« Comment renforcer notre compétitivité sans parler de notre fiscalité ? Elle est un chef-d’œuvre de complexité au point d’en affecter l’efficacité et même l’équité. Nous devons continuer à agir, en nous tenant à trois principes : la fiscalité doit servir notre compétitivité ; la fiscalité doit rechercher la justice ; la fiscalité doit être lisible et donc aussi simple que possible. » C’est le Premier ministre, le 24 novembre dernier, qui s’est exprimé ainsi.
« Il sera créé un nouvel impôt sur le patrimoine, fondé sur un principe : au lieu de taxer le patrimoine en tant que tel, il s’agira de taxer les revenus du patrimoine et les plus-values du patrimoine ». C’est le Président de la République, le 15 novembre dernier, qui a dit cela.
Sous de tels auspices, l’impression qui pourrait rester est que cette loi de finances ne serait juste qu’un texte transitoire, sur le long et nécessaire chemin de la réduction des déficits et de la dette. Et ce alors même que la crise de l’euro s’approfondit avec la situation de l’Irlande, et à cet égard, monsieur le ministre, vous refusez, au motif de ne pas « exciter les marchés financiers », d’organiser dans notre assemblée un débat sur le sujet, comme nous l’avons demandé !
Mais alors, pourquoi ce record de plus de 1 000 amendements ? Et pourquoi ces amendements gouvernementaux de dernière minute remettant en cause ce qui venait à peine d’être débattu, notamment en usant et en abusant de la seconde délibération ?
En fait, ce budget 2011 est un budget de droite, et le sens de la justice fiscale proclamé par François Fillon s’arrête là où commencent de s’exprimer les intérêts particuliers – vos intérêts particuliers ! – qui, depuis plusieurs décennies, ont mis en commandite les politiques publiques et ceux qui les mènent !
Suppression du bouclier fiscal pouvant rapporter 700 millions d’euros ? Ce n’est pas le bon moment !
Remise en cause de la niche Copé permettant aux plus grands groupes de réaliser des raids boursiers sans payer d’impôts, ce qui rendrait 6 milliards d’euros au budget ? Pas question ! Ce serait nuire à la compétitivité de notre économie, avez-vous dit !
Hausse de l’impôt de solidarité sur la fortune qui, sans niches, rapporterait 1,2 milliard de plus ? Ce serait inciter à l’expatriation des « créateurs de richesses »,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ben voyons !
M. Thierry Foucaud. ... termes qui, pour vous, désignent uniquement les chefs d’entreprise. À croire que les usines tournent sans salariés et que le capital s’accumule spontanément !
Réglementer les prix de transfert, aujourd’hui des milliards perdus, utilisés par les groupes pour baisser leurs impôts en « délocalisant » la valeur ajoutée et les profits ? Ce serait, soit disant, s’ingérer dans la gestion des entreprises et prendre le risque des plans sociaux et des licenciements ! Comme s’il n’y avait pas déjà des plans sociaux dans la France de Nicolas Sarkozy !
Le Président de la République n’est plus celui du pouvoir d’achat de 2007 ; il est le président de 4 millions de chômeurs en 2010 ! Vous l’avez d’ailleurs bien aidé !
Je voudrais parler aussi de la discussion sur les finances locales. Elle a montré que la suppression de la taxe professionnelle pose aujourd’hui bien plus de problèmes qu’elle n’en résout !
À quoi ont donc servi les 12,5 milliards d’euros de déficit et de dette supplémentaires que l’État a engagés pour gager la suppression de la taxe professionnelle ? Soit dit en passant, face à ces 12,5 milliards de taxe professionnelle supprimés, il y a zéro création d’emploi !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Thierry Foucaud. Ils ont servi à réduire l’autonomie fiscale des collectivités aux 6 milliards d’euros de la cotisation foncière des entreprises, au gel pour trois ans des dotations aux collectivités et, enfin, à la hausse de la taxe d’habitation, de la taxe foncière ou de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères !
Ce cadeau de la taxe professionnelle, ce sont les populations qui le paient au MEDEF,…
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère. Il a raison !
M. Thierry Foucaud. … ce MEDEF que vous soutenez ici sur les travées de droite ! (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Vous le savez, cela fera plus d’impôts locaux et moins de services rendus !
Le moins de services rendus, c’est aussi vrai pour l’État, puisque la suppression de milliers de postes d’enseignants, de policiers, d’agents des impôts (M. Roland Courteau s’exclame.) et j’en passe, ce n’est rien d’autre que la hausse des impôts déguisée en réduction de la dépense publique !
M. Jean-Louis Carrère. Hou !
M. Thierry Foucaud. Payer autant pour moins de services, c’est payer plus cher ce qui reste !
M. Jean-Louis Carrère. Hou ! l’UMP ! Hou !
M. Thierry Foucaud. Notre fiscalité est complexe, disait le Premier ministre le 24 novembre dernier. Mais si vous cherchiez comment réduire les déficits, peut-être trouveriez-vous quelques outils dans les 82 milliards ou 84 milliards d’euros engloutis dans les remboursements et les dégrèvements, ou encore dans les 172 milliards d’euros de cadeaux fiscaux et sociaux aux entreprises que vous votez en permanence !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Thierry Foucaud. Oui, 172 milliards ! C’est l’exacte somme du déficit de l’État et du déficit de la sécurité sociale !
Vous cherchez 172 milliards d’euros ? Ce n’est pas compliqué : évitez de détaxer et vous les trouverez ! Voilà de quoi tenir vos engagements européens. Voilà aussi comment les dérogations au principe de l’impôt conduisent aux déficits et en même temps à l’endettement.
M. Jean-Paul Emorine. Tu parles !
M. Thierry Foucaud. Cela fait des années que ça dure et des années que le moins d’impôts et le moins de cotisations sociales se traduit par plus de travail précaire et plus de chômage !
M. Roland Courteau. Effectivement !
M. Thierry Foucaud. Là encore, ce sont les plus riches, les plus grands groupes qui captent l’essentiel des cadeaux fiscaux !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Thierry Foucaud. Mes chers collègues, réduire l’impôt sur les sociétés des plus grands groupes coûte 60 milliards d’euros, autant que le budget de l’éducation ! Mais pour quel résultat ?
Pour que Total, par exemple, investisse en Birmanie sans se soucier des droits de l’homme, ou encore que Renault fasse monter ses voitures en Slovénie ou en Turquie (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.), tout en annonçant un plan de 3 000 départs en préretraite à cinquante-huit ans ?
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’était du temps de Tito ! C’est du sectarisme !
M. Thierry Foucaud. Monsieur le rapporteur général, question sectarisme, vous n’avez pas de leçons à me donner ! Voilà quelques instants en commission des finances, je vous ai vu à l’œuvre auprès de vos élus : un véritable diktat pour faire voter la seconde délibération (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.), alors qu’ils ne partageaient pas la question des quinze points !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est le centralisme démocratique ! Il en faut un peu sinon l’État ne peut être géré. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Thierry Foucaud. Mais on n’est plus pour le centralisme démocratique, monsieur le rapporteur général, révisez vos leçons !
M. Jean-Louis Carrère. M. Marini est un homme du passé !
M. Thierry Foucaud. On s’est aperçu que ce n’était pas bon. Quant au sectarisme, il est de votre côté !
Maintenant j’en viens…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre ? (Non ! sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Thierry Foucaud. ... à quelques remarques sur la chasse aux niches, annoncée comme déterminante cette année. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Un effort sur les plus values : un pour cent de plus, parce qu’il fallait éviter que seuls les salariés paient le prix de la réforme des retraites !
Pour le reste – bouclier fiscal, investissements en capital, investissements dans le logement locatif, exonération des plus-values des groupes, régime des sociétés mères, dispositif ISF/PME, régime des donations et j’en passe –, aucun changement.
