Les personnes prostituées doivent être reconnues comme des victimes

Lutte contre le système prostitutionnel (nouvelle lecture)

Publié le 10 mars 2016 à 15:11 Mise à jour le 11 mars 2016

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi poursuit son très long parcours législatif, révélateur des conceptions opposées concernant la prostitution.

Avant d’aborder les articles restant encore en discussion, je veux ici remercier chaleureusement Mme Pascale Boistard, ancienne secrétaire d’État aux droits des femmes, qui s’est personnellement beaucoup investie en faveur de cette proposition de loi (Mme Maryvonne Blondin opine.), ainsi que les membres de son cabinet.

Je sais, madame la ministre, que vous aurez vous aussi à cœur de continuer à porter ce combat pour lequel vous êtes engagée depuis 2006, comme vous venez de le souligner.

Nous arrivons donc au terme de cet examen, avec de réelles avancées qui vont permettre de mieux accompagner les personnes prostituées victimes de traite des êtres humains et de réseaux mafieux, et de leur venir en aide.

C’est une très bonne chose, conforme au positionnement abolitionniste de la France ratifié depuis plus de cinquante ans.

Être abolitionniste, faut-il le rappeler ici, c’est ne pas stigmatiser, criminaliser les personnes prostituées reconnues d’abord et avant tout comme des victimes. Je tiens donc à exprimer ma satisfaction concernant l’adoption de l’article 13, qui abroge le délit de racolage.

Pour les articles restant en discussion, deux d’entre eux sont emblématiques et cristallisent tous nos points de divergence. Il s’agit des articles 16 et 17 relatifs à la responsabilisation de clients d’achats d’actes sexuels. Une nouvelle fois, la commission spéciale les a supprimés.

Pour ma part, je propose de nouveau, par voie d’amendements, de les réintroduire, tant ils me semblent fondamentaux et constitutifs de l’équilibre même du texte.

Quand on légifère sur le système prostitutionnel, on doit tenir compte de tous les protagonistes : les personnes prostituées, les proxénètes, avec leurs réseaux de traite des êtres humains, et, enfin, les clients.

Si nous avons avancé ensemble sur l’accompagnement, le suivi des personnes prostituées et sur la répression des réseaux mafieux, il paraît incohérent de ne pas aller jusqu’au bout de la chaîne du système prostitutionnel, en refusant de responsabiliser les clients.

Depuis 2011, la prostitution est considérée, dans notre pays, comme une violence faite aux femmes. À ce titre, comment justifier qu’il ne faut pas poursuivre les auteurs de ces violences ? Pénaliser l’achat d’actes sexuels comme on pénalise le harcèlement, le viol ou les mariages forcés participe à la responsabilisation du client.

Deux jours après la Journée internationale des droits des femmes, je veux encore rappeler ce qu’est la réalité de la prostitution : une violence extrême infligée aux femmes, à leur corps et à leur âme.

Leur espérance de vie est réduite et leur taux de mortalité est six fois plus élevé que celui du reste de la population, d’après un rapport de l’IGAS de décembre 2012. Comment croire que ce phénomène relève du choix, du consentement quand on subit quotidiennement des coups, des menaces, des humiliations et des dizaines de rapports sexuels ?

Il faut arrêter de fermer les yeux et de ne pas voir que le système prostitutionnel est le produit d’une double domination, une domination sexiste – de l’homme sur la femme – et une domination par l’argent, dans un monde où tout est marchandise, même le corps d’une femme !

Les opposants à cette responsabilité du client nous rétorquent que la pénalisation va se révéler inefficace et contre-productive. Personnellement, je n’en suis absolument pas convaincue, et j’ai envie de vous dire que pour n’importe quelle loi, finalement, on n’est jamais totalement certain que nos intentions atteignent nos objectifs.

Mme Danielle Michel. Exactement ! Bravo !

Mme Laurence Cohen. C’est bien pour cela que, régulièrement, nous proposons des évaluations, des bilans…

Mme Laurence Rossignol, ministre. Très bien !

Mme Laurence Cohen. … pour réajuster l’action publique. (Mmes Maryvonne Blondin et Marie-Pierre Monier opinent.)

En quoi cette mesure devrait-elle échapper à cette règle ?

Osons franchir ce cap et impliquer le troisième acteur du système prostitutionnel ! Je sais que quelques associations et même le Défenseur des droits affirment que la pénalisation des clients va accroître la précarité et l’isolement des prostituées. Mais les personnes prostituées sont déjà précarisées et isolées. Il faut agir de façon globale et cohérente !

Un autre argument, que je veux combattre ici, serait qu’en pénalisant l’acte tarifé la prostituée se retrouve complice de ce délit.

J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que c’est refuser, au fond, de voir les prostituées comme des victimes.

Or, dès lors qu’il s’agit de violences sexistes faites aux femmes, n’est-ce pas une tendance encore très répandue ?

Réfléchissons ensemble, vous viendrait-il à l’esprit de considérer que les victimes de violences conjugales sont complices de leur conjoint car elles restent auprès de lui ?

Cette notion de complicité ne tient pas davantage sur le plan juridique. Je ne prendrai qu’un exemple, celui du trafic d’organes. Les coupables sont bien les trafiquants, les clients, mais pas celui ou celle qui y a recours, poussé par la misère !

Pourquoi, en effet, vouloir agir différemment parce qu’il s’agit de prostitution ? Ne faut-il pas avoir le courage de changer de regard ?

Notre but est non de juger ou de faire la morale aux clients mais de leur faire comprendre qu’ils ont un rôle à jouer pour mettre fin aux violences subies par ces femmes, pour mettre fin à la marchandisation du corps des femmes.

Mme Michelle Meunier, rapporteur. Très bien !

Mme Laurence Cohen. II n’y a pas de liberté sexuelle quand l’une des deux personnes agit sous la contrainte et est entre les mains de proxénètes.

Près de trois ans après le début de l’examen de cette proposition de loi, je souhaite vivement son adoption dans son esprit initial (Mme Maryvonne Blondin opine.), telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale. Je sais que beaucoup de personnes prostituées ou anciennes prostituées, comme la majorité des associations de terrain, attendent également son adoption. (Mme Maryvonne Blondin opine de nouveau.) J’espère donc que le Sénat aura le courage de faire de même

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne
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