Service public de l’emploi

Publié le 9 janvier 2008 à 09:13 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’emploi est depuis des années l’une des préoccupations majeures de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Depuis trop longtemps, notre pays subit les conséquences d’un taux de chômage élevé : précarité, pauvreté, insécurité, mal-être social.

Or dans notre pays existent l’ANPE et l’assurance chômage.

Le 13 juillet 1967, un jeune secrétaire d’État aux affaires sociales, Jacques Chirac, crée l’Agence nationale pour l’emploi, alors que le chômage commence à se développer en France. Pour le gouvernement de Georges Pompidou, il y avait urgence à intervenir, au point que, dans une procédure d’exception, le Premier ministre défend la création d’une « organisation du marché du travail, comprenant tout d’abord un appareil de placement, d’orientation et de conseils ».

C’est cette organisation que Jacques Chirac aura mission de mettre sur pied. Il y a alors quelque 430 000 chômeurs, soit 2,1 % de la population. Le même secrétaire d’État chargé de l’emploi minore déjà ce nombre, en n’annonçant pas plus de 140 000 sans-emploi.

Cette agence a pour objet d’aider les demandeurs d’emploi dans leur recherche et dans leur parcours de retour à une activité professionnelle. Elle est un service public, puisqu’elle remplit une mission nécessaire et indispensable pour notre société. De plus, il est fondamental que de tels services soient accessibles de manière égale à tous les citoyens.

Aussi, les sénateurs et sénatrices du groupe CRC sont très attachés à son existence et à son rôle de lutte contre le phénomène de violence sociale, inhérent au système capitaliste, qu’est le chômage, pour en limiter ses aspects.

L’ANPE était donc créée. À n’en pas douter, vous aimeriez aujourd’hui la voir disparaître ou, pour le moins, la contrôler en la plaçant sous la tutelle directe du pouvoir politique.

Pourtant, le chômage perdure et, en 1967 déjà, Georges Pompidou en décrivait les motifs : l’ouverture des frontières et la mise en concurrence des entreprises européennes entre elles, que le Premier ministre présentait comme « une nouvelle mutation pour notre économie qu’il convient non seulement de prévoir mais de préparer, et qui est la dernière étape du marché commun ». Il s’agit, en d’autres termes, de l’inflation et de la naissance progressive d’un capitalisme financiarisé qui trouve aujourd’hui son âge d’or.

Mais qu’avez-vous fait depuis ? Vous avez privatisé des domaines qui ne l’étaient pas encore ; je pense à EDF ou GDF, dont le Sénat a débattu hier.

Qu’avez-vous fait encore pour « prévoir et préparer » les crises à venir ? Vous les avez facilitées en défendant dans l’économie de service la directive Bolkestein et en organisant, avec vos amis de la Banque centrale européenne, la fin des monopôles des services publics.

Quarante ans plus tard, il y a encore 8,5 % de chômeurs, preuve, s’il en est, que vos réformes toujours plus libérales, toujours plus à l’écoute du patronat et de ses désirs, à la recherche de toujours plus d’économies pour l’État et de précarisation du marché du travail, auront été contre-productives.

Quant au système français de protection sociale contre la privation involontaire d’emploi, il a été créé le 31 décembre 1958. Géré par l’UNEDIC, sa politique est mise en oeuvre par les ASSEDIC. Financée par les cotisations des salariés et des employeurs, l’assurance chômage est imprégnée du principe de solidarité que l’on retrouve en pratique au travers de la redistribution des cotisations.

Le groupe CRC est très attaché à ce principe de solidarité, tout comme au rôle de l’État, seul rempart contre les débordements et abus de l’économie de marché qui induit licenciements, emplois précaires et nombre d’autres maux sociétaux.

Aujourd’hui, force est de constater que le nombre de personnes privées d’emploi reste très élevé, puisqu’il est de 1,4 million environ selon les chiffres officiels.

Si ce chiffre est aussi important, oscillant entre 8 % et 10% selon les systèmes de comptage et l’importance des radiations, sans doute est-ce la preuve, me direz-vous, qu’il faut réformer le service public de l’emploi. Probablement ! Mais il existe de nombreux types de réformes.

Depuis quelques années, le mot « réforme » est brandi de manière incantatoire par les gouvernements successifs, à croire que ce n’est pas le contenu qui compte, ni l’idéologie que ce terme sous-tend. Il faut réformer le régime des retraites, l’éducation, la santé et, maintenant, le service public de l’emploi.

L’actuel gouvernement, digne héritier des gouvernements de droite précédents, n’échappe pas à la règle. Il n’est plus question de rupture !

