Services à la personne

Publié le 27 juin 2005 à 20:48 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

De l’emploi, de l’apprentissage, du logement, telles sont les problématiques abordées par le projet de loi relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Ce texte, déjà central pour le gouvernement Raffarin confronté à la persistance d’un chômage de masse traumatisant, s’inscrit aujourd’hui, indiscutablement, dans un contexte singulier marqué par la prégnance des questions sociales.
Il intervient tout d’abord, après le référendum du 29 mai à l’occasion duquel, majoritairement les français, qu’ils soient cadres, employés ou ouvriers ont franchement sanctionné les politiques ultra-libérales tant européennes que françaises, et manifesté leur colère de tant d’autisme de la part de leurs gouvernants concernant leurs priorités économiques et sociales.

Pour autant, on ne peut pas dire que vous ayez pris la peine d’aménager substantiellement les dispositifs envisagés afin de tenir compte du ras le bol de l’insécurité sociale. A une exception près toutefois, puisque qu’aujourd’hui, vous ne vantez plus les mérites des chambres de bonnes de 7 mètres carrés et de 2 mètres sous-plafond réservées aux étudiants et personnes en difficultés.

Votre texte, Monsieur le Ministre, fait suite également à la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, décidé à engager la bataille pour l’emploi, - comme si cette urgence était nouvelle et justifiait le recours aux ordonnances -, qui place son action non pas sous le signe de la rupture mais sous celui de la continuité des politiques capitalistes les plus archaïques créant outrancière ment toujours plus de précarité, flexibilisant la relation de travail, culpabilisant les chômeurs, contraignant les bénéficiaires de la solidarité nationale à l’activité en contrepartie de cette dernière ...
Déclaration étrangement silencieuse d’ailleurs sur les questions de la pauvreté laborieuse, du pouvoir d’achat, mais aussi et surtout, singulièrement oublieuse de la croissance comme si ces deux questions n ‘étaient pas liée, comme si le sur chômage français s’expliquait par certaines « rigidités » spécifiquement hexagonale, le code du travail par exemple ou par « le laxisme » de nos politiques sociales dé incitant le retour à l’activité.

Monsieur de Villepin s’est dit attaché à notre modèle social mais comme son prédécesseur, il vante les mérites du modèle danois sécurisant la personne plus que l’emploi, pour n’en retenir qu’un aspect, la flexibilité, conduisant son architecte, Poul Nyrup Rasmussen à sortir de sa réserve en déniant au chef du gouvernement « le droit d’utiliser ce modèle pour légitimer des pensées conservatrices françaises. »
Que propose t-il en imposant pour les TPE un nouveau type de contrat de travail permettant à l’employeur de licencier sans motif et sans indemnité à tout moment durant deux ans ? De remettre en cause les droits de millions de salariés employés dans les entreprises de moins de 10 salariés, et demain pourquoi pas, comme le revendiquent déjà les organisations patronales, une fusion des CDD et des CDI et l’acquisition des garanties au fur et à mesure de l’ancienneté du salarié.

Que faites-vous, Monsieur le Ministre, en ouvrant les possibilités de déroger aux règles de droit commun du travail s’agissant du travail à temps partiel dans le secteur des services à la personne d’une part, s’agissant du travail de nuit, le dimanche et les jours fériés des mineurs en apprentissage ? Vous participez, ni plus ni moins, à l’entreprise de contournement du code du travail, vous ouvrez de nouvelles brèches dans le droit du travail perçu comme un frein à l’embauche. Vous vous attaquez donc, bel et bien, au modèle social français.

En défendant tout à l’heure une question préalable, mon ami Guy Fischer reviendra sur les raisons pour lesquelles nous rejetons avec force la philosophie et les outils des politiques de lutte contre le chômage que ce gouvernement entend poursuivre visant non à promouvoir des normes d’emploi de qualité ou éradiquer la multiplication des situations d’exclusion, de mal-vivre social, mais à masquer l’exclusion des moins de 25 ans, des plus de 55 ans du marché du travail derrière le sous-emploi.

Pour ma part, je concentrerai mon propos sur le premier volet du présent texte, pariant sur la création de 500 000 emplois dans le secteur des services à la personne et proposant pour se faire, un ensemble de recettes classiques mais néanmoins discutables destinées en premier lieu, à aider toujours les mêmes, les entreprises et les familles aisées en leur aménageant un environnement fiscal et social encore plus privilégié. Tournées en second lieu vers la simplification, lire la dérégulation et l’ouverture au secteur marchand et concurrentiel de services liés à l’enfance, aux personnes fragiles, relevant portant de besoins fondamentaux.

Concernant votre objectif. Il est certes louable car il participe à la lutte contre le chômage en tablant sur des emplois dont la délocalisation est impossible. Dans la mesure ou il semble répondre à de nombreux besoins insatisfaits suite au vieillissement de la population, au changement dans les modes de vie notamment.
Toutefois cet objectif peut être relativisé.

