Conseil des prélèvements obligatoires

Publié le 8 février 2005 à 16:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Marie-France Beaufils

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Le Conseil Constitutionnel a rendu un avis défavorable à l’introduction dans la loi de finances pour 2005 d’un article portant création d’un ’ Conseil des prélèvements obligatoires ’, reprenant, en les élargissant les compétences du Conseil National des Impôts. Aujourd’hui, nous examinons donc la proposition de loi co signée par le Président de la Commission des Finances et le Rapporteur Général tendant à revenir sur cette décision de non-conformité.
Les motivations de cette proposition restent fondamentalement les mêmes que celles de l’amendement à la loi de Finances.

Comme vous l’aviez dit en décembre, vous voulez créer une seule institution chargée d’apprécier l’évolution des prélèvements obligatoires, leur impact économique, social et budgétaire.
Vous considérez que cela doit se faire dans une autre institution que le Conseil national des impôts. Vous laissez entendre que c’est pour mieux prendre en compte ce que recouvrent les prélèvements obligatoires qui pour vous, sont à la fois les impôts et les prélèvements sociaux.
Pour justifier cette création, vous dites également que le fait que le Conseil national des impôts ne soit composé que de hauts fonctionnaires l’a conduit à une vision plutôt étatique.

En décembre, vous aviez exprimé que ces membres étant donc ceux qui mettaient en recouvrement l’impôt, vous vouliez que les représentants des contribuables y soient également présents.
Vous motivez votre proposition par le fait que vous estimez, je vous cite, « que nous devons cesser d’improviser, comme cela arrive parfois, les réponses fiscales, les réponses en termes de prélèvements obligatoires. Il arrive que l’on donne l’impression d’agir ou d’annoncer des décisions le dos au mur. Il nous faut donc désormais anticiper ».

Vous souhaitez que le Conseil des prélèvements obligatoires vous permette de mieux mettre en œuvre ce que vous appelez la maîtrise de la dépense publique. Celle-ci, aujourd’hui, est plus la suppression de l’intervention publique de l’Etat dans de nombreux domaines que la maîtrise. Si bien que même dans des secteurs où elle est indispensable au développement économique, à l’aménagement harmonieux du territoire, vous préférez la supprimer ou la réduire (je pourrais ainsi citer celui des transports, qu’ils soient urbains ou ferroviaires).

Vous estimez que la taxe professionnelle fait partie de ces prélèvements obligatoires qui, comme les charges sociales (je vous cite) « constituent des impôts de production, une sorte de droit de douane à l’envers. »
Vous dites que c’est pour préparer l’avenir, pour anticiper que vous souhaitez cette création, pour éclairer le débat et pour permettre au Gouvernement et au législateur de prendre les décisions appropriées.

En fait, nous le savons tous, cette proposition est venue suite au rapport du Conseil des impôts qui exprimait un avis très critique sur la politique d’allégement fiscal. Il ne faisait que constater tout simplement que les choix fiscaux que vous avez fait, n’avaient pas eu l’impact attendu. Il ne faisait qu’évaluer les décisions prises. N’est-ce pas là le rôle d’un organisme de ce type ? En tout cas, pour ma part, j’estime que c’est ce que nous pouvons en attendre.

Pourtant, vous voulez assigner au Conseil des prélèvements obligatoires un rôle de mesure de l’impact des décisions fiscales pour nous permettre, par exemple, d’apprécier comme elles nous donnent les moyens de rendre plus compétitifs nos territoires, selon votre expression.

N’est-ce pas cette analyse du Conseil des impôts que vous récusez, sous prétexte qu’elle est faite par des fonctionnaires, partie prenante de la gestion publique.
Pourtant, qui sont les membres de ce Conseil national des impôts ?
Le Premier Président de la Cour des Comptes, un ancien Directeur Général des Impôts (d’ailleurs en fonction à l’époque où vous étiez Ministre des Finances, Monsieur le Président de la Commission), vous proposez d’ailleurs de le garder, un ancien Contrôleur Général des Armées, un inspecteur général de l’INSEE, un Conseiller Maître à la Cour des Comptes, une conseillère à la Cour de Cassation, un Professeur agrégé des Universités, également directeur de la Revue Française de Finances Publiques, une Conseillère d’Etat qui fut Directrice adjointe des services de la Région Ile de France, un Conseiller Maître à la Cour des Comptes qui fut Président d’une Chambre régionale des comptes, un conseiller d’Etat ancien membre d’un cabinet ministériel entre 1987 et 1988.

