Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le périmètre de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » comprend la gestion patrimoniale de l’État et recouvre une bonne partie des enjeux de la fonction publique, puisque les crédits dévolus aux politiques de ressources humaines de l’État y sont intégrés. Je me bornerai donc, ici, à une simple évaluation des programmes relatifs au fonctionnement de nos administrations fiscales.
Le projet de budget pour 2010, comme beaucoup d’autres avant lui, fait de la réduction des effectifs de l’administration fiscale l’une des priorités de sa définition et de son exécution.
Cette année encore, près de 3 000 emplois vont être supprimés, menant l’administration à l’un des plus faibles niveaux d’emploi qu’elle ait jamais connus.
Pour la seule direction générale des finances publiques, la DGFIP, ce sont 2 569 emplois qui sont appelés à disparaître en 2010, car, selon ses responsables, les « avancées technologiques » et les « gains de productivité » sont tels que l’on peut, sans remettre en cause la qualité de service, ajuster le nombre d’emplois à la baisse.
À la vérité, une telle vision ne fait que s’appuyer sur quelques dogmes très prisés dans les milieux patronaux et gouvernementaux, notamment celui qui voudrait que « moins de fonctionnaires, ce serait moins de dépenses publiques et moins de déficit ».
L’un des problèmes, d’ailleurs mis en exergue dans son rapport par notre collègue Bernard Angels, est que la fusion entre les services du trésor et des impôts, qui a fait émerger la direction générale des finances publiques, ne semble pas rencontrer l’adhésion des personnels eux-mêmes.
Le dialogue social à la DGFIP est de plus en plus complexe, comme le montre le fait savoir que les organisations syndicales représentatives des personnels ont toutes quitté, le 30 novembre dernier, le comité technique paritaire central, dont l’ordre du jour portait précisément sur le budget pour 2010, est particulièrement éclairant à cet égard.
De même, l’augmentation du nombre de jours d’arrêt maladie, témoignant du mal-être des personnels, ainsi que l’accroissement non négligeable de la participation des agents aux mouvements revendicatifs sont autant de signes révélateurs de certains dysfonctionnements dans notre administration fiscale. La cause en est connue : les missions de service public – essentielles pour la nation – accomplies par les services fiscaux sont de plus en plus mises en cause.
Le plan de relance de l’économie, ne l’oublions pas, a consisté, pour une large part, à faire des centres des finances publiques des « guichets ouverts » de remboursements anticipés pour les entreprises, sans que des mécanismes de vérification ou de simple contrôle des procédures en question soient réellement mis en place.
En clair, on a recommandé aux agents, aux contrôleurs, aux inspecteurs de la DGFIP de réduire les activités de contrôle fiscal et de mettre l’administration au service des objectifs politiques immédiats du Gouvernement.
L’adoption successive de nouvelles procédures, telles que la télédéclaration, le télépaiement, le rescrit fiscal, l’expérimentation de nouvelles modalités de contrôle, conduit d’ailleurs à constater que, dès qu’il s’agit des entreprises, l’administration fiscale finit par adopter un profil nettement plus coopératif que celui qu’elle met en œuvre vis-à-vis des particuliers.
Pendant ce temps, on le sait, les avancées technologiques ne sont pas toujours des plus pertinentes.
En effet, dans un rapport d’information déposé le 28 octobre dernier, notre rapporteur spécial Bernard Angels indique que le programme COPERNIC, destiné notamment à faciliter ce que l’on appelle la e-administration, s’avère pour l’heure d’un montant supérieur aux prévisions initiales et d’une efficacité aléatoire, ainsi que l’ont montré certaines campagnes de recouvrement.
Le fait que COPERNIC ait été lancé par la seule DGI et que l’outil semble peu adapté à la nouvelle DGFIP, qui regroupe donc les services des impôts et du trésor, constitue d’ailleurs un problème réel. Cette fusion apparaît bel et bien comme la source de toutes les difficultés actuelles.
Nous nous y sommes opposés dès l’origine, notamment parce que l’un des principes sur lesquels s’est construite notre République est la séparation entre celui qui établit le rôle de l’imposition de celui qui en encaisse le produit.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les dérives qui minent aujourd’hui le service public fiscal, et dont le budget pour 2010 est la traduction, ne peuvent recevoir notre agrément. C’est pourquoi les parlementaires du groupe CRC-SPG ne voteront pas les crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera exclusivement sur le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ». À écouter notre collègue Nicole Bricq et à lire son rapport, la politique retracée dans ce compte serait encore très perfectible.
J’irai beaucoup plus loin en relevant que la gestion du patrimoine immobilier de l’État doit être très fermement prise en main. C’est toute la logique actuelle qui doit être revue, faute de quoi les pratiques récemment épinglées par la Cour des comptes n’auront aucune raison de cesser.
Certes, tout avait bien commencé avec la création, par l’article 8 de la loi de finances rectificative pour 2005, d’un compte d’affectation spéciale retraçant les recettes de cessions des immeubles de l’État et leur emploi. Cette mesure a coïncidé avec la mise en œuvre d’une politique immobilière étatique volontariste.
Ce compte mûrit encore dans le document budgétaire qui nous est présenté avec la double extension de son périmètre. En particulier, l’intégration aux recettes des droits à caractère immobilier attachés aux immeubles de l’État ne pourra qu’en améliorer la lisibilité. Ainsi disposerons-nous de l’ensemble des recettes issues de la rationalisation du parc immobilier étatique au sein du même véhicule budgétaire.
