Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où commence l’examen de cette proposition de résolution, la question de l’impact de l’activité agricole sur l’environnement est plus que jamais au cœur des débats politiques et sociaux, en France et en Europe.
À cet égard, la nécessité d’une transition agroenvironnementale a été particulièrement soulignée lors des derniers États généraux de l’alimentation, mais aussi lors de la discussion du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, qui en est issu, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Ainsi, la sécurité alimentaire, la santé publique, le bien-être animal ou la préservation des milieux naturels et de la ressource en eau sont aujourd’hui des défis que le monde agricole doit relever.
Si la nécessité de transformer en profondeur notre modèle agricole pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement est un impératif indiscutable, nous devons toutefois y consacrer les moyens nécessaires. C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender les débats sur les paiements pour services environnementaux, très en vue au niveau européen dans le cadre de la négociation de la future PAC et dont il est question dans cette proposition de résolution présentée au nom du groupe socialiste et républicain.
Que contient ce texte ? Sur le modèle de ce qui a été fait, par exemple, au Costa Rica, il vise à inciter les grandes entreprises agroalimentaires à mettre en œuvre le principe « zéro déforestation ».
Dans les faits, il s’agit de rémunérer les agriculteurs qui adopteraient des pratiques favorables à la préservation de l’environnement. Ce dispositif repose sur des contrats pouvant impliquer des acteurs privés, tels que des propriétaires fonciers, des entreprises ou des associations et des acteurs publics. L’intention de départ est donc très bonne.
Notons toutefois qu’il existe déjà un mécanisme pouvant être assimilé à un dispositif de type PSE, en Europe et en France : les mesures agroenvironnementales et climatiques de la politique agricole commune. Franck Montaugé a souligné la possible complémentarité de ces MAEC et du dispositif qu’il propose ; il n’en demeure pas moins que ces mesures offrent déjà des possibilités d’agir.
Dans le cadre des MAEC, l’agriculteur s’engage à respecter des pratiques environnementales précises allant au-delà de la réglementation, en contrepartie de quoi l’administration lui verse un financement public couvrant les coûts supplémentaires entraînés par ces pratiques et les pertes de revenu, ainsi que les coûts de transaction.
Les auteurs de la proposition de résolution entendent faire autrement : il ne s’agirait plus, comme aujourd’hui, de compenser des surcoûts ou des manques à gagner, mais de rémunérer une pratique environnementale à travers un financement public ou privé.
M. Jean-Claude Tissot. Non, ce n’est pas cela !
M. Franck Montaugé. Ce n’est pas du tout cela !
Mme Cécile Cukierman. L’idée est séduisante, et le débat sur les PSE permet d’interroger la notion de bien commun, dans laquelle j’inclus bien évidemment l’environnement ; mais il soulève également des questions sur la notion de propriété foncière : quid de la transmission des contrats en cas de cession d’exploitation ? Bien plus, ce débat pose la question d’un réel accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique.
Pour séduisants qu’ils soient, les PSE soulèvent des questions qui nous semblent occultées, en tout cas peu traitées, par la présente proposition de résolution. Ainsi, comment éviter les effets d’aubaine ou l’éco-opportunisme ? Les PSE ne sont intéressants que si tout risque de chantage environnemental – si vous ne me payez pas, je détruirai – est écarté et si tous les agriculteurs peuvent potentiellement en bénéficier.
De plus, comme le soulignent certains, la généralisation des PSE pourrait entraîner la disparition de pratiques désintéressées participant à la protection de la nature : dès lors qu’une rémunération peut être envisagée, pourquoi ne pas en profiter ? Peut-être aussi deviendrait-il de plus en plus difficile de mettre en place des normes environnementales, du fait, notamment, du principe de contractualisation, qui s’appliquerait au détriment des normes législatives.
Enfin, il faut être attentif à l’écueil consistant à voir dans la protection de l’environnement, à terme, l’unique justification de l’intervention publique en agriculture.
La correction des défaillances de marchés au fondement des crises économiques agricoles ne serait alors plus légitime, alors qu’elle justifie tout autant une intervention publique. Cette dernière action est d’autant plus nécessaire que les propositions aujourd’hui sur la table des négociations laissent présager une PAC beaucoup moins commune, dans laquelle les budgets seraient fortement réduits et on renoncerait à toute politique environnementale ambitieuse et globale.
Ces contrats PSE peuvent ainsi participer à une remise en cause de la vision publique de l’environnement et à la possibilité d’une privatisation – j’ose le mot – du droit de l’environnement.
Pour toutes ces raisons, la majorité des membres de notre groupe ne votera pas cette proposition de résolution, qui, sans garde-fou, risque de laisser de nombreux agriculteurs en dehors du dispositif.
Nous pensons qu’il faut développer une réflexion alternative, ainsi qu’il a été précédemment évoqué, notamment autour du concept de rémunération des externalités positives, qui prend en compte l’environnement, mais aussi les avantages sociaux, la dimension humaine, l’aménagement du territoire et, finalement, le lien entre territoires ruraux, pratiques agricoles et défis climatiques à venir.
Selon nous, le passage d’un modèle intensif à un modèle vertueux doit être largement soutenu. Pour autant, la majorité d’entre nous pense que cela ne passe pas par le dispositif proposé, tel qu’il est aujourd’hui conçu. La plupart d’entre nous s’abstiendront donc sur cette proposition de résolution.