Il est indispensable de transformer le droit à l’avortement en un droit inaliénable

Extension du délit d'entrave à l'IVG (nouvelle lecture)

Publié le 14 février 2017 à 16:30 Mise à jour le 15 février 2017

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, nous examinons en nouvelle lecture la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Pour parler de l’entrave opposée à un droit, il faut revenir sur le contexte dans lequel celui-ci s’exerce.

Beaucoup d’évolutions ont eu lieu depuis la loi Veil, votée le 17 janvier 1975, reconnaissant le droit à l’avortement, à la suite d’une forte mobilisation des femmes et d’associations féministes et grâce à l’opiniâtreté d’une femme politique. Mais ce droit chèrement acquis a depuis été l’objet d’attaques de la part de conservateurs et d’intégristes religieux.

Exercer un pouvoir sur le corps des femmes reste un enjeu fondamental. On constate une campagne sourde ou bruyante, selon le contexte politique plus ou moins favorable à l’émancipation humaine, mais constante et déterminée contre la loi Veil.

Ainsi, à quelques mois de l’élection présidentielle, plusieurs conceptions s’affrontent, dont une vision nataliste de la société au nom d’un modèle unique de la famille, s’en prenant de fait à l’avortement.

M. Charles Revet. Il faut aussi respecter la famille !

Mme Laurence Cohen. Que dire de plus quand le prétendant de droite à l’Élysée soutient que, « philosophiquement et compte tenu de sa foi, [il] désapprouve l’avortement » ? Ces convictions l’ont conduit à voter contre le remboursement de l’IVG par l’assurance maladie dès décembre 1982, contre l’allongement du délai à douze semaines de grossesse en juillet 2001 et contre la suppression du délai de réflexion en janvier 2016. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Procaccia proteste.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est la vérité !

Mme Laurence Cohen. Ce sont des faits !

D’ailleurs, cette mobilisation contre le droit à l’avortement n’est pas réservée à notre pays. On assiste, hélas ! à un phénomène identique à l’échelle internationale.

En Europe, le droit à l’interruption volontaire de grossesse a été remis en cause en Espagne en 2014 et plus récemment en Pologne. C’est une fois de plus les mobilisations nationales et internationales qui ont fait échouer ces projets funestes.

En Italie, le pape François poursuit lui aussi son combat contre l’avortement en utilisant des mots d’une rare violence.

Quant à la victoire de Donald Trump à la présidence de la première puissance mondiale, elle n’a rien pour rassurer ! Le nouveau président des États-Unis affirme vouloir « punir les femmes » pratiquant un avortement « illégal ». Il a signé un décret interdisant le financement d’organisations non gouvernementales internationales qui soutiendraient l’avortement. À cela s’ajoute la nomination à la Cour suprême du juge William Pryor, qui considère que « l’avortement est la pire abomination de l’histoire du droit. »

Deux millions de femmes se sont rassemblées, lors de « la marche des femmes » aux États-Unis, pour protester contre ces reculs. Dans toutes les capitales, des marches de solidarité ont eu lieu au lendemain de l’élection de Donald Trump.

Face à cette remise en cause d’un des droits fondamentaux des femmes, il est indispensable de transformer le droit à l’avortement en un droit inaliénable.

À travers la contre-offensive sur l’IVG se joue un bras de fer entre les partisans de l’émancipation humaine et ceux qui continuent à penser que les femmes sont d’éternelles mineures.

Le combat des commandos anti-IVG a changé de terrain ; il se livre aujourd’hui sur internet et il est impératif d’apporter une réponse adaptée aux évolutions de notre société.

Le délit spécifique d’entrave à l’IVG, créé en 1993, étendu aux violences morales depuis 2001 et notamment aux pressions morales et psychologiques, doit être étendu aux sites internet qui prétendent apporter une information neutre sur l’accès à l’IVG, alors qu’en fait ils font tout pour décourager les femmes de pratiquer un avortement.

En réalité, on est face à une entreprise de désinformation qui instrumentalise le désarroi de femmes souvent jeunes et dans une situation de vulnérabilité. Lorsque l’on sait qu’une femme sur trois a recours à une IVG au cours de sa vie, on mesure combien il est important d’informer et d’assurer l’accompagnement de ce choix. Contrairement à ce que certains laissent entendre, aucune femme ne prend la décision d’avorter le cœur léger.

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. Assurer l’information et l’accompagnement des femmes ayant recours à une IVG, cela signifie effectivement lutter contre la manipulation des esprits par des sites de désinformation. Et que l’on ne prenne pas le prétexte de la liberté d’information ! Il me semble que le Sénat avait bien travaillé en première lecture pour éviter le couperet du Conseil constitutionnel. Mes chers collègues, qu’est-ce qui a changé depuis la première lecture ?

M. Jean-Louis Carrère. Très bien !

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, le droit à l’avortement étant un droit fondamental, je saisis cette occasion pour attirer une nouvelle fois votre attention sur les moyens nécessaires pour que chaque femme puisse exercer ce droit partout sur le territoire. Il faut conforter et renforcer les mesures que vous avez prises avec Mme Touraine.

Je rappelle qu’en dix ans, 130 centres IVG ont fermé, tandis que le nombre d’avortements restait stable. Cela signifie que des femmes sont obligées d’aller avorter à l’étranger pour avoir une place dans les délais légaux. Selon Mme Véronique Séhier, coprésidente du planning familial, le nombre de femmes touchées par ce phénomène chaque année est difficile à chiffrer, mais peut être estimé entre 3 500 et 5 000.

Il est donc important d’avoir des centres IVG en nombre suffisant, mais il est important aussi de ne pas laisser des informations mensongères contrecarrer les décisions mûrement réfléchies des femmes.

Aux yeux des élus du groupe auquel j’appartiens comme pour les associations féministes, améliorer l’accompagnement des femmes nécessite également d’autoriser les centres de planification et d’éducation familiale à pratiquer les IVG chirurgicales.

Parallèlement, il est impératif de maintenir les subventions aux associations qui militent au quotidien auprès des femmes et qui subissent des politiques de restrictions autant que des coupes franches. Je pense par exemple à la région Rhône-Alpes-Auvergne, qui a réduit de 30 % la subvention accordée au planning familial.

Enfin, face à l’offensive lancée contre l’avortement, y compris via la désinformation qui se joue sur internet, il nous paraît urgent d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution.

On le voit, pour défendre le droit à l’avortement, il est nécessaire de créer les conditions pour que chaque femme ait accès aux mêmes informations, aux mêmes structures, aux personnels de santé compétents et bien formés. En conséquence, il faut déjouer les manœuvres de sites peu scrupuleux qui, au nom de la liberté d’information, n’hésitent pas à désinformer pour faire prévaloir des convictions personnelles et empêcher les femmes de prendre leur décision en toute connaissance de cause.

Pour toutes ces raisons, je déplore que nous n’ayons pas pu nous mettre d’accord en commission sur le vote consensuel auquel nous étions parvenus en première lecture. J’espère que le nouvel amendement qui vise à rétablir la rédaction sénatoriale sera voté, car il me semble qu’elle est la plus à même d’éviter toute fragilité juridique. Grâce à elle, le délit d’entrave numérique sera rendu effectif le plus rapidement possible dans l’intérêt des femmes.

Mes chers collègues, je vous demande de réfléchir à ce que nous avons pu faire en première lecture et d’en tirer les conséquen

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne
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