Dans le rapport du groupe Délos, le commissariat général du Plan montre tout d’abord, que la France ne serait pas en retard dans le secteur des emplois domestiques et personnels, ce qui « signifie que l’on ne peut s’appuyer sur un simple mécanisme de rattrapage et que le potentiel de création d’emploi réside plutôt dans l’organisation du secteur... la professionnalisation. » Or, le projet de loi continue à supporter principalement la solvabilisation au lieu de privilégier la construction de trajectoire professionnelle et la qualité des services.

Ce même rapport pointe en second lieu, la différence entre le nombre d’emploi et leur équivalent en temps plein, précisions importantes que vous vous gardiez bien d’apporter, et ce d’autant qu’en axant une fois encore sur la solvabilisation de la demande par le CESU, vous prenez le risque de subventionner le marché du gré à gré avec l’emploi direct de particulier qui produit les formes d’emploi les plus émiettées. Nous amenderons notamment pour que le CESU pré financé par l’employeur ne puisse servir à rémunérer directement un employé.

Comment lutter contre le travail au noir, sortir de la domesticité, des petits boulots, sans action résolue pour rendre les métiers de service réellement attractifs ? Comment promouvoir des formes d’emploi structurées, garantir la survie des prestataires du secteur non lucratifs déjà engagés dans la professionnalisation par les accords de revalorisations de salaires, de reconnaissance des qualifications, face à l’arrivée d’opérateurs moins disant socialement donc moins contraignant financièrement pour l’utilisateur ? Toutes ces questions restent en suspend.

Sur la nature, la qualité des emplois potentiellement créés on vous a peu entendu communiquer. La CFE-CGC considère quant à elle à juste titre, que ce texte « qui va à contre courant des objectifs annoncés de valorisation et de professionnalisation des métiers des services à la personne...illustre l’art de détricoter le code du travail au non de la cohésion sociale. »

Et pour cause, alors que la sécurisation des parcours professionnels et la lutte contre toutes les formes précaires d’emploi reste plus que jamais la préoccupation majeure de nombre de nos concitoyens et en particulier celle des femmes, vous ambitionnez de développer encore le temps partiel, de raccourcir les délais de prévenance, de placer le plus souvent possible les salariés dans une relation directe et forcément déséquilibrée face à l’employeur utilisateur.

Pour renforcer la couverture sociale de la personne employée et rémunérée par le CESU, vous n’avez pas fait le choix d’imposer la fin du calcul des cotisations sociales sur une base forfaitaire particulièrement pénalisante pour la constitution de droits sociaux pleins. Nous le proposerons.

Concernant maintenant les moyens préconisés pour développer le secteur des services à la personne ou plus exactement faire de l’intervention des grandes entreprises l’élément structurant du marché des services à la personne, là encore, monsieur le ministre, nous sommes en désaccord.
Nous arrivons au même constat que la FEPEM pour laquelle, je cite, « le PJL favorise le développement des entreprises et non celui de l’emploi. »

En effet, qu’il s’agisse de l’extension des exonérations totales de cotisations patronales d’assurance sociales à toutes les rémunérations versées à des salariés employés par des associations et entreprises prestataires de services à la personne, quel que soit le bénéficiaire de la prestation, laquelle interroge sur l’opportunité de subventionner des emplois de services de confort. Et soulève des inquiétudes légitimes des organismes de sécurité sociale habitués à ce que ce gouvernement se dispense de compenser intégralement les exonérations et allégements de cotisations qu’il consent.
Ou, qu’il s’agisse de l’autre mécanisme central de la réduction d’impôt sur le revenu de la moitié des dépenses engagées pour l’emploi d’un salarié à domicile, niche fiscale bénéficiant étroitement à 70 000 foyers aisés, laissant donc de côté plus de la moitié des foyers français non imposable, nous condamnons vos choix sans effets sur l’emploi.

Un dernier point enfin, nous inquiéte tout particulièrement. Il s’agit de la confusion entretenue par le texte entre les prestataires de service intervenant auprès des personnes fragiles et les autres. Situation d’autant plus préoccupante que par ailleurs, le projet dit de simplification du droit en matière d’action sociale et médico-sociale introduit un droit d’option pour les services prestataires d’aide et d’accompagnement à domicile. L’UNIOPSS, comme la FNAAFP /CSF, disent vouloir que le législateur rappelle l’exigence qu’un établissement ou service intervenant pour l’autonomie des personnes notamment, relève obligatoirement de la loi du 2 janvier 2002 et se voit appliquer le principe de l’autorisation et les mécanismes de la tarification.

Monsieur le Ministre, j’espère vivement que vous ferez preuve d’ouverture au cours des débats en acceptant de revoir la frontière entre le régime de l’autorisation et celui de l’agrément en fonction de la nature des prestations et des besoins sociaux auxquelles elles répondent et des publics bénéficiaires. Il en va de la protection des personnes, de la qualité des réponses mais plus globalement d’éviter la mort du secteur associatif par la dérégulation du secteur social et médico-social.

Enfin, un autre élément et non des moindres, m’interpelle et me conduit à douter de votre volonté de voir véritablement se structurer le secteur des services à la personne puisque aucune garantie n’est là encore apportée de nature à pérenniser certaines missions actuellement dévolues aux caisses de Sécurité Sociale.

Non sans paradoxe, dès mars 2005, soit à peine un mois après le lancement de votre plan en faveur des services à la personne, la répartition des crédits d’action sociale du FNASSPA laissait apparaître une diminution de l’enveloppe des heures d’aide à domicile de 15 à 25 %, privant de fait, les personnes âgées en Gir 5 et 6 de possibilités de financement d’intervenants en prévention.

L’absence de signature de la convention d’objectifs et de gestion 2004-2008 entre la CNAF et les pouvoirs publics décrédibilise votre action. En effet, on ne peut exiger de réduire à 7 ou 8% le taux d’évolution du Fonds national d’action social, alors que pour maintenir l’ensemble de leurs interventions sociales et répondre aux besoins de financement des structures d’accueil des enfants de moins de 6 ans, les caisses chiffrent au moins à 12% l’an la progression des crédits, sauf à donner un coup d’arrêt à certaines missions, dont l’aide au foyer faisant intervenir des travailleurs sociaux dans les familles pour les aider au quotidien et qui relève justement des services à la personne. Sauf, à fragiliser les associations et les collectivités partenaires de la CAF.
Ajoutons à cela que désormais, le CESU dont le champ d’usage est considérablement élargi pourra rémunérer directement un employé et payer des prestations d’aides sociales, et concluons que tout est organisé pour que demain, les CAF utilisant le CESU pour payer la garde des jeunes enfants par des assistantes maternelles agrées, solvabiliseront en priorité la demande au détriment de l’investissement dans une offre public de qualité.

Vous l’aurez compris, Monsieur le Ministre, et nous aurons l’occasion de l’expliciter en défendant la quarantaine d’amendements que nous avons déposés, si les sénateurs communistes s’inscrivent dans la lutte contre le chômage et en l’occurrence sont favorables à la promotion du secteur des services à la personne, ils exigent des réponses de qualité tant pour la satisfaction des besoins de la population, que la sécurisation des conditions d’emploi des personnes intervenant dans l’intimité des personnes...or, en l’espèce votre projet de loi y renonce.

Roland Muzeau

Ancien sénateur des Hauts-de-Seine

Ses autres interventions :

Droit au logement opposable : explication de vote

Les sénateurs du groupe CRC se sont finalement abstenus lors du vote du projet de loi instituant un droit au logement opposable. Favorables à ce droit, bien avant la conversion subite du gouvernement, ils estiment que le texte voté est trop restrictif."Le processus d’opposabilité du droit au logement, a déploré Roland Muzeau, sera complexe, long et difficile à mettre en œuvre et ne sera pas le même partout. L’exemption dont bénéficieront certains territoires pèsera sur l’universalité du droit et l’égalité des demandeurs de logement devant la loi." Les sénateurs communistes se félicitent néanmoins de ce premier pas, accompli grâce à une mobilisation de terrain, et espèrent que le droit au logement prendra rapidement "un tour plus concret et plus ambitieux".

Loi de finances pour 2007 : travail et emploi

Au cours du débat budgétaire sur la mission "emploi", Roland Muzeau est intervenu pour dénoncer la politique catastrophique menée dans ce domaine depuis cinq ans. "Il est désormais démontré, a notamment souligné le sénateur des Hauts-de-Seine, que les aides systématiques, telles que les exonérations sociales et fiscales, n’ont fondamentalement pas d’effet positif sur les créations d’emploi. Rien ne vient prouver que les quelque 25 milliards d’euros d’exonérations accordées ont créé, en contrepartie, les emplois espérés, ni même contribué à en conserver beaucoup d’autres."

Développement de la participation et de l’actionnariat salarié

Les élus du groupe CRC se sont prononcés contre le projet de loi relatif au développement de la participation et de l’actionnariat salarié, voté jeudi par la majorité sénatoriale. Avec ce texte, le gouvernement veut soumettre davantage encore les salariés au libéralisme, comme l’a expliqué Roland Muzeau, sénateur des Hauts-de-Seine : "Les salariés ne percevant plus seulement leur salaire mais disposant également de produits du capital, participeront pleinement au système capitaliste. Vous maquillez le visage de l’exploitation de la force de travail de l’homme, celle-ci n’en demeure pas moins sordide."

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