Enfin, le rapporteur général du Conseil est un conseiller référendaire de la Cour des Comptes, conseiller technique des derniers Ministres des finances.
Ces personnalités ne jouissent donc pas, manifestement, d’un quelconque manque de sérieux ni de compétence, et encore moins de capacités à percevoir la portée de décisions et de mesures fiscales dont ils ont été parfois à l’origine.
Pourquoi dès lors mettre en question, ainsi que le fait la proposition de loi, leur avis sur la réalité de notre système fiscal ? En quoi seraient-ils moins indépendants que les candidats que vous nous proposez pour le Conseil des prélèvements obligatoires ?

Posons la question : l’élargissement des compétences et du nombre des membres du Conseil National des Impôts, pour le transformer en Conseil des Prélèvements Obligatoires obéit à quelle logique ?
Proposer que figurent dans le nouveau Conseil des personnalités dites qualifiées issues de la Société civile pose un certain nombre de questions. A qui pensez-vous précisément ?
Qui seraient ces personnalités qualifiées nommées par les différentes parties concernées ?
Avec la composition que vous proposez, deux de ces personnalités qualifiées seraient précisément des professeurs d’université, et nul doute que les personnalités qualifiées expressément désignées par le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat et le Président du Comité Economique et Social auraient probablement les mêmes caractéristiques.
Que recherchez-vous ? Des personnalités ayant une compétence en matière de droit et de sciences économiques, et dont l’acceptation des théories libérales serait plus conforme à vos attentes ?

Sous une présentation d’un ensemble de personnalités qualifiées, ce qui nous est proposé n’est ni plus ni moins que l’installation d’un organisme prétendument indépendant et pluraliste (mais d’un pluralisme aussi étroit que les différents représentants qui les choisissent) destiné à cautionner, à valider, dans une sorte de permanence immuable, les mêmes politiques budgétaires, les mêmes choix en matière de dépenses sociales, le même encadrement technocratique des politiques de développement local.
J’observe d’ailleurs qu’à vous suivre, le Conseil de prélèvements obligatoires ne serait pas amené, a priori, à réfléchir sur la portée de la participation de la France au budget de l’Union Européenne, alors même que celle-ci constitue elle aussi un prélèvement obligatoire comme les autres.

Ce que vous nous demandez de valider, Monsieur le Président de la Commission des Finances, Monsieur le Rapporteur général, n’est qu’un organisme de défense et illustration de la logique libérale qui imprègne vos choix politiques depuis 2002.
Or, on peut apporter ici quelques éclairages sur certains aspects de cette politique.
S’agissant de la situation de l’emploi, le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a pas cessé de se détériorer, le nombre des chômeurs inscrits frisant les trois millions, tandis que chaque année écoulée a vu se multiplier les plans de suppression d’emplois, et notamment dans le secteur industriel.

Comment ne pas relever également l’accroissement des difficultés de la protection sociale, de plus en plus victime de la modération salariale et des suppressions d’emplois, c’est-à-dire de la carence de ses recettes ?
Et comme chacun sait, vous avez voté, tant lors de la session de juillet 2003 que lors de la session de juillet 2004, des lois réformant les retraites et l’assurance maladie allant dans le même sens.

Toujours plus de sacrifices imposés aux assurés sociaux pour toujours moins de prestations en retour !
Toujours plus de sacrifices pour ceux dont le pouvoir d’achat est en perte de vitesse. Toujours plus de disponibilités financières pour les plus riches, une fracture sociale qui s’accroît, une pauvreté qui touche un nombre croissant de familles (plus de 14% de la population vit avec moins de 650 euros, seuil considéré comme celui de la pauvreté en Europe).

Et la loi sur les responsabilités locales, en organisant la décharge de l’Etat de ses responsabilités envers nos concitoyens sur les collectivités territoriales est appelée à peser lourdement sur la situation financière desdites collectivités, donc sur le contribuable local qui sera prochainement encore mis à contribution. Vous le reconnaissez d’ailleurs en proposant une personnalité désignée par la Ministre chargé de l’Intérieur, ainsi que la présence du Directeur général des collectivités locales lors des réunions de ce conseil.

