Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi était très attendu, d’autant plus que les politiques successives menées depuis de nombreuses années n’ont pas apporté de réponses satisfaisantes aux besoins en matière de santé. Pis, elles n’ont cessé d’affaiblir le système de santé publique, considérant la santé comme un bien de consommation.
Malheureusement, ce projet de loi est loin de répondre aux enjeux actuels, notamment celui de combattre les renoncements aux soins, qui concernent, d’après certaines évaluations, 25 % à 30 % des Français.
Je reconnais toutefois le travail important d’élaboration de ce projet de loi, ainsi que celui qui a été mené par les trois rapporteurs de notre commission des affaires sociales, notamment au travers des nombreuses heures d’auditions réalisées.
Mes chers collègues, permettez-moi de commencer par souligner les dispositions qui, au sein du groupe CRC, nous paraissent tout à fait positives. J’entends par là celles qui figurent encore dans ce texte, celles qui n’ont pas été supprimées par la majorité sénatoriale en commission !
Je pense notamment au titre premier, qui vise à renforcer la prévention, l’accès à la contraception d’urgence pour les élèves du second degré, la lutte contre l’alcoolisation massive des jeunes et la lutte contre le tabagisme. Je ne peux pas détailler ces mesures qui, si elles sont véritablement mises en place, avec les moyens afférents, porteront leur fruit.
Je tiens également à exprimer ma grande satisfaction que, au-delà des clivages politiques, une majorité se soit dégagée, du moins en commission, pour soutenir l’expérimentation de salles de consommation à moindre risque. C’est un projet que j’ai beaucoup soutenu, convaincue de son utilité sanitaire, dans une perspective de réduction des risques et des dommages pour les usagers de drogue.
Je note enfin, avec intérêt, la volonté de reconnaître la place et le rôle des centres de santé dans notre système de soins. Assez souvent méconnus, voire dévalorisés, les centres de santé représentent au contraire un modèle innovant, prenant en compte les attentes exprimées par de jeunes professionnels en matière de travail d’équipe et répondant aux besoins du plus grand nombre – pas de dépassement d’honoraire, tiers payant, etc. Je salue donc cette avancée, qui pour se concrétiser nécessitera des moyens importants.
J’en viens à présent aux dispositions qui nous paraissaient importantes, mais qui ont été purement et simplement supprimées par la droite au sein de la commission des affaires sociales.
Je passe sur cette nouvelle mode de supprimer systématiquement toute demande de rapport. L’article 40 de la Constitution est déjà fort contraignant pour l’initiative parlementaire. Si à présent les rapports sont bannis, cela devient compliqué... (Mme Catherine Procaccia proteste.)
La généralisation du tiers payant a été vivement attaquée, notamment sous prétexte d’un surcroît de travail pour les médecins et d’une difficulté à mettre en place de ce système.
Sans négliger ce problème, nous soutenons cette mesure, car elle peut aider un certain nombre de patients, mais nous pensons qu’elle ne répond pas au problème du renoncement aux soins. Qu’apporte le tiers payant concernant les lunettes ou les prothèses dentaires ou auditives que la sécurité sociale ne rembourse pas, ou si ridiculement ?
La mesure véritablement juste, capable de faire reculer le renoncement aux soins et les inégalités qu’il suscite est pour mon groupe la prise en charge des soins à 100 %. C’est possible, et c’est un combat que nous aurions souhaité mener avec vous, madame la ministre. Il n’est d’ailleurs pas trop tard !
Une autre réécriture emblématique à nos yeux est celle de l’article 17 bis, qui visait à supprimer le délai de réflexion pour l’IVG. La droite a supprimé cet article au motif que la discussion devait se faire dans le cadre de la loi sur la bioéthique ! Comment parler de bioéthique en 2015 pour un droit gagné par la lutte des femmes et voté en 1975 grâce au courage de Mme Veil ?
