Si la formation professionnelle est une clé du retour à l’emploi, elle ne peut être son seul objectif

Formation professionnelle : conclusions de la commission mixte paritaire

Publié le 14 octobre 2009 à 16:43 Mise à jour le 8 avril 2015

Nous nous retrouvons aujourd’hui pour conclure nos travaux sur le projet de loi relatif à l’orientation et la formation professionnelle, travaux menés au pas de charge, mais je ne reviendrai pas sur cette procédure qui dénature le rôle de notre Parlement.

Ce texte a suscité de vifs espoirs pour de très nombreuses et nombreux salariés, qui pensaient voir se concrétiser enfin la réforme de la formation professionnelle tant annoncée et dont l’ambition était de permettre au plus grand nombre, en particulier à celles et ceux qui en ont le plus besoin, de bénéficier des formations adéquates pour retrouver un emploi ou envisager une complète reconversion.

Malheureusement, tel ne sera pas le cas : les modifications apportées par la commission mixte paritaire n’y changeront rien, bien au contraire. D’ailleurs, cette commission a procédé à une véritable seconde lecture du projet de loi, à ceci près que le débat n’était pas public. Les quelque 80 amendements déposés, les nombreux échanges de paroles, y compris entre membres de la majorité, ont donné l’impression que nous refaisions à quelques-uns, et à huis clos, un débat qui aurait mérité un meilleur traitement. Cette longue et âpre commission mixte paritaire, qui a eu besoin d’une deuxième délibération, ce qui est rare, démontre que le recours systématique à la procédure accélérée prive l’ensemble des parlementaires de débats importants. La séance publique doit être le lieu par excellence des débats de fond, nos concitoyennes et concitoyens ayant droit à la publicité de nos débats.

A l’issu de nos travaux en CMP, nos réserves subsistent. En effet, nous demeurons opposés à votre conception de la formation professionnelle. Vous considérez, monsieur le ministre, qu’elle n’a de sens que si elle est destinée à l’emploi immédiat et rapide des salariés. Vous nous avez dit que « la formation professionnelle était une arme fondamentale pour lutter contre la crise » et que « l’emploi était son seul et unique objectif ». Aujourd’hui, vous prétendez qu’il s’agit de la meilleure arme anticrise. Cette conception très utilitariste de la formation n’est pas la nôtre. Si la formation professionnelle est une clé dans le retour à l’emploi, elle ne peut être son seul levier.

Nous estimons que la formation professionnelle doit permettre aux salariés qui le souhaitent d’envisager des reconversions qui correspondent à leurs besoins, même si elles ne répondent pas aux besoins immédiats du marché de l’emploi sur un territoire précis. L’épanouissement des salariés, leur bien-être sont essentiels. De plus, la formation professionnelle doit prioritairement servir aux salariés car une formation voulue et épanouissante est seule gage de réussite. C’est un peu comme pour l’orientation : soit elle est subie, soit elle est choisie.

La formation doit aussi viser la promotion sociale et l’élévation du niveau de qualification de chaque salarié durant sa carrière professionnelle. Cette dimension est absente de ce projet de loi qui est également déconnecté de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, la GPEC. Pourtant, c’est grâce à cette gestion prévisionnelle qu’il est possible d’envisager les évolutions industrielles, et donc les métiers du futur. Cette prévision permet aux hommes et aux femmes qui travaillent dans ces industries en mutation d’aborder un peu plus sereinement les changements auxquels ils doivent faire face. Il ne s’agit pas de déplorer leur manque d’adaptation. Pour moi, d’ailleurs, on n’adapte pas un être humain.

Ce texte donne l’impression d’une conception à court terme de la formation, servant plus l’employabilité, la flexsécurité que la véritable sécurisation des parcours professionnel, laquelle passe par la création et le renforcement d’un certain nombre de droits que vous n’avez pas voulu prendre en compte.

Je ne vais pas me lancer dans un inventaire à la Prévert, je reviendrai simplement sur quelques points, notamment sur l’article 4, qui a pour intention louable de permettre aux salariés de bénéficier d’une portabilité de leur droit individuel à formation. Il n’est toutefois pas assez ambitieux ; le Gouvernement et sa majorité sont restés au milieu du gué, tout comme vous avez été frileux en matière de renforcement des droits des salariés. Ceux-ci devront recevoir l’accord de l’employeur ; ce droit est limité dans le temps ; les salariés en contrat d’apprentissage, de professionnalisation ou à temps partiel n’y ont pas droit. J’espère, monsieur le ministre, que vous tiendrez l’engagement formulé en septembre dernier à leur égard.

Ces salariés à temps partiel, qui sont surtout des femmes, ne peuvent être une nouvelle fois victimes des temps partiels qu’on leur impose, avec des temps de travail émiettés, des salaires insuffisants ; on ne va pas, en plus, les éloigner de la formation. En commission mixte paritaire, M. Carle a repoussé un amendement à ce sujet sous prétexte de rupture d’égalité mais ce sont ces salariés qui sont victimes d’une rupture d’égalité !

En matière de portabilité, la cohérence exigeait qu’on garantisse une portabilité universelle du DIF, sans référence à la nature contractuelle ni à la durée de la portabilité et sans accord de l’employeur. Faute de quoi, le DIF reste le droit à demander à bénéficier de la portabilité plus qu’un droit à la portabilité en tant que telle.

Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire du retour en force de l’État dans la formation professionnelle. Je ne vise pas tant l’article 20, qui a fait l’objet d’une réécriture plus équilibrée en faveur des régions, même si, comme l’a dit le président Méhaignerie en CMP, « il est nécessaire d’organiser un vrai débat sur la clarification des responsabilités en matière de transfert de compétences et de financements entre l’État et les collectivités locales ». Mais la CMP a maintenu une disposition -non prévue dans l’accord national interprofessionnel !- qui permet à l’État de déterminer des parcours professionnels.

