L’indécente fiscalisation des indemnités journalières des accidentés du travail

Intervention sur l'article 45 bis du projet de loi de finances pour 2010

Publié le 7 décembre 2009 à 18:03 Mise à jour le 8 avril 2015

M. Bernard Vera. Avec cet article, vous voulez supprimer la défiscalisation des indemnités journalières versées par la sécurité sociale aux salariés victimes d’un accident de travail.

Cette suppression est à la fois une mesure indécente et très injuste, ainsi qu’un message de mépris envers les victimes du travail. Elle pourrait même se révéler être une erreur politique, si l’on en croit un sondage paru ce matin, selon lequel 65 % de nos concitoyens, dont plus de 70 % des salariés, toutes professions confondues, y sont opposés.

De plus, elle est relayée par une communication basée sur une analyse délibérément tronquée du dispositif. En effet, pour justifier cette réforme, vous n’hésitez pas à parler de « mesure d’équité » envers l’ensemble des salariés, ou encore « d’anomalie fiscale » qu’il faut au plus vite corriger. Et pour étayer votre raisonnement, vous soulignez que les indemnités journalières versées en cas de maladie ou de maternité sont déjà fiscalisées. Ainsi, les accidentés du travail seraient des privilégiés !

Cependant, en raisonnant ainsi, vous feignez d’oublier que les salariés qui se voient attribuer ces indemnités journalières ont été victimes d’un accident du travail et que ces femmes et ces hommes ont subi un dommage corporel ou un préjudice ouvrant droit à réparation.

Les indemnités journalières acquittées en raison d’un accident du travail ne sont pas de simples « revenus de remplacement », comme le sont celles qui sont versées en cas de maladie ou de maternité. Elles revêtent un double caractère : il s’agit d’un revenu de remplacement et de la réparation d’un préjudice subi. Vouloir les aligner sur le régime des autres indemnités journalières, c’est nier cette réparation ; cela revient aussi à vous en prendre aux victimes plutôt qu’aux personnes responsables des conditions de travail.

Faut-il vous rappeler que depuis la mise en place du régime d’indemnisation des « mutilés du travail » en 1898 les victimes d’accident du travail n’ont droit qu’à une réparation forfaitaire ? C’est le résultat d’un compromis : la preuve de l’accident sur le lieu de travail est facilitée, mais l’indemnisation n’est que forfaitaire. Comme ces indemnités ne réparaient que partiellement les préjudices subis, il avait alors été décidé de ne pas les fiscaliser. Voila la raison d’être de cette mesure : compenser une inégalité d’indemnisation !

Si maintenant vous entendez intégrer ces indemnités dans le calcul de l’impôt sur le revenu, il faudrait alors que les entreprises assument la réparation intégrale du préjudice subi.

Mme Raymonde Le Texier. C’est pour ça que le MEDEF est contre !

M. Bernard Vera. De plus, vous ne pouvez pas oublier que derrière un accident du travail, il y a une faute, une négligence ou, en tout cas, une très mauvaise organisation du travail imputable à l’employeur ; c’est une situation très différente de la maladie ou de la maternité. Or selon les principes de la responsabilité civile, celui qui subit un préjudice causé par la faute d’un autre a droit à une réparation intégrale de son dommage.

Votre méthode est bien rodée : présenter partiellement le dispositif pour mieux faire accepter la réforme, sous couvert d’équité, d’égalité ! Mais vous invoquez toujours ces notions à sens unique, pour réduire un droit, dans un perpétuel nivellement par le bas.

Vous avez utilisé le même raisonnement pour remettre en cause la majoration des durées d’assurance dont bénéficient les femmes en matière de retraite : réduire leur droit, pour, prétendument, faire avancer celui des hommes...

Alors que les niches fiscales et sociales représentent encore 120 milliards à 130 milliards d’euros, alors que la mesure proposée ne devrait rapporter que 150 millions d’euros, pourquoi lancer un tel signal de mépris envers les travailleurs et les victimes du travail ? Est-ce vraiment ainsi que vous pensez récompenser la valeur travail ?

En revanche, et toujours au nom de la valeur travail, vous défiscalisez les revenus obtenus suite à l’accomplissement d’heures supplémentaires. Dans ce cas, la défiscalisation vous convient. Vous avez l’égalité sélective !

On l’aura bien compris : selon la politique que vous menez, tant que l’on peut travailler et que l’on est en bonne santé, on est intéressant et encouragé. Mais si un jour on est malade ou accidenté, même si c’est à la suite d’un trop long travail ou de l’exercice de son métier dans des conditions dangereuses pour la santé, on perd alors toute valeur !

Il existait pourtant un consensus à l’égard du régime que vous voulez remettre en cause. Vouloir le modifier est indécent. Décidément, ce gouvernement ose tout ! C’est pourquoi les membres du groupe CRC-SPG voteront contre l’article 45 bis.

Bernard Vera

Ancien sénateur de l'Essonne
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