Toutefois, par-delà la question formelle de la fidélité du cliché présenté au Parlement, se profile le problème essentiel : quelle est la stratégie immobilière de l’État ? En l’état actuel, elle semble inexistante.
Les documents qui nous sont soumis ne révèlent qu’une logique d’affichage purement quantitative. À partir de 2005, France Domaine s’est vu assigner des objectifs annuels de cessions immobilières de plus en plus ambitieux, afin d’accroître les recettes budgétaires non fiscales et de réduire le déficit.
Cette logique de surenchère dans la vente conditionne tout le reste, c’est-à-dire tout ce que dénonce le rapport public annuel 2009 de la Cour des comptes et ce à quoi il faut mettre fin.
À cet égard, je formulerai trois critiques.
D’abord, nous n’avons pas forcément vendu ce qu’il fallait. Afin de remplir leurs objectifs chiffrés, les services ont privilégié la cession des bâtiments les plus prestigieux et les plus coûteux. C’est ainsi que les produits se sont concentrés sur un petit nombre de cessions intervenues principalement dans la capitale, dont je suis l’un des élus. La quasi-totalité des cessions concerne des immeubles situés dans les VIe, VIIe, VIIIe et XVe arrondissements de Paris. Or la plupart des ministères concernés n’avaient pas donné leur assentiment. C’est ainsi que l’on a vendu le centre de conférences internationales de l’avenue Kléber et l’hôtel de Montesquiou-Fézensac, rue Monsieur.
Ensuite, non seulement nous n’avons pas forcément vendu ce qu’il fallait, mais, par ailleurs, l’État a pu mal vendre ses biens. Je ne suis pas persuadé que la cession de l’immeuble de l’avenue Kléber ait été une opération rentable, compte tenu du fait que l’organisation dans un autre lieu des trois ou quatre congrès ou sommets susceptibles qui auraient pu s’y tenir coûtera autant que ce que la vente a pu rapporter. Disant cela, je ne fais que paraphraser le propos de M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Lors de l’examen de la mission « Action extérieure de l’État », M. le ministre des affaires étrangères et moi-même nous sommes accordés sur la nécessité d’avoir à Paris un vrai centre de congrès.
À l’avenir, il est possible que nous vendions encore plus mal, étant donné que France Domaine se voit assigner des objectifs qui sont indépendants de l’état du marché immobilier.
Même lorsque le marché était haussier, les cessions de l’État n’ont sans doute pas été réalisées au meilleur prix, comme en témoignent les plus-values phénoménales obtenues en un temps record par un trop grand nombre des principaux acquéreurs de biens étatiques. L’une de ces plus-values a atteint 106 % du prix d’achat en seize mois ! Une autre a pu se chiffrer à 34 % en quinze jours ! Si des cessions si aberrantes ont pu être consenties dans le cadre d’un marché haussier, qu’en sera-t-il aujourd’hui ?
Enfin, ceci découlant sans doute de cela, dans la hâte à faire du chiffre, les ventes ont été réalisées dans de très mauvaises conditions juridiques.
L’augmentation du nombre des opérations et de leur importance financière ne s’est pas accompagnée d’un renforcement des règles régissant les procédures de cessions immobilières, qui demeurent incomparablement plus réduites que celles qui sont retenues ordinairement par l’État dans des domaines à fort enjeu financier, tels que celui de la commande publique.
Les dispositifs juridiques encadrant les cessions immobilières de l’État sont largement insuffisants. Contrairement à ce qui régit l’achat public, il n’existe aucun texte garantissant et organisant l’égalité de traitement entre les candidats. Le seul texte organisant les opérations de vente est un guide pratique des cessions amiables. En l’absence de règles précises, le contrôle des opérations et l’éventuelle sanction pour atteinte à la transparence des procédures sont rendus impossibles.
De plus, l’information fournie à la commission créée par l’arrêté du 20 octobre 2005 et chargée de veiller à la transparence et à la qualité des opérations de cession amiable d’immeubles du domaine privé de l’État est encore très incomplète. Et les plus importantes opérations, celles de gré à gré, en sont tout bonnement exclues.
Plus grave encore, ainsi que la Cour des comptes le révèle dans son rapport, les mouvements financiers par lesquels les investisseurs se portent acquéreurs de biens immobiliers de l’État ne sont pas toujours aisés à suivre et peuvent conduire à des dérives inadmissibles.
C’est le cas lorsque se substituent aux acquéreurs des sociétés non résidentes et immatriculées dans des paradis fiscaux. C’est déjà arrivé à plusieurs reprises pour des opérations très importantes impliquant des sociétés immatriculées au Luxembourg ou aux Îles Vierges britanniques.
Mes chers collègues, on ne peut pas, d’un côté, approuver le discours volontariste du Président de la République contre les paradis fiscaux et, de l’autre, laisser l’État faire ce genre de choses. Il faut être cohérent !
Je souhaite donc vous interroger, monsieur le ministre. Pour ce qui concerne le passé, le Gouvernement a-t-il l’intention de lancer une série d’enquêtes sur les cessions les plus problématiques déjà réalisées, voire de leur donner des suites judiciaires ? Pour l’avenir, le renforcement du corpus juridique des cessions immobilières du domaine privé de l’État est-il à l’étude ? En particulier, la généralisation des clauses de sauvegardes en cas de plus-values et la saisine systématique de TRACFIN pour les cessions les plus importantes sont-elles envisagées ?