Les mesures annoncées demeurent largement insuffisantes par rapport aux besoins de santé

Financement de la sécurité sociale pour 2020 (nouvelle lecture) : exception d'irrecevabilité

Publié le 30 novembre 2019 à 09:41 Mise à jour le 2 décembre 2019

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’examen, en première lecture, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, notre groupe avait déjà déposé une motion tendant à l’irrecevabilité constitutionnelle, au motif que les exonérations massives de cotisations sociales et leur non-compensation intégrale par l’État remettent en question l’autonomie financière de la sécurité sociale.

Nous récidivons pour cette nouvelle lecture, car, si le non-respect de la loi Veil du 25 juillet 1994 est toujours de mise, vous remettez maintenant en cause l’organisation des travaux parlementaires telle que prévue à l’article 47-1 de la Constitution. Deux motifs graves qui justifient cette motion d’irrecevabilité constitutionnelle.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je le dis avec solennité : que cherche le Gouvernement en refusant de voir la réalité de terrain ? Les mesures que vous avez annoncées avec le Premier ministre ne font pas le compte. Et même si ce plan « Investir dans l’hôpital public » est une première victoire des personnels en lutte, leur colère ne retombe pas. Fort justement, car les mesures demeurent largement insuffisantes par rapport aux besoins en matière de santé.

D’ailleurs, aujourd’hui même est une journée d’initiatives locales dans les établissements et autour, avant la mobilisation du 17 décembre et, auparavant, celle du 5 décembre, qui promet d’être de grande ampleur avec une participation forte du monde de la santé.

En annonçant des mesures en deçà des besoins réels de l’hôpital, sans doute dans l’espoir d’affaiblir le mouvement social, vous affaiblissez aussi dangereusement le Parlement. Nous avons assisté en direct, ici, au Sénat, en première lecture du PLFSS, à vos atermoiements et au peu de cas que vous faites de notre Haute Assemblée. Ce n’est pas un procès d’intention, c’est une réalité que chacune et chacun peut vérifier en suivant la retransmission de nos travaux.

La publication, l’avant-veille de l’examen du budget de la sécurité sociale, d’un article dans le Journal du dimanche faisant état de la préparation d’un « plan ambitieux pour l’hôpital » a profondément entaché l’examen en première lecture du budget de la sécurité sociale.

Vous nous avez affirmé, aux côtés du secrétaire d’État Dussopt, que ces fuites dans la presse ne venaient pas de vous et que vous respectiez trop les parlementaires que nous sommes pour ne pas nous informer de modifications qui pourraient remettre en cause le budget que nous examinions.

Mais cela, c’était deux jours avant la formidable mobilisation des professionnels de santé du 14 novembre, toutes catégories confondues, après une grève de plus de huit mois. Alors que le Sénat poursuivait la discussion du budget de la sécurité sociale, le Président de la République annonçait bien un « plan conséquent pour l’hôpital public ». Tant pis pour la représentation nationale qui discutait d’un texte obsolète et, de fait, d’un budget insincère.

Nous avons alors décidé, à l’unanimité, d’interrompre nos débats et de repousser l’examen du PLFSS 2020 à la nouvelle lecture, car il s’agissait d’une véritable mascarade démocratique.

Comment croire que vous n’avez rien anticipé ? Comment croire les propos que vous avez tenus devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, affirmant que vous n’étiez pas prêts en première lecture ? Pas prêts, après plus de huit mois de mobilisation des hôpitaux ? Soyons sérieux !

La réalité, c’est que vous avez attendu de voir le niveau de la mobilisation des personnels hospitaliers du 14 novembre pour décider de la taille de l’enveloppe de votre plan pour l’hôpital.

Ce plan Investir dans l’hôpital public est donc le quatrième plan d’urgence en quatorze mois pour l’hôpital. Il vient après le plan Ma Santé 2022, présenté en septembre 2018, et voté par le Parlement ; après les mesures pour les urgences annoncées en juillet 2019 ; et après le plan d’urgence de septembre dernier. Finalement, je me demande si s’adresser à vous, madame la ministre, revient à s’adresser à la ministre de la santé ou à la ministre de la planification… (Sourires.)

Plus sérieusement, votre plan prévoit d’augmenter l’Ondam hôpital de 2,1 % à 2,4 %, soit 300 millions d’euros de plus. Monsieur le rapporteur général, voyez un peu dans quel marché de dupes nous sommes : faut-il rappeler ici, mes chers collègues, que le Gouvernement avait initialement prévu de priver les hôpitaux publics de 1 milliard d’euros en 2020 ? Donc, si je calcule bien, avec vos largesses, vous le privez tout de même de 700 millions d’euros !

M. Yves Daudigny. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. C’est très au-dessous des revendications syndicales des collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, qui demandent un Ondam au niveau de l’évolution naturelle des dépenses à 4,5 %, soit 5 milliards d’euros de plus.
Malgré le niveau de colère et de mobilisation justifié des personnels, vous refusez de débloquer les moyens indispensables pour répondre aux besoins de santé. Il s’agit bien d’un marché de dupes, car le relèvement de l’Ondam pour 2020, obtenu de haute lutte, est au-dessous du niveau de l’Ondam de l’an dernier, qui était de 2,5 %. Vous annoncez des moyens supplémentaires, mais vous maintenez la compression des dépenses de santé de l’hôpital public.

