Il y a quelques jours, M. Breton, se proposant de « dire la vérité aux Français », déclarait que l’impôt sur le revenu, loin de financer l’école ou les hôpitaux, ne servait plus qu’à payer les intérêts de la dette : cette charge pourrait franchir la barre des 50 milliards d’euros, juste un peu moins que l’impôt sur le revenu ! C’était prévisible, nous nous opposons avec constance à cette politique fiscale injuste consistant à baisser l’impôt sur le revenu, qui est pourtant le plus redistributif. M. Breton ne voit qu’une alternative : soit baisser les dépenses de l’État, soit « travailler plus, pour gagner plus ». La formule est idéologique, c’est elle qui permet d’achever les 35 heures, en demandant aux salariés des heures supplémentaires au tarif normal, de justifier le R.M.A., ce contrat qui permet d’exploiter les plus précaires ; c’est encore sous ce mot d’ordre qu’on dérégule le travail, qu’on facilite les licenciements. Ce texte suit cette ligne ultralibérale qui stigmatise la précarité et, sous couvert de « cohésion sociale », véritable cheval de Troie, multiplie les mesures inspirées par le patronat.
En présentant ce texte, monsieur le Ministre, vous rappeliez combien les inégalités sociales se creusent, en même temps que la précarité augmente : nous sommes d’accord avec ce diagnostic, pas avec votre politique qui dérégule le travail.
Si vous aviez concerté ce texte, ses objectifs d’emplois auraient été bien différents !
La presse reprend vos chiffres, en particulier la création de 500 000 emplois en trois ans : la belle annonce ! Mais il est temps de dire la vérité à nos concitoyens, je vais vous y aider.
Nous ne savons pas comment vous parvenez à de telles prévisions. Si c’est en plaquant le taux d’emploi américain, c’est ignorer les spécificités de notre marché de l’emploi. Vos chiffres sont contestés : le P.D.-G. du groupe chèques déjeuner parle de 300 000 emplois...
M. BORLOO, ministre de l’Emploi. - C’est déjà pas mal !
M. FISCHER. - Il en manque quand même 200 000 !
Les syndicats soulignent que des salariés à temps partiel passeront à temps plein. Vous voulez baisser le coût du travail non qualifié ; les Américains le font depuis trente ans, avec pour résultat le taux record de salariés pauvres, précisément dans les services ! Combien d’équivalent temps plein représentent vos mesures ? Les évaluations européennes montrent qu’en moyenne, les emplois de service à la personne occupent 8 heures par semaine : de 500 000 emplois, on passe à 100 000 équivalent temps plein !
La lutte contre le chômage ne se gagne pas par des effets d’annonce, l’enjeu est autant qualitatif que quantitatif.
Une étude de la DARES sur les emplois familiaux, réalisée en 2003, montre que le salaire brut moyen n’y est que très légèrement supérieur au S.M.I.C. - avant l’accord de branche de mars 2002, il était inférieur - alors que les compétences exigées y sont nombreuses.
Le temps partiel, ensuite, est très important et qui dit temps partiel, dit aussi assurance chômage partielle et retraite partielle. Le salaire moyen des assistantes maternelles atteint tout juste 542 euros par mois. L’emploi y est féminin pour l’essentiel : ce secteur conforte l’inégalité entre les sexes devant l’emploi. Quatre emplois à temps partiel sur cinq sont occupés par des femmes, le temps partiel est bien plus subi que choisi, le manque de formation professionnelle nuit aux emplois de service à la personne. Nous débattrons prochainement de parité et d’égalité professionnelle entre les sexes, mais comment parler d’égalité quand des femmes doivent accepter tout au plus vingt heures hebdomadaires au S.M.I.C. ? Où sont passés les engagements, pris en février par le Président de la République, pour l’égalité professionnelle ? Ce texte risque de renforcer la division sexuée du travail, la précarité des femmes, au mépris de promesses que l’on peut soupçonner empreintes d’électoralisme !
Les droits sociaux dans le secteur sont moindres, car on y calcule les cotisations sur la base du S.M.I.C., quand bien même la rémunération effective est supérieure.
Vous prétendez offrir aux exclus un « retour à l’activité », grâce à de nouveaux outils : contrat d’avenir, contrat d’accompagnement dans l’emploi, R.M.A., contrat d’initiative emploi - ils ne font que reprendre les contrats aidés actuels, en y ajoutant des avantages pour le patronat ! Les contrats d’avenir lui transfèrent ainsi des allocataires R.M.I. et A.S.S. ! Toutes ces dispositions aggravent la précarité. Pensez-vous qu’avec 26 heures hebdomadaire au S.M.I.C., on puisse décemment se loger, éduquer ses enfants ? Croyez-vous qu’avec un CIRMA à temps partiel, on se réinsère ? Vous créez une réserve de main-d’œuvre parmi les 7 millions de chômeurs et de précaires, corvéable à merci !
Ce texte participe du « plan de lutte contre le chômage » du Premier ministre, qui accroît la pression sur les chômeurs, regardés comme responsables de leur chômage. Les sanctions contre ceux qui ne prouvent pas leur recherche d’emploi, sont inadmissibles : c’est la logique du workfare, d’une contrepartie en échange de toute allocation.
Aujourd’hui, les trois quarts des embauches se font en C.D.D., le temps partiel et l’intérim progressent, mais vous créez de nouveaux contrats de courte durée, vous banalisez la précarité, abandonnant toute ambition pour le plein emploi et les emplois convenables : vous préférez faire tourner le plus grand nombre d’actifs dans des emplois au rabais. Au lieu de moraliser les pratiques, en particulier le recours abusif aux C.D.D. et à l’intérim, la loi de cohésion sociale fait peser sur le salarié toutes les contraintes de la flexibilité.
En France, le mouvement ouvrier, au xixe siècle, a organisé ses premières manifestations contre le travail de nuit des enfants, on rétablit aujourd’hui le travail de nuit des apprentis mineurs. En 1998, l’Union européenne nous a obligés à rétablir le travail de nuit pour les femmes dans l’industrie, qui était interdit depuis 1892.
Voulez-vous créer des emplois susceptibles d’assurer une pleine citoyenneté sociale à nos concitoyens, ou faire baisser, coûte que coûte, les chiffres du chômage pour pouvoir vous targuer d’efficacité au prochain rendez-vous avec le corps électoral ?
Après le verdict du 29 mai, M. Chirac, a déclaré vouloir « créer des emplois à tout prix ». Faut-il sacrifier les conditions de travail et d’emploi de milliers de salariés sur l’autel des statistiques du chômage ? À quoi sert de diminuer le chômage pour créer du salariat pauvre, précaire, sans avenir ? Le rôle de la puissance publique n’est-il pas plutôt d’améliorer les conditions d’emploi et de travail, afin de rendre ce secteur attractif ?
Certes, le conseil de Lisbonne a fixé des objectifs avant tout quantitatifs pour l’emploi. Mais les résultats du référendum ne sont-ils pas venus sanctionner de telles orientations ? Face à ce désaveu, les citoyens ne sont-ils pas en droit d’attendre une réorientation des politiques ? La déclaration de politique générale du Premier ministre et la perspective d’ordonnances en matière d’emploi laissent penser le contraire. Le gouvernement se débarrasse du Parlement pour mieux continuer sa fuite en avant libérale. Il ira droit dans le mur, mais à quel prix pour les salariés et les sans-emploi ?