Quant à votre obsession, la réduction de la dépense publique, vous voulez l’appliquer à tous les domaines, même là où elle présente un caractère d’équité et d’égalité de traitement entre les habitants de ce pays.
La France n’accepte pas cette politique qui considère l’être humain comme second dans les choix. L’exigence toujours accrue des marchés financiers, pèse lourdement sur les choix, détruisant peu à peu notre tissu économique. C’est intenable pour le présent comme pour l’avenir.
Vous nous l’avez dit, Monsieur le Président de la Commission des finances, ce que vous attendez de ce Conseil des prélèvements obligatoires, c’est qu’il participe à justifier la politique de réduction de la dépense publique dont nos compatriotes goûtent tous les jours les conséquences désastreuses.

Ce que vous reprochez évidemment au Conseil National des Impôts tel qu’il existe aujourd’hui, c’est d’avoir, dans ces deux derniers rapports, posé la question de la pertinence de bien des politiques menées depuis trois ans, alors même que les auteurs sont loin d’être suspects de complaisance aux idées que l’opposition parlementaire défend par ailleurs sur ces questions.
C’est cela, Monsieur le Président de la Commission des Finances, Monsieur le Rapporteur général, que vous ne supportez pas.

C’est cela que vous habillez ici de prétendus considérants scientifiques, visant entre autres à permettre à quelques économistes monétaristes ou néo libéraux de faire valoir les idées que vous partagez avec eux.
Pour autant, vous avez de la suite dans ces idées.
Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, publié, annuellement, serait évidemment un élément du débat, et comme il est probable qu’il aurait une coloration globale très proche de vos vues, il aurait tendance, assez naturellement, à fixer le débat fiscal et social que nous avons chaque automne sur la droite de l’échiquier politique.

Nous serions amenés à l’avenir ainsi à nous demander, « scientifiquement », s’il faut choisir entre privatisation des services publics locaux et hausse des impôts locaux, entre TVA sociale et cotisations sociales, pour ne citer que quelques exemples.
Vous nous l’avez dit, vous voulez travailler sur la mise en œuvre de ce que le Rapporteur général a appelé la TVA sociale, vous voulez la substituer à la fois aux cotisations sociales et à la taxe professionnelle.

Vous voulez faire valider votre proposition qui a été accueillie avec circonspection dans vos rangs mêmes, alors que vous le savez bien, elle va peser lourdement sur tous les foyers, y compris les plus modestes. Elle contribuera à affaiblir le pouvoir d’achat des familles et contribuera à une nouvelle chute de la consommation avec toutes les conséquences que l’on sait sur l’activité économique du pays, donc sur l’emploi.

En fait, ce que vous voulez, c’est alléger la contribution de l’activité économique à la couverture sociale des salariés, à l’aménagement du territoire. Je devrais dire que vous voulez aller plus loin. Car déjà, d’importants allégements de cotisations sociales normalement dues par les entreprises ou de taxe professionnelle sont pris en charge par le budget général.
17 milliards d’euros d’un côté et plus de 20 dans l’autre cas, ce qui fait que dès aujourd’hui, une part de la TVA y est consacrée, puisqu’elle représente une contribution non négligeable aux recettes fiscales du budget de l’Etat.
Et pour quels résultats ?

400 000 emplois ont été créés sous l’effet des lois Aubry de réduction du temps de travail, même si nous aurions souhaiter plus.
Mais combien ont été créés depuis les mesures Fillon aménageant l’application de la réduction du temps de travail ? C’est l’inverse, le chômage n’a cessé d’augmenter, dépassant les 9%.

Combien devons nous en attendre de l’éventuelle mise en œuvre de la proposition de loi Morange, commanditée en sous main par le Gouvernement, tant le dépôt d’un projet de loi aurait stigmatisé le Ministre des Affaires Sociales et son Ministre délégué ?

Il est vrai que depuis samedi dernier, avec l’ampleur des manifestations, expression du mécontentement, même si vous le niez, les choses deviennent plus complexes…
Nous ne voulons décidément pas d’un organisme dont la seule raison d’être serait de valider quoiqu’il arrive les mêmes logiques budgétaires, les mêmes politiques de régression sociale et de défense des intérêts et des privilèges.
Vous comprendrez donc que nous ne voterons pas les conclusions de la Commission des Finances sur la présente proposition de loi.

Marie-France Beaufils

Ancienne sénatrice d’Indre-et-Loire
Contacter par E-mail

Ses autres interventions :

Sur le même sujet :

Budget et fiscalité