Si nous nous réjouissons de la création du fonds à l’article 9, nous craignons que cette convention ne permette au Gouvernement, sous prétexte de satisfaire le besoin légitime de formation des salariés privés d’emploi, de se désengager de la responsabilité politique et financière qui est la sienne en matière d’emploi en faisant des choix dont nous redoutons qu’ils ne correspondent davantage aux économies que le Gouvernement entend faire sur son propre budget, qu’à de réelles priorités.

Nous regrettons que vous ayez refusé la participation des régions à la gestion du fonds, alors même qu’elles supportent déjà une grande partie de l’effort national de la formation. Nous regrettons également les modifications apportées par la CMP au financement du fonds. Nous étions opposés à la négociation branche par branche, craignant que certaines branches ne décident de faire reposer sur la seule cotisation « professionnalisation » la participation due au Fonds. Comme le rapporteur, nous avons reçu le courrier des signataires de l’accord nous demandant de revenir sur la règle des trois tiers.

C’est, me direz-vous, afin de respecter l’accord que vous avez souhaité revenir sur ce point. Il est vrai que ce projet de loi a fait l’objet d’une importante négociation entre les partenaires sociaux. Même si l’on peut regretter qu’ils aient été contraints de négocier dans la précipitation et sur la base d’une feuille de route déterminée par le Gouvernement, cette négociation a aboutit à un accord, signé à l’unanimité, dont je conviens que nous devons tenir compte. Mais il nous appartient aussi de l’enrichir. Vous ne vous êtes d’ailleurs pas privés de le faire, comme avec cette convention ou avec les articles 19 ou 19 bis A.

L’article 19, auquel nous sommes totalement opposés, est apparu sans que les partenaires sociaux aient été consultés, et le 19 bis A est apparu en séance publique au Sénat à la suite d’un amendement du Gouvernement ! Le transfert d’une partie des personnels de l’Afpa vers Pôle emploi est une étape supplémentaire dans le démantèlement du service public de l’emploi. Un démantèlement visant à satisfaire les exigences européennes de concurrence, que vous vous êtes vous-mêmes imposées, notamment en forçant le peuple français à accepter le traité de Lisbonne. L’avis du conseil de la concurrence est clair : ce qui est reproché n’est pas tant l’attribution de subventions à l’Afpa que l’absence de cadre législatif. Tout cela n’est qu’un prétexte pour ouvrir à la concurrence le champ de la formation professionnelle afin que des opérateurs privés accèdent aux 27 milliards de la formation. Car pour vous, et pour l’Europe libérale que vous appelez de vos voeux, tout est concurrence.

Pour les mêmes raisons dogmatiques, vous autorisez les opérateurs privés de placement à concurrencer Pôle emploi, alors que le rapport Seibel du 6 octobre faisait ressortir une « différence d’efficacité entre les opérateurs privés et le service public » au bénéfice de ce dernier : le placement des chômeurs par le privé est plus cher et moins efficace que lorsqu’il est confié au service public. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a de quoi s’inquiéter pour la formation professionnelle.

Quant au transfert du patrimoine immobilier, opéré à l’article 19 bis A, il a aussi de quoi inquiéter. Vous nous avez dit que l’octroi de subventions à l’Afpa était illicite au plan européen. On comprend alors mal comment une subvention en nature, estimée à 300 millions, pourrait être licite ! Elle ne l’est évidemment pas mais on la tolère parce qu’elle constitue un cadeau empoisonné à l’Afpa.

SI des articles figurent dans le texte sans être dans l’ANI, vous avez aussi refusé d’inscrire dans le projet de loi certaines de ses dispositions, dont le droit à la formation initiale différée. Vous trahissez ainsi l’esprit de cet accord national. Car si certaines mesures avaient pour effet de favoriser des formations directement utiles pour le retour à l’emploi, c’est qu’il y en avait aussi d’autres, comme celles offrant aux salariés sortis du système scolaire sans diplôme la possibilité d’obtenir une véritable seconde chance. Cette absence est d’autant plus regrettable que ce projet de loi n’apporte en matière scolaire aucune réponse réelle pour les jeunes « décrocheurs ». Apprentissage dès 15 ans, généralisation des « écoles de la seconde chance », transfert immédiat des coordonnées des élèves décrocheurs à une liste d’organismes, suppression de la mission générale d’insertion constituent autant de renoncements à l’obligation pour l’éducation nationale de permettre à chaque jeune de sortir du système scolaire avec un diplôme de cycle supérieur.

Vous laissez entendre que les conseillers d’orientation et psychologues seraient insuffisamment formés aux métiers actuels. Ces femmes et ces hommes sont confrontés non pas à une ignorance des métiers mais à l’incertitude dans laquelle se trouvent les élèves lorsqu’il s’agit de faire un choix, dont ils savent qu’il aboutira sur des années de galère, de chômage, de précarité, de sous-reconnaissance de leur diplôme !

Vous pourrez mettre en place tous les portails électroniques que vous voudrez, tant que la situation de l’emploi ne se sera pas stabilisée, les jeunes seront désorientés. Pour vous, l’école doit permettre d’acquérir des compétences utiles dans le monde du travail, alors qu’il s’agit pour nous de favoriser le développement de citoyens épanouis et responsables. École et formation n’ont pour vous d’autre utilité que de permettre l’employabilité des salariés. Vous mettez l’homme au service de l’économie ; pour nous, c’est bien l’économie qui doit être au service de l’humanité. André Malraux disait que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas ; nous disons, nous, qu’il sera le siècle des connaissances partagées ou ne sera pas.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi.

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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