Mais penchons-nous un peu sur le contenu de ces réformes et sur la manière qu’elles ont de transformer en profondeur notre pays et son organisation sociale, pour réaliser un projet de société en adéquation parfaite avec l’économie libérale et ses thèses les plus antisociales.

Le service public de l’emploi en est un exemple éloquent. Maintes fois réformée, cette institution n’est plus aujourd’hui au service exclusif des salariés privés d’emploi, alors que telle était sa mission première. Pire, elle doit fournir aux entreprises des travailleurs façonnés selon leurs besoins. Les 500 000 emplois non pourvus brandis par le MEDEF sont malheureusement là pour me donner raison !

Les « privés d’emploi » sont étroitement surveillés. Ils sont culpabilisés, stigmatisés, et on imagine aisément que l’institution qui va prochainement être mise en place renforcera cette surveillance.

Cette conception est aux antipodes de celle que nous défendons. Nous considérons que, après un licenciement, le salarié est la victime. Il ne doit pas être soupçonné et surveillé comme un voyou alors que les responsables, ceux qu’il faut blâmer, sont les entreprises qui, malgré leurs profits colossaux, délocalisent pour gagner toujours plus.

Malheureusement, les exemples ne manquent pas : en Isère, récemment, l’entreprise Poliméri, dont l’actionnaire majoritaire, ENI, vient d’être condamné pour entente illicite par la Commission européenne, a mis à la porte 250 personnes avant de délocaliser son activité en Inde ! Madame la ministre, j’ai interrogé vos services sur ce sujet ; j’espère que vous pourrez m’apporter une réponse.

En France, environ 15 000 suppressions d’emplois par an sont dues aux délocalisations.

J’en reviens à votre réforme. Malgré les dispositions prévues dans le projet de loi, on peut s’interroger sur le statut des agents de la nouvelle institution. Comment être sûr qu’aucun ne sera désavantagé, puisqu’une nouvelle convention doit être négociée ?

Certes, madame Procaccia, nous sommes persuadés que les partenaires sociaux négocieront en pensant aux salariés. Toutefois, s’ils sortaient gagnants de toutes les négociations, cela saurait et il y aurait sans doute moins de manifestants dans les rues ! Je leur fais entière confiance pour revendiquer et réclamer un statut de bonne qualité pour les agents, mais je ne suis pas persuadée qu’ils seront entendus...

Par ailleurs, comment être sûr que les agents parviendront à assurer convenablement certaines missions pour lesquelles ils n’ont pas été formés, et que chacun d’eux conservera son emploi, notamment chez les cadres - il en est qui comparent cette fusion à un « tsunami » - ou encore chez les titulaires d’un CDD ?

Votre projet de loi comporte décidément de nombreuses zones d’ombre.

Madame la ministre, je m’étonne également que vous puissiez croire, ou tenter de faire croire, que c’est en fusionnant l’ANPE et les ASSEDIC que vous parviendrez à diminuer durablement le nombre de demandeurs d’emploi. Il n’y a, en la matière, ni mystère ni secret et, sur ce point, je rejoins M. Gérard Larcher : pour réduire le chômage, il faut offrir plus qu’un travail, il faut offrir un emploi stable et rémunéré à hauteur des qualifications demandées.

Il ne suffira pas de créer un guichet unique - une structure de plus, comme le dit encore M. Larcher - à destination des demandeurs d’emploi, car, ne vous en déplaise, ce qui fait défaut, ce sont bien les offres d’emploi elles-mêmes. Et je ne parle pas des quelques centaines de milliers d’emplois non pourvus, de ces temps partiels imposés et payés une misère, des emplois difficiles et non reconnus sur le plan salarial, que le MEDEF entend combler par tous les moyens et pour lesquels il sait pouvoir compter sur votre soutien.

L’adoption du plan d’aide au retour à l’emploi, le PARE, et l’esprit même de ce projet de loi en sont des exemples. Et que dire de l’émergence de la nouvelle notion, volontairement très abstraite, d’offre acceptable d’emploi, qui se substituera peut-être à l’offre valable d’emploi, l’OVE, dont on connaît les critères de référence ?

Madame la ministre, nous arrivons ici au coeur même de votre projet de loi. Vous soutenez que son objectif est double : d’une part, faciliter les démarches des usagers par la mise à disposition d’une plateforme polyvalente assurant l’ensemble des prestations nécessaires au recrutement et au placement et, d’autre part, mettre à disposition, au seul bénéfice cette fois des salariés et des personnes à la recherche d’un emploi, un ensemble de prestations facilitant leur orientation sur le marché du travail et leur donnant accès, à chaque étape de leur parcours professionnel, à l’accompagnement et, le cas échéant, à la formation dont ils peuvent avoir besoin. Mais de créations d’emplois, il n’est nullement question !

