Personne ne peut aborder ce chapitre du budget sans évoquer les intermittents, ces artistes et techniciens qui depuis 1969 sont rémunérés modestement mais rémunérés pour leurs périodes d’entre les contrats qui sont des périodes de travail invisible.
Oui, la bataille des intermittents n’est pas corporative mais fondamentale et porteuse d’avenir. C’est aussi un symptôme. On doit être partenaire d’un symptôme, et non son chasseur.
Ces femmes et ces hommes de liberté rencontrent souvent nos désirs et nous donnent du plaisir.
Or le gouvernement passe en force, est avec eux d’une intransigeance rare alors que l’accord du 26 juin mettant en cause l’existence de beaucoup d’entre eux, notamment des plus jeunes est minoritaire et combattu par l’immense majorité de la profession artistique et au-delà. Il ne les reçoit pas. L’hôtel Matignon, je ne sais pas si la sonnette est détraquée ou quoi, on dirait qu’on appuie le doigt sur le silence.
Cette intransigeance gouvernementale vient encore de s’exprimer en couvrant les trafics de texte de l’accord et hier encore la délégation générale à l’emploi à continué d’avaliser cette façon de faire.
Les résultats « escomptés » ? : 30 000 personnes exclues de l’Unedic, 30 000 personnes déclarées en trop dans la société.
Petit à petit et cela s’accélère, le gouvernement rejette des hommes et des femmes hors du travail. Le gouvernement, dont votre ministère réduit, ampute, diminue, essore la population active de ce pays, avec le cortège que cela a sur le plan des fêlures, des brisures sur les individualités concernées.
La fracture sociale s’élargit et devient une crevasse.
L’écrivain François Bon dans son livre Temps Machine évoque les réactions des victimes et leurs commentaires : « c’est notre vengeance de mains noires, car ils ne savent plus quoi faire de nous. »
Il y a des vengeances de mains noires qui peuvent s’appeler 21 avril.
Donc on ne saurait plus quoi faire d’une partie des artistes... et les silences, les atermoiements, les refus, la complicité de fait du gouvernement avec le Medef deviennent insupportables.
Le communiqué du Syndeac du 27 novembre dénonçant l’absence de dialogue social est significatif. Soyez assuré que contrairement à ce qui se dit, rue de Valois, le ministère de la culture n’est pas maintenant tranquille avec les intermittents.
Les intermittents sont une dimension essentielle de la création dont la société française à besoin, comme « bien public ».
Vous atteignez en la circonstance le « cœur du métier » des arts. Quelle « performance » !
Au groupe de réflexion créé par la commission culturelle de notre assemblée nous avons reçu des intermittents mardi dernier, et je veux me faire l’écho de la situation d’un jeune musicien :
Il s’agit de Monsieur Frédéric Mulet qui a obtenu en juin 2001 le diplôme de formation supérieur de cor et de musique de chambre, mention très bien. J’ai là d’ailleurs son diplôme signé par Alain Poirier, directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.
Ce jeune homme a d’abord réussi ce qui est une gageure à obtenir les fameuses 507 heures déclarées sur 12 mois qui permettent d’être admis aux annexes 8 et 10 de l’Unedic. Cela a permis aux Assedics de lui calculer son salaire journalier de référence qui est égal à 13 euros. Or, cette année où l’Unedic prétend appliquer les accords le 1er janvier 2004, Frédéric Mulet n’a pour le moment d’autre travail sur un mois que quatre jours à l’orchestre des lauréats du Conservatoire.
Avec le protocole du 26 juin, re-signé le 13 novembre dernier, les Assedics calculent les jours non indemnisés en divisant les rémunérations brutes du mois concerné, c’est-à-dire 400 euros par le salaire journalier de référence, c’est-à-dire 13 euros. Pour Frédéric Mulet, cela fait 30,76 jours non indemnisables. Donc il ne percevra aucune allocation pour ce mois. Il nous a fait valoir qu’un de ces collègues qui a un salaire journalier de référence plus élevé (200 euros) le nombre de jours indemnisables est 400 euros divisé par 200, égal 2 jours. Il touchera donc des indemnités, 30 jours moins 2 jours, égal 28 jours.
Voila les aberrations de l’accord du 26 juin. Et il en est beaucoup d’autres.
Je ne veux pas allonger encore qu’il faut savoir qu’à l’Unedic en 2002 les intermittents du spectacle qui représentent 4,9% des indemnisés n’ont touché que 3,6% des indemnités.
Bien sûr télévisions et radios, y compris publiques, taisent tout cela. Alors je demande :
- premièrement, que le gouvernement ne s’enfonce pas plus dans l’injustice et refuse l’agrément du texte minoritaire et trafiqué ;
- deuxièmement, que le gouvernement assume sa responsabilité publique en demandant aux signataires de reprendre la négociation ;
- troisièmement, qu’ici au sénat il y ait un débat consacré à cette question, et cela avant la fin de la session.
- quatrièmement, que France 2 et France Inter organisent un débat contradictoire. Je le verrais bien pour ma part dans l’émission 100 minutes pour convaincre sur l’intermittence.
Le groupe auquel j’appartiens va déposer après avoir revu toutes les personnes concernées une proposition de loi concernant l’emploi artistique si capital pour les intermittents, pour la politique culturelle de la France, pour la diversité culturelle qui ne peut être seulement un argument international mais doit être d’abord un argument national.
Vous savez, on peut empêcher beaucoup de choses, sauf les idées et les imaginations. Un ami, dans une conversation concernant la santé a utilisé une image dynamique qui est très opérative pour le sujet dont nous traitons.
Il y a deux façons de traiter un problème, une douleur, une intimité blessée.
La première, c’est Cyrano avec sa tirade du nez comme solution vivante.
La deuxième, c’est la chirurgie esthétique, remboursée ou non par la sécurité sociale.
Eh bien avec les artistes intermittents, c’est la tirade et vous ne l’empêcherez pas.
Le 8 décembre, je participerai à la manifestation organisée par de nombreuses associations professionnelles et autres sur la question de l’intermittence.
Mais, dès demain soir, je serai à Besançon avec des intermittents et leurs amis. Besançon c’est Hugo, et vous savez sa tirade sur l’intelligence. Je la condense : éclairer les rues, c’est bien, mais éclairer les esprits c’est essentiel.
Les artistes sont toujours des éclaireurs.