En revanche, on va taxer les quelques euros de dividende de la participation. Et nous avons appris que le mariage et le PACS étaient porteurs d’effets d’aubaine ! Nous qui croyions naïvement que l’on se mariait ou que l’on se pacsait par amour. Mais voilà qu’on va racketter 500 millions d’euros dans les corbeilles de mariage en faisant disparaître la triple déclaration ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Pour compléter, on a décidé de taxer les couvertures maladie mutualistes et on a augmenté la TVA sur les offres Internet-téléphone-télévision !
Sans oublier le droit d’accès à l’aide médicale de l’État ou la ponction sur les organismes d’HLM, faute de financements budgétaires directs, c’est-à-dire qu’on aura pris dans la poche des pauvres, des gens modestes, des classes moyennes, ce que vous vous refusez toujours, pour le moment, à exiger des plus riches et des plus grands groupes.
Seulement mes chers collègues, la France ce n’est pas seulement 240 grandes entreprises et 600 000 contribuables de l’ISF ; c’est près de 3 millions d’entreprises et 36 millions de redevables de l’impôt sur le revenu !
Illustrant d’une certaine manière cette vision tronquée des priorités, je citerai deux exemples qui ont fait polémique.
Le premier est la suppression de l’article prévoyant de faire cotiser à l’impôt, à partir de 1 million d’euros, l’indemnisation du préjudice moral. Ainsi, après avoir taxé l’aide juridictionnelle pour moins de 9 euros de l’heure, on continuerait d’exempter 10 millions d’euros, 20 millions d’euros ou 200 millions d’euros reçus par un quelconque industriel, en « préjudice moral ». Posons la question : un préjudice moral a-t-il une valeur comptable, monétaire ?
Ce qui est honteux, c’est d’accepter de marchander son intégrité morale et il est encore plus honteux de voir des parlementaires valider l’exemption fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Guy Fischer. Il a raison !
M. Thierry Foucaud. Le second exemple, c’est le fait, à l’article 90 du projet de loi, de vouloir revenir sur l’exonération de cotisations sociales des employeurs de salarié à domicile, une exonération qui, comme toutes les autres, tend à tirer les salaires vers le bas et qui, de plus, couvre des métiers bien différents.
Pour une nurse d’enfants ou l’auxiliaire de vie d’une personne âgée, cela peut se comprendre. Mais pour permettre à certains de se payer des valets de pied,…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Des valets de pied ?
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Thierry Foucaud. … des hommes à tout faire et des gardiens de villas sur la Côte d’Azur ou en Corse, est-ce logique ?
M. Guy Fischer. Il connaît son sujet !
M. Thierry Foucaud. Or, en matière fiscale, c’est souvent ainsi.
Avant de terminer (Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP.), je citerai encore le plus gros chèque du bouclier fiscal. N’a-t-il pas été remis à Mme Bettencourt (Exclamations sur les travées de l’UMP.), dont il est évident qu’elle a fraudé le fisc sur la nature de ses revenus et sur la réalité de son patrimoine ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Gisèle Printz et M. René-Pierre Signé applaudissent également.)
Cette loi de finances de transition est, finalement, une loi de continuité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Thierry Foucaud. Elle préserve les privilèges des privilégiés…
Mme Janine Rozier. C’est terminé !
M. Thierry Foucaud. … et elle continue de frapper les plus modestes et les couches moyennes. (Mme Gisèle Printz opine.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Conclusion !
M. Thierry Foucaud. J’en viens à ma conclusion, monsieur le rapporteur général ! (C’est fini ! sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. On n’entend plus rien !
M. le président. Oui, il faut conclure, monsieur Foucaud !
M. Thierry Foucaud. La sagesse des Français (Brouhaha sur les travées de l’UMP.) sera de vous présenter la facture à payer, et j’espère que ce jour ne sera pas si lointain. (Le brouhaha va crescendo.)
En attendant, je vous l’ai dit : nous ne voterons pas cette loi de finances.
Qu’il me soit permis, pour finir, de remercier à mon tour le personnel du Sénat.