Les lobbys s’en sont donné à cœur joie

Reconquête de la biodiversité (deuxième lecture)

Publié le 10 mai 2016 à 17:53 Mise à jour le 13 mai 2016

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis désolée de le dire, nous sommes entrés de plain-pied dans la campagne électorale, et ce texte est l’un des premiers à en souffrir.

La « reconquête de la biodiversité » a cédé la place à la reconquête politique. J’en veux pour preuve les reculs, retours en arrière et offensives menées sur tous les sujets, qui visent purement et simplement à illustrer le slogan devenu célèbre : « L’environnement, ça commence à bien faire. » (M. Ronan Dantec applaudit.)

Pourtant, en première lecture, c’est-à-dire dans un passé pas si lointain, un travail sérieux et approfondi avait été mené, avec la volonté de trouver des compromis satisfaisants, d’imprimer la marque du Sénat et de s’inscrire dans une trajectoire de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Cela attestait, semblait-il, d’une prise de conscience, sur toutes les travées, des atteintes à la biodiversité, de l’effondrement des espèces – je me souviens que tous les orateurs en ont parlé dans la discussion générale –, de la prolifération anarchique des déchets en milieu marin ou encore des risques pour la santé liés à l’utilisation massive de produits chimiques nuisibles aux êtres vivants.

La deuxième lecture, destinée habituellement à préciser ou améliorer un texte et à trouver un accord avec l’Assemblée nationale, se veut ici une réécriture. En témoigne notamment la volonté de changer le titre du projet de loi par voie d’amendement.

Les lobbys s’en sont donné à cœur joie, nous le sentons bien au travers de l’ensemble des amendements déposés dans le cadre de cette deuxième lecture.

Pourtant, nous sommes plus que jamais persuadés que l’état de notre environnement, les questions de climat, de préservation des ressources et de protection de la biodiversité sont déterminants pour l’avenir de l’humanité et de l’économie.

Bien sûr, des avancées ont été obtenues, qu’il ne convient pas de nier. Ainsi 58 articles ont-ils déjà été votés conformes, M. le rapporteur l’a dit. Des questions importantes, comme le travail de définition, la création d’outils de protection adaptés à la biodiversité terrestre, aquatique et marine, les obligations et sanctions renforcées en cas d’atteinte à la biodiversité comme la reconnaissance du préjudice écologique et la transposition du protocole de Nagoya, ont trouvé une traduction législative utile.

Les avancées en matière de protection, comme la brevetabilité du vivant et la lutte contre les pollutions de la mer, sont à mettre au crédit de ce texte. Même si, concernant le brevetage du vivant, sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’adoption d’un amendement de notre collègue Cyril Pellevat a affaibli le principe posé en première lecture par notre Haute Assemblée, selon lequel personne ne peut s’approprier la nature. Ce sujet me paraissant important, j’y reviendrai à l’article 4 bis.

De même, nous pouvons regretter la timidité du Parlement français concernant le chalutage en eaux profondes, un sujet que notre groupe avait introduit en commission en première lecture.

J’ajoute aussi à cette liste une prise de conscience grandissante, grâce aux débats, des parlementaires et de nos concitoyens, qui se mobilisent de plus en plus sur des questions de santé, l’usage des pesticides, l’utilisation souvent abusive et monopolistique des OGM. Toutes ces problématiques se rejoignent et relèvent au fond d’une seule question : pouvons-nous continuer à empoisonner la planète en pensant que cela n’aura pas d’incidence, à terme, sur le vivant et l’activité économique ? La réponse est clairement non !

C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas baisser les bras. Ce texte peut encore évoluer positivement, et nous nous y emploierons.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Très bien !

Mme Évelyne Didier. Nous porterons des propositions et des questions, notamment sur l’action de groupe dans le domaine environnemental, les limites du secret industriel et commercial, le frelon asiatique, le principe ERC – éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel –, l’agrément des opérateurs et les néonicotinoïdes, pour n’en citer que quelques-unes.

Je voudrais maintenant aborder la question de l’Agence française pour la biodiversité, qui est au cœur de ce texte.

Si les communistes ont toujours regretté la perte de compétences des ministères, qui vise à réduire le rôle de l’État en transférant lesdites compétences à des agences, nous pensons qu’il est nécessaire de favoriser la lisibilité et la cohérence des actions menées. C’est la raison pour laquelle nous continuerons à proposer que l’Agence française pour la biodiversité soit le lieu de la concertation de toutes les parties concernées par la biodiversité. L’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, n’en est pas la moindre. De ce fait, il doit tout faire pour collaborer avec les autres acteurs.

M. Michel Raison. On le dépouille !

Mme Évelyne Didier. Allons, mon cher collègue, personne ne dépouille personne ! On est allé chercher un gros canon pour détruire une mouche.

Je dois dire à ce sujet que la charge menée par les partisans de cet office, sur tous les bancs, est disproportionnée et, in fine, contraire à l’intérêt général. C’est une défense partisane et catégorielle, alors qu’il existe, j’en suis convaincue, des voies pour une coopération fructueuse de toutes les parties, qu’il convient d’appeler de nos vœux.

Pour en revenir à l’AFB, les moyens qui lui seront donnés et la reconnaissance des métiers et des personnes conditionnent la réussite de ce projet. En première lecture, j’avais fait le vœu que les personnels soient davantage reconnus et associés et les métiers, valorisés. J’aimerais d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, que vous puissiez faire le point sur ce sujet au cours de nos débats.

Nous aborderons bien sûr les questions fiscales. La fiscalité carbone a surtout fait la preuve de son inutilité et de son échec. Les redevances nouvelles envisagées dans ce texte, si elles taxent à nouveau les citoyens de manière disproportionnée, à l’instar des redevances des agences de l’eau, seront injustes socialement. Faisons donc attention !

Enfin, nous devrons, sur la question du vivant, abandonner le vocabulaire et les outils de l’économie de marché : rentabilité, productivité, banque d’actifs, n’ont rien à faire, nous en sommes convaincus, dans la protection des conditions de la survie des espèces, particulièrement de l’espèce humaine.

Plus que jamais, nous devons le dire, ce qui compte, c’est d’abord l’humain.

Évelyne Didier

Ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle
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