité quand certains contribuables sont dispensés de contribution, quand les artisans déduiront la taxe carbone de la cotisation locale d’activité alors que le particulier ne le pourra pas et que le remboursement forfaitaire est typique des dispositions méconnaissant les capacités contributives de chaque contribuable ? Une taxe inégalitaire inégalitairement remboursée, cela fait beaucoup. Et je ne dis rien des niches fiscales qui profitent à certains redevables de l’ISF.

Votre politique fiscale ne respecte pas ce fondement de la République : la loi est l’expression de l’intérêt général. J’attends que vous répondiez sans détour à nos arguments. Oserez-vous prétendre que le principe constitutionnel d’autonomie des collectivités territoriales n’est pas remis en cause ? J’attends vos explications car les milliers d’élus locaux ont bien compris l’exercice de recentralisation autour du Président de la République. La mise au pas des collectivités locales constitue une rupture démocratique au profit de l’exécutif et de son chef, Nicolas Sarkozy.

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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