Pour ma part, je vois aussi deux objectifs dans votre texte, mais ils sont bien loin de ceux que vous affichez : faire des économies sur le dos des chômeurs et des agents ; finaliser votre projet de « modernisation » du marché du travail.

Votre premier objectif consiste donc à faire des économies.

Le Président de la République a une obsession : diminuer le nombre de fonctionnaires pour tenir sa promesse. Or, il est impossible de réduire trop massivement les effectifs de la justice, de la police ou de l’éducation tant ces domaines sont sensibles. Pour autant, ils ne seront pas épargnés, loin s’en faut, mais cela ne suffira pas. C’est ailleurs, ou plutôt partout, qu’il faut économiser : l’ANPE et ses agents en feront les frais.

Le projet de loi prévoit de fusionner des agences en les réunissant dans un même lieu géographique, d’où la fermeture de locaux. Ce sera le cas en ville, mais aussi dans les zones rurales, ce qui aura pour conséquence d’éloigner plus encore les demandeurs d’emplois du lieu qui devrait leur permettre de trouver un travail ou d’être justement indemnisés.

Cela aura également des incidences sur l’aménagement même des territoires périurbains et ruraux, déjà sinistrés par la fermeture des bureaux de poste, des hôpitaux et des maternités, des tribunaux de proximité, des gendarmeries, des classes d’écoles.

Mais cela ne vous émeut guère : pour vous, ce sont les économies réalisées qui comptent ! Les régions, les départements et les communes n’auront qu’à compenser, en acceptant par exemple l’installation sur leur territoire de maisons de l’emploi qu’il faudra financer, si tant est que vous ne les supprimiez pas purement et simplement.

Des fermetures de sites interviendront donc. On recense aujourd’hui 1 800 sites ANPE et ASSEDIC confondus. Vous avez promis aux partenaires sociaux que 1 000 sites au moins resteraient ouverts. Cela veut-il dire que près de 800 d’entre eux fermeront ?

Pouvez-vous me préciser selon quels critères sera effectuée la « sélection » entre les sites destinés à perdurer et ceux qui sont voués à la fermeture ? Avez-vous déjà élaboré un projet que vous gardez secret, sans doute par crainte des réactions qu’il susciterait ?

La presse évoque la suppression de vingt-cinq unités spécialisées mises en place par l’ANPE afin de répondre à des situations particulières touchant notamment les cadres, les anciens détenus ou les professionnels des métiers des arts et du spectacle. Madame la ministre, pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information devant les sénatrices et les sénateurs, ainsi que devant les partenaires sociaux qui, je le sais, sont attentifs à nos débats ? La clarté est nécessaire à la pleine mesure de votre réforme.

En tout cas, nul doute que la recherche d’économies est l’un des objectifs du Gouvernement. Le Premier ministre ne s’en est d’ailleurs pas caché, allant jusqu’à préciser qu’il financerait ses réformes par de substantielles économies, réalisées notamment par la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC. Autrement dit, vous faites payer aux chômeurs et aux agents les cadeaux qui ont été faits dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA !

On apprend, à la lecture du journal Les Echos du 4 janvier 2008 que, dans une note de synthèse datée du 14 décembre, le groupe de travail chargé de l’organisation pointe plusieurs sources de rationalisation : « des économies liées au maillage territorial » - j’ai évoqué les territoires ruraux -, « des économies liées à la dématérialisation » - fermetures de sites -, « des économies liées directement à la fusion. » - quid des agents ? On ne saurait être plus clair !

Le second objectif de votre projet de loi réside dans la mutation totale du marché du travail et des missions de ce que sera la future institution.

Vous voulez faire des demandeurs d’emplois une main-d’oeuvre corvéable à souhait, les contraindre demain à accepter sans condition tout emploi proposé, au nom de la fameuse offre valable d’emploi sur laquelle je reviendrai.

Cette volonté s’inscrit dans la logique du PARE et de l’ensemble des réformes votées par la droite et concoctées par le MEDEF. D’ailleurs, le Président de la République ne fait pas secret de ses projets : il veut renforcer les sanctions contre les chômeurs qui refusent deux offres acceptables d’emploi. Et M. Laurent Wauquiez de préciser : « il y a un travail en commun qui devra être fait avec les partenaires sociaux pour définir ce que sont deux offres d’emploi acceptables ».

C’est bien, en effet, la question dont nous aurons à discuter. Pour les partenaires sociaux et les associations, une offre valable d’emploi doit tenir compte d’au moins trois critères auxquels le MEDEF est par principe opposé : la formation du demandeur d’emploi, la même zone géographique et la garantie d’un salaire au moins égal au précédent.

Or, on sait déjà que, pour Mme Parisot et ses amis, la référence est anglo-saxonne. Outre-Manche, l’offre d’emploi et sa « viabilité » s’analysent non au regard des besoins du salarié ou de ses spécificités, mais au regard de l’agence de placement, rémunérée au pourcentage.

Ce modèle britannique que vous vantez tant a conduit la grande majorité des « privés d’emplois » à accepter, sous la pression, n’importe quel travail, quitte à cumuler les emplois pour être tout juste au-dessus du seuil de survie, à tel point que la Grande-Bretagne compte un nombre très important de travailleurs pauvres.

On est bien loin de la définition posée par l’Organisation internationale du travail en 1934, qui instaurait comme critères la distance entre le travail et le domicile, le niveau de rémunération et la stabilité du poste. On mesure bien la différence : on pense non plus offre valable d’emploi, mais offre acceptable d’emploi, autrement dit employabilité du demandeur d’emploi ou manière la plus rapide de le sortir des statistiques du chômage et des indemnisations, tout en satisfaisant le patronat.

Voilà le futur que vous promettez aux salariés de notre pays. Vous voulez les contraindre non seulement à travailler plus pour ne pas gagner nécessairement plus, mais aussi à travailler dans des domaines qui ne sont pas les leurs.

Une réforme est-elle nécessaire, ai-je demandé tout à l’heure. Eh bien oui, mais dans le sens de l’acquisition de nouveaux droits sociaux pour les salariés. Car les communistes ne sont pas pour le statu quo. Face à votre projet de fusion des ASSEDIC et de l’ANPE, qui vise à soumettre un peu plus le service public de l’emploi aux intérêts des entreprises, nous avançons des propositions.

Comme vous n’avez de cesse de reprendre vos vielles méthodes libérales - qui n’ont pourtant pas fait leur preuve, je viens de vous le démontrer -, je vous suggère d’innover en créant une véritable sécurisation des parcours professionnels.

Cela passe d’abord, et je comprends que cela vous déplaise, par le renforcement des droits des salariés : suppression des CNE et autres contrats précaires, suppression des trappes à bas salaires et des exonérations patronales.

Cela passe également par le renforcement du contrat de travail et par l’affiliation de tous les salariés à une institution de sécurisation des parcours professionnels.

Cela passe aussi par le droit à la formation continue, que vous avez évoqué à juste titre, madame la ministre. Il faut renforcer et amplifier la formation continue, en lien étroit avec l’Association nationale pour la formation professionnelle, l’AFPA, le Conservatoire national des arts et métiers, le CNAM, l’éducation nationale, les associations, les entreprises privées de formation, afin de permettre à chaque salarié d’évoluer au cours de son activité professionnelle, d’en changer s’il en ressent l’envie et de bénéficier d’un vrai droit à une formation qualifiante.

Cela passe enfin par un réel service public de l’emploi, rénové, intégrant la refonte de l’ANPE, de l’UNEDIC, des missions locales, ainsi que leur articulation et coopération nouvelle.

Enfin, dernier étage de cette construction ambitieuse, la réorientation et le contrôle des fonds publics, dont l’octroi pourrait être soumis à une obligation en termes d’emploi, par exemple en interdisant les licenciements spéculatifs sans remboursement des fonds publics alloués

Naturellement, et nous aurons tout loisir d’y revenir dans les prochains mois, il convient de maintenir les 35 heures qui, vous le savez, ont permis des créations d’emplois, même si, trop souvent, leur application a pu créer des difficultés.

Madame la ministre, comme vous pouvez le constater, nous sommes en totale opposition avec votre projet de loi, qui s’insère dans une démarche beaucoup plus large de libéralisation du monde du travail. Il stigmatise les chômeurs, précarise le monde du travail pour favoriser des entreprises qui font déjà des profits astronomiques, j’y reviendrai lors de l’examen des articles. Il est inefficace en matière d’emploi, dangereux pour les salariés de l’ANPE et des ASSEDIC, ainsi que pour les demandeurs d’emplois.

En conséquence, madame la ministre, mes chers collègues, vous aurez compris que nous voterons contre ce projet de loi.

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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C’est avec beaucoup de tristesse et d’émotion que j’ai appris le décès de Walter Bassan. Le héros de « retour en résistance » s’en est allé hier à l’âge de 90 ans.
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