Dans une tribune publiée mercredi 13 novembre dans la presse, près de 2 000 professionnels de santé en pédiatrie se sont élevés contre le manque de moyens dans les hôpitaux, notamment dans les services où sont soignés les enfants. Que répondez-vous au professeur Rémi Salomon, chef de service pédiatrie de l’hôpital Necker, quand il dénonce : « alors que l’épidémie de bronchiolite débute, on est obligés de transférer des enfants en dehors des hôpitaux parisiens » ? Tout le monde a bien conscience qu’il s’agit d’une prise de risque pour ces petits patients.

À l’écoute de ce témoignage et à la lecture de cette tribune, votre plan d’urgence devrait comporter des ouvertures immédiates de lits, surtout quand on sait que 100 000 d’entre eux ont été fermés en vingt ans. Eh bien, pas du tout : vous persistez et vous signez dans vos choix mortifères pour l’hôpital. La réalité, c’est que vous ne répondez à aucune des revendications fondamentales des personnels qui sont attachés à l’hôpital et qui veulent des moyens réels pour améliorer la qualité des soins de leurs patients.

À l’exigence d’une augmentation de 300 euros par mois des salaires, vous répondez par une prime catégorielle pour l’Île-de-France de 800 euros pour 40 000 infirmières et aides-soignantes. Prime qui ne prend pas en compte le vécu de ces professionnels sur l’ensemble du territoire et pas seulement en Île-de-France – 800 euros, c’est 66 euros par mois, soit moins que le coût d’un pass Navigo ! De plus, une prime n’entre pas dans le calcul de la retraite, contrairement au salaire.

C’est une manœuvre grossière pour essayer d’affaiblir la mobilisation en cherchant à opposer les personnels entre eux, mais aucun, parmi eux, n’est tombé dans le piège.
Alors qu’il manque partout des médicaux, des paramédicaux, des personnels dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des agents administratifs, des agents techniques, il n’y a rien, dans le texte, sur l’embauche de personnel, pas plus que sur les conditions de travail des internes, qui seront d’ailleurs en grève illimitée à partir du 10 décembre !

Vous poursuivez sans ciller les fermetures de services, et d’hôpitaux, sous le vocable de « regroupement », malgré l’aggravation des déserts médicaux.

La France dépenserait trop pour la santé, contrairement à ses voisins, dites-vous ! Des économistes de la santé contredisent cette affirmation. Ils nous rappellent que les budgets contraints imposés ces dernières années à l’hôpital font que la part des dépenses de santé dans le PIB est aujourd’hui de 3,6 %, donc inférieure à la moyenne européenne, qui est de 4,1 %.

Votre leitmotiv est qu’il n’y a pas d’argent magique et que, par conséquent, vous devez respecter les contraintes budgétaires.

Mais, madame la ministre, faites cesser les exonérations de cotisations sociales et vous aurez de nouvelles recettes, la « modique » somme ainsi récoltée s’élevant à 66,4 milliards d’euros pour 2020.

Si vous cherchez des cotisants, sachez que nous avons la chance d’avoir, en France, la première fortune du monde, évaluée à 109,5 milliards d’euros, en la personne de M. Bernard Arnault, patron de LVMH !

Madame la ministre, comment ne pas dénoncer le fait que ces allégements et exonérations dépassent le montant des recettes de la branche famille ?
Comment ne pas dénoncer, une nouvelle fois, le fait que les cotisations sociales ne représentent plus que 50,7 % des recettes du budget de la sécurité sociale ?
J’ai dit au début de mon propos que votre plan « Investir pour l’hôpital public » était un marché de dupes, mais c’est, de surcroît, le bal des hypocrites ! Si vous renonciez ne serait-ce qu’à un tiers de ces exonérations, vous dégageriez 20 milliards d’euros pour l’hôpital, de quoi répondre à la crise aiguë qu’il connaît aujourd’hui.

Quant à la reprise de 10 milliards d’euros de la dette des hôpitaux, soit un tiers du total sur trois ans – un nouveau projet de loi sera présenté en 2020 pour en déterminer les conditions –, elle ne devra être qu’une première étape, et nous resterons vigilants quant à sa réalité, d’autant que les conditions de la reprise sont bien floues. Qui gagnera, en effet, cette loterie dans laquelle la reprise sera conditionnée à l’adoption de plans de suppressions de postes ?

Quel hôpital aura vos faveurs, alors que six hôpitaux sur dix sont en déficit et qu’un tiers des établissements publics, soit 319 hôpitaux, 19 centres hospitaliers régionaux (CHR) et 300 centres hospitaliers, sont aujourd’hui en situation de surendettement ?
On ne peut tergiverser : il est urgent d’assurer le financement d’investissements en faveur des établissements médico-sociaux et de santé, donc de revenir aux prêts à taux zéro.

Mes chers collègues, le contenu du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 dont nous discutons en nouvelle lecture et les conditions d’examen dans lesquelles nous nous retrouvons ce matin, avec une injonction implicite de légiférer très vite, contreviennent aux principes constitutionnels.

Nous vous invitons donc à adopter notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Après le coup de semonce que nous avons adressé ensemble au Gouvernement, transformons l’essai !

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne
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