Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dire que cette proposition de loi a eu un parcours tumultueux est un doux euphémisme. À l’origine, la résiliation infra-annuelle des contrats de complémentaire santé devait être annoncée par le Président de la République dans le cadre des mesures d’urgence de décembre dernier, en réponse à la mobilisation des « gilets jaunes ».
Puis, elle devait être intégrée au projet de loi Pacte. De crainte d’une censure du Conseil constitutionnel, elle a été reculée une seconde fois.
C’est finalement le groupe La République En Marche, majoritaire à l’Assemblée nationale, qui a déposé ce projet de loi déguisé et l’a fait adopter, malgré les désaccords de plusieurs députés de son propre camp.
Au Sénat, la droite sénatoriale s’est livrée à une volte-face en quelques semaines. En effet, lors de la première réunion de la commission des affaires sociales, le groupe Les Républicains avait vertement critiqué cette possibilité de résiliation des contrats et avait voté la suppression des articles correspondants. Le texte avait alors été vidé de son contenu, donc de sa raison d’être. Nous ne pouvions que nous réjouir d’un tel positionnement, pour des raisons que je développerai ensuite.
Or, mardi dernier, nous avons assisté à un tout autre scénario : la droite sénatoriale a déposé des amendements réécrivant le texte dans sa version originale. Il faut croire que la suspension des travaux parlementaires a modifié la donne ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Pourquoi, dès lors, ne pas avoir voté les amendements du rapporteur, qui était en totale adéquation avec ce revirement ?
Sans commenter plus avant cet artifice, permettez-moi de vous indiquer, mes chers collègues, que vous offrez là un fort beau cadeau au Gouvernement ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas la question !
Mme Laurence Cohen. Venons-en au fond du texte. Devant les députés, madame la ministre, vous avez indiqué que c’était l’une des premières fois que l’on définissait « l’absence de reste à charge comme le résultat de l’intervention combinée des deux étages de l’assurance santé, l’assurance maladie obligatoire et la complémentaire ». Vous ajoutiez : « C’est, pour tous les Français, un progrès pour l’accès aux soins. »
Nous ne partageons pas votre avis. Bien au contraire, nous estimons qu’il s’agit d’un important recul pour l’assurance maladie, qui ne peut prendre en charge à 100 % les soins, tant elle est fragilisée par les mauvais coups qui pleuvent sur ce système solidaire depuis des années. L’obstination du gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, à la priver du principe des cotisations est, à ce titre, un véritable coup de boutoir !
Il s’agit aussi d’un recul pour toutes les personnes qui renoncent aux soins à cause du coût des contrats. Selon le comparateur des assurances, le coût annuel d’une mutuelle santé atteint 1 732 euros par an, en moyenne, pour un retraité, 981 euros pour les personnes à la recherche d’un emploi et 482 euros pour les étudiants.
J’ajoute que la dernière publication de la Drees a chiffré à 4 millions le nombre de personnes non couvertes par une complémentaire santé, alors même que celles qui en sont dépourvues renoncent deux fois plus aux soins que les autres.
Vous voulez nous faire croire qu’accroître la concurrence sur le marché de l’assurance complémentaire santé, en permettant de résilier sans frais et à tout moment les contrats, va diminuer leurs tarifs, mais c’est faux.
Le marché – c’est dans sa nature ! – suit l’unique objectif de la rentabilité financière ; les effets bénéfiques en matière de baisse de tarifs sont donc rarement au rendez-vous, ou alors au prix d’une dégradation de la qualité des biens et des services. Nous avions d’ailleurs entendu le même discours lors de l’introduction d’un quatrième opérateur téléphonique. Finalement, les prix ont certes baissé, mais 10 000 emplois ont été détruits, et nous avons pris un retard considérable dans le déploiement du haut débit.
La concurrence accrue entre les opérateurs à tout moment de l’année pourrait même s’avérer contre-productive, puisque les frais de gestion vont mécaniquement augmenter à cause d’un plus grand turn-over dans les contrats des adhérents et de l’augmentation des frais de publicité.
Cette offensive libérale va, de surcroît, affaiblir les principes mutualistes qui fondent notre protection sociale : la non-sélection du risque, l’égalité de traitement, la transparence, l’action sociale.
En imposant des règles identiques aux instituts de prévoyance, aux assurances santé et aux mutuelles, vous allez encore accélérer le processus de rapprochement du mode de gestion des mutuelles à but non lucratif de celui des sociétés d’assurances à but lucratif.
En ouvrant la possibilité de résilier un contrat au bout d’une année, vous remettez en cause le principe d’annualité des cotisations, un élément du modèle économique qui permet de ne sélectionner ni le risque couvert ni la personne.
Demain, avec des contrats plus courts, il faudra segmenter davantage les populations en fonction de leurs risques spécifiques face à la maladie, et les seniors seront alors les grands perdants de la réforme. Dans un secteur de plus en plus concentré, votre texte ne fera que renforcer les mastodontes de la « bancassurance » pour faire primer le fonctionnement assurantiel sur la logique de solidarité.
Madame la ministre, vous auriez pu consolider notre système de protection sociale et aller progressivement vers un remboursement à 100 % par la sécurité sociale. Ce n’est pourtant jamais le choix qui est fait dans les textes que vous nous proposez.
J’ai entendu l’intervention d’Alain Milon, et je partage nombre de ses propos, à l’exception de sa conclusion, qui tend à aller vers le libéralisme.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Bien entendu !
Mme Laurence Cohen. Nous n’en tirons pas les mêmes enseignements : la promotion de la concurrence entre les organismes complémentaires risque, selon nous, d’accroître les inégalités sociales dans l’accès aux soins.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi.