Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner trois avenants à des conventions fiscales liant la France à trois pays de nature en apparence fort différente.
Le premier d’entre eux est l’un de nos partenaires européens : l’Autriche, cette étrange nation où l’on compte six fois plus de comptes en banque que de résidents et qui, à l’instar du Luxembourg, semble bel et bien constituer, sous les dehors d’une prospérité de bon aloi, une forme de paradis fiscal en plein cœur de la zone euro.
Le deuxième est l’île Maurice, paradis des vacanciers relativement fortunés, pays qui, malgré la grande misère d’une bonne partie de sa population, tend de plus en plus à devenir non seulement une espèce d’arrière-cour des hommes d’affaires, singulièrement britanniques, mais aussi une plateforme offshore des services financiers dans l’océan Indien.
Le troisième est le féodal et arriéré royaume d’Arabie saoudite (Mme Nathalie Goulet proteste.),…
Mme Éliane Assassi. Il a raison !
M. Éric Bocquet. … avec ses millions d’immigrés affectés aux activités économiques assurant la fortune des clans familiaux qui mènent le pays depuis sa création, son absence totale de vie démocratique, la persistance de conditions d’exploitation de la main-d’œuvre relevant d’un autre temps.
Bref, si ces trois pays sont différents, ils présentent des caractéristiques communes, dont la moindre n’est pas d’apparaître comme de bons élèves d’une classe financière internationale où l’on affiche une volonté de transparence sans toujours lui donner le plus petit début de traduction concrète.
Ce n’est pas la première fois, mes chers collègues, que nous débattons de conventions fiscales internationales, en général fondées sur un avenant permettant d’assurer l’échange de renseignements. En ce qui nous concerne, nous tenons à exprimer les plus grandes réserves quant à l’adoption de telles conventions.
Nous sentons d’ailleurs, à la lecture du rapport de Mme la rapporteure générale, que l’examen des textes qui nous sont soumis aurait gagné à être encore plus approfondi. Les précautions de langage auxquelles elle recourt semblent montrer que nous restons éloignés de l’absolue et nécessaire transparence.
M. Francis Delattre. À quand les Soviets ?
M. Éric Bocquet. Mme Bricq nous a apporté les précisions suivantes en commission des finances :
« Deux annexes au projet de loi de finances pour 2012 devaient être transmises au Parlement, au moment de la discussion du budget : un bilan sur le contrôle des filiales détenues à l’étranger par les entreprises françaises ; ensuite, un bilan du réseau conventionnel français en matière d’échange de renseignements.
« Nous attendons toujours le premier. Il devrait nous livrer des éléments tangibles d’évaluation tels que le nombre de réponses à nos demandes d’assistance. La loi de finances pour 2011, qui a créé cette annexe, précise même que ce bilan doit permettre “ d’actualiser la liste nationale des territoires non coopératifs ”. Le second nous est parvenu avant-hier soir. Or il fournit des informations qui avaient été en partie communiquées dès le 24 novembre 2011 par Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement, lors de sa conférence de presse sur la fraude fiscale.
« Ce bilan est inquiétant : le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 %, dont la plupart des éléments fournis étaient déjà connus de nos services. Il ne marque aucun progrès et révèle les limites de cette politique conventionnelle. La ministre a, par ailleurs, renouvelé son constat lundi dernier sur une antenne privée et envisage de durcir les sanctions.
« La méthode est curieuse. Je rappelle que les sanctions s’appliquent automatiquement aux États qui figurent sur la liste. Pourquoi, d’un côté, durcir les sanctions si, de l’autre, la politique du Gouvernement consiste à vider la liste de nos États non coopératifs pour les sortir du champ même d’application de ces sanctions ?
« Ne serait-il pas plus judicieux d’attendre la mise en place des capacités administratives et juridiques à coopérer des territoires avant de signer, afin de ne pas être amené à radier un pays de la liste puis devoir l’inscrire à nouveau, une fois constaté l’échec de la coopération ? Pourquoi tant de hâte à signer ces accords fiscaux ? Quels sont les critères qui conduisent le Gouvernement à sélectionner un pays plutôt qu’un autre ? »
J’ai tendance à penser, mes chers collègues, que poser les questions soulevées par Mme la rapporteure générale revient à y répondre !
Quand on constate que les accords d’échange de renseignements débouchent sur un taux de réponse de seulement 30 % – et ce ne sont pas forcément des pays émergents ou en voie de développement à administration défaillante qui négligent de répondre, puisque les cas de la Belgique, de la Suisse et du Luxembourg sont directement évoqués –, on peut s’interroger sur l’intérêt de tels avenants et conventions fiscales !
Alléger quelque peu la liste des territoires et pays non coopératifs pose toute une série de problèmes. Non seulement nous donnons quitus à des pays aux administrations fiscales défaillantes et aux règles fiscales fondées en général sur un dumping déloyal du point de vue de la concurrence économique, mais surtout nous conférons l’onction de la légalité et de la régularité à toutes les méthodes et procédures utilisées par nos entreprises implantées dans ces pays et territoires pour y dissimuler des avoirs, des biens, y localiser des services, y optimiser des bénéfices…
C’est bien de cela qu’il s’agit, outre le fait qu’éviter la double imposition de revenus saoudiens profitera davantage au fils cadet d’un prince de la famille régnante qu’à un Philippin employé dans l’un de ses palais (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)…
Mme Éliane Assassi. C’est sûr !
M. Éric Bocquet. J’observerai d’ailleurs que si la rente pétrolière et gazière est très lourdement taxée en Arabie saoudite, il n’en va manifestement pas de même des revenus tirés de tout placement financier ou immobilier financé grâce aux profits engendrés par cette activité !
Pour l’ensemble de ces raisons, nous ne pouvons évidemment que voter contre les trois projets de loi qui nous sont soumis aujourd’hui. Leur objet est connu : faire entrer « au chausse-pied » les territoires et pays concernés dans la liste « blanche » de la finance globale et transparente. Cette évolution est d’ailleurs moins dans leur intérêt – même si, dans le cas de l’Arabie saoudite, le lien organique entre État et famille régnante est pour le moins solide ! – que dans celui de tous ceux qui, dans des pays comme le nôtre, cherchent à bénéficier d’un label de virginité pour couvrir leurs petites affaires menées sur place. Nous ne pensons pas que notre législation fiscale gagne beaucoup à se borner à assurer de petits arrangements entre amis, aux dépens de l’intérêt général.