De même, la majorité sénatoriale a supprimé une disposition symbolique en termes d’égalité des droits et de non-discrimination, à savoir l’article 7 bis qui autorisait enfin les personnes homosexuelles à donner leur sang. Je ne vais pas lancer le débat ici, mais pour nous, il est essentiel que cette discrimination cesse et que la sécurité sanitaire soit le seul critère – le même appliqué à chacun.
J’en viens enfin à l’essence même du texte, madame la ministre, à sa philosophie générale, qui n’a pas réussi à nous convaincre.
Alors que vous étiez, à juste titre, tout comme l’ensemble de votre groupe, assez critique sur le contenu et le tournant marchand que la loi HPST faisait prendre au monde hospitalier et à son organisation, j’avoue avoir du mal comprendre que vous n’ayez pas fait le choix, en tant que ministre, de l’abroger.
Nous constatons pourtant au quotidien les désastres qu’elle a suscités. L’hôpital public a été transformé en entreprise, avec un fonctionnement qui ne lui est absolument pas adapté. Pourquoi ne pas revenir sur la loi HPST ? Pourquoi continuer à accorder de tels pouvoirs aux directeurs d’ARS, ces « super préfets sanitaires » comme nous les avions appelés à l’époque ?
Vous vantez à juste titre la démocratie sanitaire, mais le conseil de surveillance remplace toujours le conseil d’administration, et le modèle de décisions verticales, depuis le ministère jusqu’au directeur d’ARS en passant par le directeur d’hôpital, reste en vigueur, avec une logique financière et administrative qui prend le dessus sur la logique médicale.
De même, nous sommes inquiets de ces groupements hospitaliers de territoire, les GHT, qui ne nous apparaissent que comme une nouvelle occasion de fusionner, donc de fermer des établissements, des services, des lits. Alors que, aujourd’hui, on compte 1 200 à 1 300 hôpitaux, il serait question de constituer 100 GHT ! Où est le lien de proximité, où est la volonté de réduire les inégalités territoriales alors que vous avez cité monsieur Emmanuel Vigneron dans votre propos ? Où est la démocratie sanitaire ? Après les mégapoles de la loi NOTRe, voici les mégahôpitaux. Une façon de légitimer toujours un peu plus le privé.
Le projet de loi ne reflète pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la prise de conscience que l’hôpital public va mal et qu’il souffre des politiques de réductions menées depuis des années : effectifs en flux tendus, offre de soins en diminution, délais trop longs, urgences asphyxiées... Je ne parle pas de la psychiatrie, car le temps m’est compté, mais il y aurait beaucoup à en dire, nous y reviendrons lors de l’examen des articles.
Je sais bien que l’on va me répondre que les budgets sont contraints et qu’il n’est guère possible de faire autrement. Les 3 milliards d’euros de budget en moins pour les hôpitaux aggravent d’ailleurs encore leur situation désastreuse.
Toutefois, madame la ministre, nous avons d’autres propositions de financement susceptibles de redonner souffle et vigueur à une politique de santé publique digne de ce nom, qui s’appuie notamment sur une médecine de ville redynamisée. Supprimons la T2A, ce système inadapté et inefficace, les franchises et forfaits hospitaliers, ainsi que les exonérations de cotisations patronales, qui privent notre protection sociale de milliards d’euros.
Mettons en place une nouvelle cotisation sur les revenus financiers des entreprises : sur une base de 317,9 milliards d’euros en 2010, il serait possible de dégager, en les soumettant au taux actuel de la cotisation patronale, quelque 41 milliards d’euros pour la santé, 26 milliards d’euros pour la retraite, 16 milliards d’euros pour la famille. Voilà quelques propositions qu’il faudrait prendre en compte.
Madame la ministre, les quelques avancées de ce texte ne seront que de l’affichage tant que le carcan financier imposé à l’ensemble des établissements de santé sera la boussole du Gouvernement.
La volonté du groupe CRC tout au long du débat sera de modifier cet état de fait et de défendre des amendements tendant à proposer une vraie politique de santé ambitieuse, qui fasse réellement reculer les inégalités, une politique de santé pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire.