Débat d’orientation budgétaire

Publié le 6 juillet 2005 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Ce débat d’orientation budgétaire doit sa raison d’être à l’article 48 de la loi organique sur les lois de finances : « En vue de l’examen et du vote de la loi de finances de l’année suivante par le Parlement, le gouvernement présente au cours du dernier trimestre de la session ordinaire, un rapport sur l’évolution de l’économie nationale et sur les orientations des finances publiques ». Or, le document préparant ce débat ne nous a été transmis que le 29 juin ! Il était temps, d’autant que nous discutons des orientations budgétaires pour l’année prochaine alors même que la presse s’est déjà fait écho des lettres de cadrage et des principaux paramètres de la future loi de finances.

Le discours de politique générale du Premier ministre a ainsi fixé le cadre : « La France consacrera à l’emploi un effort supplémentaire de 4,5 milliards en 2006. Outre les dépenses du plan d’urgence, cet effort inclut la montée en puissance des allégements de charges sociales et des contrats d’avenir. C’est une somme importante, à la hauteur du défi. Elle amène mon gouvernement, en plein accord avec le Président de la République, à prendre ses responsabilités. Toutes nos marges de manœuvre budgétaires iront à l’emploi : ce choix commande de faire une pause dans la baisse de l’impôt sur le revenu ».

Pour autant, cette politique prévoit une réduction de l’emploi public : 5 000 à 7 500 emplois seront supprimés l’an prochain, voire plus à en croire M. le président et M. le rapporteur général de la commission des Finances ! En outre, elle prône le développement de la précarité de l’emploi, par l’exploitation du prétendu gisement des emplois de service à la personne, des contrats nouvelle embauche et par l’intermittence la plus absolue du salariat dans les très petites entreprises. Ce qui n’empêche évidemment pas de prévoir, comme nous l’avons encore vu cette semaine lors de l’examen du projet de loi sur la confiance et la modernisation de l’économie, de nouveaux cadeaux fiscaux pour les grands patrimoines et pour les entreprises, qu’il s’agisse de l’allégement des droits de succession, de mutation ou de transmission d’entreprise. Pour ce qui concerne la taxe professionnelle, faute d’une réforme de plus grande ampleur, on s’oriente vers un allégement de l’impôt dû par les entreprises par plafonnement à la valeur ajoutée. Baisser la taxe professionnelle, ce serait bon pour l’emploi, dites-vous, mais comprenne qui pourra puisque l’emploi et les salaires ne font plus partie de l’assiette !

Nous pourrions évidemment discourir longtemps sur ce projet de budget pour 2006 qui fixe, entre autres objectifs, de procéder à la simple reconduction de l’essentiel de la dépense publique et de réduire les déficits.

Mais il s’est passé quelque chose en mai, et plus précisément le dimanche 29... Une nouvelle fois, après les élections régionales et cantonales, après le scrutin européen, nos concitoyens ont largement condamné la politique menée depuis trois ans par ce gouvernement en votant massivement « non » au projet de traité constitutionnel européen. Mais tout se passe comme si vous n’aviez pas entendu le message des urnes.

Les Françaises et les Français ont-ils voté pour une nouvelle cure d’austérité budgétaire, fondée sur la stricte application d’un pacte de stabilité européen ? Ont-ils voté pour la réduction des emplois publics ? Souhaitent-ils la suppression de 2 000 postes de professeurs, comme cela a été annoncé, au motif de la réduction des effectifs scolarisés ? Demandent-ils moins d’agents dans les services de l’équipement, dans les administrations fiscales ? Ont-ils voté « non » pour que l’argent public continue à financer les emplois précaires, aux perspectives incertaines, ne permettant pas à ceux qui les occupent d’avoir le moindre projet de vie cohérent et digne de ce nom ? Ont-ils voté pour une nouvelle baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune, affectant notamment l’habitation principale, allégeant de ce fait l’impôt de 300 000 contribuables alors même que trois millions de nos concitoyens demeurent mal logés ? Non, ils ne veulent pas cela, monsieur le Ministre !

Et pourtant, ce sont les choix que vous faites et que vous viendrez nous présenter cet automne, sans la moindre hésitation, en trouvant pour chaque mesure des justifications plus ou moins fondées. Mais les Français attendent autre chose d’un budget ! Parce que vous persévérez dans l’erreur, la croissance ne sera pas au rendez-vous. Dommage pour nos concitoyens qui en subiront les conséquences !

À tous les problèmes qui se posent, vous avez une réponse toute faite : c’est la faute du Code du travail ! Si l’on ne peut pas embaucher et créer des emplois dans ce pays, c’est à cause d’un code trop rigide et trop protecteur !

Vous nous aviez promis, lors de la discussion de la loi de finances pour 2005, une croissance de 2,5 % que nous avions jugée irréaliste. Tout porte à croire que l’on devra, cette année, se contenter de 1,5 % ! Qui va payer le manque à gagner ? Les salariés les plus modestes, encore une fois ! Depuis plusieurs années, les prévisions de croissance ne sont pas atteintes et les comptes publics se dégradent. Comment peut-il en être autrement alors que vous réduisez drastiquement la dépense publique, que vous encouragez les bas salaires, bref, que vous agissez de la plus mauvaise manière qui soit pour favoriser la croissance par la relance de la consommation populaire ?

Il faut changer de cap et ce n’est pas le rattrapage du S.M.I.C. du 1er juillet qui fera illusion. De fait, le pouvoir d’achat des salariés stagne, or c’est ce qui permet la mobilisation sociale dans les entreprises. L’État montre d’ailleurs le mauvais exemple en la matière puisque sa politique d’emploi public repose sur la stagnation de la dépense, la suppression d’emplois et le quasi gel des traitements des fonctionnaires. Il montre d’autant plus le mauvais exemple lorsqu’il accède systématiquement aux demandes du patronat, comme sur les trente-cinq heures, la pénibilité ou l’emploi des plus de cinquante ans.

Il faut changer de logique, monsieur le Ministre ! Nous souhaitons une utilisation plus rationnelle et plus efficace de l’argent public. On ne peut ainsi se satisfaire de dépenser plus de 20 milliards par an pour exonérer les entreprises des cotisations sociales qu’elles doivent. Ces exonérations pèsent sur les salaires puisqu’elles sont d’autant plus fortes que le salaire est faible. Pour un salarié payé au S.M.I.C., l’entreprise perçoit plus de deux cent vingt euros mensuels, sous forme de ristourne. Il s’agit d’une formidable incitation à poursuivre, ce montant constituant plus du quart de la rémunération effectivement perçue par le salarié ! Formidable incitation aussi à ne pas reconnaître les qualifications professionnelles, non rémunérées à leur juste valeur.

Nous voulons une autre politique de soutien à l’emploi, s’appuyant sur l’allégement de la contrainte financière pesant sur le crédit bancaire destiné aux entreprises. Il est temps de cesser de dépenser l’argent public à développer bas salaires, emploi de faible qualité, absence de reconnaissance des qualifications, précarité professionnelle et incertitude du lendemain.

De même, il est temps de faire le bilan des mesures fiscales prises depuis 2002, au nom de l’emploi. M. le rapporteur général souhaite faire œuvre pédagogique. Mais les moins-values fiscales sont estimées à 4,5 voire 10 milliards d’euros par M. Marini. Tout ceci est dû à la baisse de l’impôt sur le revenu que vous avez décidée et qui a profité aux plus hauts revenus !

La conjoncture économique montre que, malgré les cadeaux fiscaux multiples dont ont bénéficié les entreprises et les ménages les plus aisés, la croissance est en panne, le chômage reste à 10 % et le logement connaît toujours de fortes tensions. On a certes favorisé les investissements immobiliers mais on est loin d’avoir sécurisé le parcours locatif des demandeurs de logement.

Affaire de choix, me direz-vous, mais le fait est que rien n’a été résolu, bien au contraire, et les incitations fiscales accordées aux investisseurs immobiliers montrent là encore que l’argent public a été gaspillé.

Quand la société Gecina économise plus de 400 millions d’euros d’impôt sur les sociétés, que fait-elle ? Elle accroît la tension spéculative sur le marché immobilier dans les grandes villes, et notamment dans la capitale, qui frappe sans pitié aucune, des locataires modestes mais aussi les ménages des classes moyennes qui se croyaient à l’abri de la férocité du marché !

Voilà comment l’argent public vient au secours du dérèglement du marché ! Nous pourrions faire autrement en matière de logement ! En tout état de cause, lors de la discussion de la loi de finances pour 2006, nous porterons encore une fois les aspirations des Français qui n’ont pas, pour leur très grande majorité, l’impression de vivre au-dessus de leurs moyens !

Au mépris que vous affichez à l’encontre des légitimes demandes de la population, nous opposerons une autre politique fondée sur une meilleure utilisation de l’argent public, porteuse de développement économique et social et de croissance, seul moyen de réduire durablement les déficits publics, plus sûrement que toutes vos politiques de rigueur !

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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