Débat d’orientation budgétaire pour 2007 : finances publiques et finances sociales

Publié le 29 juin 2006 à 18:43 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

Ce débat d’orientation budgétaire, que nous allons mener comme chaque année, est le plus souvent l’occasion de faire état de profondes divergences d’appréciation sur la réalité économique et sociale de notre pays et, partant, de sa traduction concrète en termes budgétaires, au-delà d’ailleurs du simple examen des données chiffrées propres à tel ou tel exercice ou département ministériel.

Le débat d’orientation 2007 se situe, au demeurant, dans un contexte assez spécifique puisque rien ne nous garantit que l’équipe gouvernementale qui va porter le projet de loi de finances initiale à l’automne prochain sera celle qui mettra en œuvre l’exécution budgétaire.

Je me permets même d’espérer que ce ne sera pas le cas et que les Françaises et les Français auront, dans un an à la même date, un Gouvernement animé d’une autre orientation que celui qui vient, au quasi terme d’une législature, d’ajouter près de 200 milliards d’euros de déficit cumulé au compte de la dette publique, tout en vendant à l’encan une part importante du patrimoine de la Nation et en multipliant les cadeaux fiscaux pour les ménages les plus aisés et les plus grosses entreprises !

La France a clairement besoin d’un changement de politique budgétaire, économique et sociale, clairement besoin d’autres orientations dans l’action de l’Etat que celle consistant à réduire sans arrêt la dépense publique pour faire plaisir aux marchés financiers et aux détenteurs de capitaux.

Depuis 2002, nous avons tout connu : baisse de l’impôt sur les sociétés, réduction de son assiette, élargissement des allègements de cotisations sociales, diminution de la fiscalité pour les hauts patrimoines, nouvelle baisse de la taxe professionnelle, réforme de l’impôt sur le revenu profitant de manière quasi exclusive aux plus hauts revenus !

Pour quels résultats ?

Une croissance que vous vous glorifiez de porter à 2 % cette année ( un tel montant aurait, il y a trente ans, constitué l’amorce d’un ralentissement économique ) après avoir dégagé moins d’un point et demi de croissance cette année !

Et la consommation populaire, qui s’avère être le moteur de notre économie, trouve l’origine de son développement dans l’augmentation spectaculaire de l’endettement des ménages, augmentation notamment due à l’ascension des prix de l’immobilier, prix qui ne doivent pas figurer dans l’indice INSEE mais qui sont une réalité de plus en plus prégnante.

Dette pour dette, vous consacrez une bonne part de ce débat budgétaire à nous expliquer que tout va être mis en œuvre, dans les quatre années à venir, pour réduire l’endettement public, et notamment celui de l’Etat.

C’est même la priorité exclusive de votre politique, au détriment de toute autre et cela laisse mal augurer d’une prolongation éventuelle de votre mandat, passé le printemps 2007.

Vous l’avez annoncé : toute recette fiscale supplémentaire sera consacrée, dans les années à venir, à réduire l’endettement public, tandis que toutes les administrations publiques seront appelées à goûter aux délices des redéploiements et des ‘ économies ‘ budgétaires, produit d’une loi organique comprise et entendue dans le sens le plus malthusien qui soit.

Une telle démarche masque plusieurs problèmes essentiels.

Le premier, c’est que la dette publique n’est pas, en soi, une catastrophe.

Elle a toujours existé, et il est même probable qu’elle continuera d’exister, quand bien même nous dégagerions des excédents budgétaires.

Les chiffres les plus mirobolants circulent, quant à la quotité et à l’importance de cette dette.

Une fois, on parle de 1 100 milliards, mélangeant allégrement dette négociable de l’Etat, dette des collectivités locales et dette des organismes sociaux et une autre fois, en insistant sur les ‘ engagements implicites de l’Etat’ ( notamment en termes de retraites des agents du secteur public ) on évoque le montant, en apparence spectaculaire, quasi angoissant de 2 000 milliards d’euros !

A dire vrai, il conviendrait peut être de se demander si, dans certains cas, nos entreprises privées ne cumulent pas, elles aussi, des montants d’endettement aussi spectaculaires.

Mais il conviendrait aussi d’éviter, pour peu que l’on soit versé à l’exercice d’analyse d’une comptabilité, de ne voir dans le bilan de l’Etat que le passif constitué par cette dette.

Si l’on rapporte en effet le montant de la dette publique à chacun des habitants de ce pays, nous atteignons un montant de 20 000 à 30 000 euros.

La somme peut impressionner mais il faut la relativiser.

Savez vous, mes chers collègues, qu’une famille de quatre personnes qui emprunte 200 000 euros pour acheter un appartement à Paris est à la tête d’une dette privée encore plus importante ?

Ensuite, comme il convient de le faire en bonne comptabilité, il faut mettre en regard la dette, le passif, et l’actif, c’est-à-dire tout ce que l’Etat, au fil du temps, a constitué comme patrimoine public dont disposent d’ailleurs pour le bien de la vie économique et sociale, les habitants de notre pays.

Et cet actif, qu’il s’agisse des autoroutes, de nos hôpitaux, de nos établissements scolaires, jusqu’à nos parcs naturels ou nos grands musées ( parler de la dette en oubliant par exemple que l’argent public a permis de créer le Musée du quai Branly est une forme d’aveuglement ), c’est le bien de tous, c’est ce que des années et des années d’action publique ont permis de constituer.

Sur le plan comptable, pour chacun des habitants de ce pays, cet actif est aujourd’hui évalué à 170 000 euros.

Ce qui signifie au demeurant que la dette publique ne constitue donc que 10 à 15 % environ de cet actif.

Je connais quelques entreprises privées qui apprécieraient d’avoir un niveau d’endettement de cette nature !

En fait, la dette publique est instrumentalisée depuis plusieurs années pour justifier toutes les politiques désastreuses qui ont été et sont encore menées en matière de gestion publique.

Paradoxe : bien souvent, pour redresser les comptes publics, on a commencé par procéder à la réduction des recettes, en escomptant un effet positif sur l’activité de telle ou telle baisse d’imposition.

Cela fait des années que ça dure !

Depuis 1985, on a réduit d’un tiers le taux de l’impôt sur les sociétés, de 45 % l’assiette de la taxe professionnelle, allégé les cotisations sociales sur les bas salaires, réduit l’assiette de l’impôt sur les sociétés, réduit l’impôt sur le revenu des plus riches et le tout pour quels résultats ?

Notre économie n’a créé depuis 1985 qu’un peu plus de 2 millions d’emplois dans le secteur marchand, des emplois de plus en plus précarisés, et de plus en plus mal rémunérés, puisque plus de huit millions de salariés perçoivent la prime pour l’emploi !

La croissance est molle, et les revenus dont la progression est la plus dynamique sont, comme par hasard, les revenus du capital et du patrimoine.

En 2005, ces revenus ont crû deux fois plus vite que les revenus du travail !

Et cela devient, chaque fois un peu plus, source d’inégalité entre les Français.

Regardons maintenant le coût de ces différentes mesures.

Si l’on somme le produit de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, celui de l’allégement des cotisations sociales sur les bas salaires et celui de la ‘ réforme ‘ de la taxe professionnelle, ce sont ainsi 450 milliards d’euros qui ont été dépensés, ou plutôt engloutis, depuis vingt ans !

Et il faut encore savoir que ce sont, par exemple, plus de 15 milliards d’euros que nous dépensons, tous les ans, pour alléger la fiscalité des entreprises, sans compter l’impact du report des déficits et le solde des acomptes versés !

La source des déficits publics ne réside donc pas dans une utilisation dispendieuse des crédits, dans un recrutement inconsidéré de fonctionnaires ou un excès de dépenses sociales, elle se situe d’abord et avant tout dans une politique d’incitation fiscale qui est venue se substituer, sur la durée, à toute véritable intervention publique dans la vie économique et sociale.

La situation budgétaire de 2005, à la suite des autres exercices, consacre de notre point de vue la faillite de cette orientation et il conviendrait de l’infléchir sérieusement en 2007.

Dépenser mieux ne veut pas dire dépenser moins, car il convient d’abord de prélever justement les moyens de répondre aux attentes sociales.

L’impôt doit retrouver la place qui est la sienne et ne doit d’ailleurs pas être utilisé de manière exclusive à payer des frais financiers sans cesse plus élevés au bénéfice des détenteurs de titres de dette publique.

Nous refusons de placer la gestion publique sous la coupe des marchés financiers, comme vous vous y préparez, ainsi que le traduisent les annonces de réduction de la dépense en euros constants et les suppressions d’emplois de fonctionnaires que vous avez programmées.

Au demeurant, cette politique là est fondamentalement injuste.

Les plus modestes qui ne bénéficieront pas, sur la durée, de votre réforme de l’impôt sur le revenu et qui n’ont que peu de rendement à attendre de la baisse de la fiscalité du patrimoine, sont aussi ceux qui vont subir de plein fouet la réduction du budget de l’Education, les coupes claires dans les budgets sociaux, celui de la politique de la ville ou celui du logement.

Et en échange, ils pourront payer toujours plus d’impôts locaux, de taxes pétrolières et de TVA sur leur consommation courante !

A politique injuste socialement et économiquement, nous répondrons, au moment requis, par l’alternative politique, traduite fiscalement et budgétairement, attendue par nos concitoyens.

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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