Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Mes cher(e)s Collègues,
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterai faire une simple remarque. Dans la tâche qui nous est confiée ici nous avons rencontré plusieurs difficultés, au premier rang desquelles le caractère de transition du projet soumis. Vous avez, Monsieur le Ministre, à maintes reprises souligné ce caractère, ajoutant qu’une réforme d’envergure de la sécurité sociale devait voir le jour suite aux rencontres avec les partenaires sociaux. Démarche à laquelle nous ne pouvons que souscrire, tant il est vrai que les enjeux de cette réforme dépassent de loin les stricts aspects financiers de ce projet de loi.
Mais il me semble, Monsieur le Ministre, qu’un certain nombre de mesures inscrites dans ce texte ou formulées par votre gouvernement tant en matière de financement que de prestations sont de nature à modifier en profondeur le fonctionnement de la sécurité sociale, avant ces échanges et les conclusions que chacun pourrait en tirer.
Je m’interroge donc, et par la même occasion vous interpelle, sur les raisons qui poussent le gouvernement à agir dès à présent sur le fond d’une réforme, plutôt que d’attendre les résultats de la concertation nationale. Mon collègue Guy FISCHER développera tout à l’heure plus largement sur les inquiétudes que nous avons à ce sujet.
Je me concentrerai pour ma part, dans le temps qui m’est imparti, aux dispositions du projet de loi relatives aux branches famille et vieillesse.
Concernant celles de la branche famille, je tiens tout d’abord à vous dire, Monsieur le Ministre, que l’article 40 qui attribue une allocation forfaitaire sur une année aux familles de trois enfants au moins, dont l’aîné atteint l’âge de 20 ans, a été relativement bien accueillie dans son principe. Répondant à une attente ancienne des familles, cette mesure leur permettra effectivement d’amortir la baisse brutale des allocations familiales une fois l’âge limite atteint par l’enfant bénéficiaire.
Toutefois, les partenaires sociaux n’ont pas manqué de remarquer qu’elle restait dans son effet une mesure singulièrement limitée. D’abord, parce que le montant forfaitaire de 70 euros par mois et par enfant ne couvre que la moitié de la perte d’allocation familiale subie par les familles. Demie mesure, donc, là où il eut été préférable de maintenir l’intégralité des allocations, et ce, jusqu’à 22 ans. Ensuite, parce que cette mesure ne favorise pas l’émergence d’une réelle autonomie de la jeunesse.
En revanche, les décisions de n’estimer la revalorisation des objectifs de dépenses de la branche famille qu’en fonction de l’indice BMAF, soit 1,7%, et d’amputer la capacité de financement de la branche d’un montant de 945 millions d’euros pour la seule année 2003 au titre de la prise en charge par la branche famille des majorations de pensions pour enfants rassemblent contre elles toutes les critiques.
En effet, la mesure de l’indice BMAF qui indexe le montant des prestations sur le niveau des prix ne permet pas de refléter exactement les besoins des familles. Rappelons à cet égard, que depuis 1997, les dépenses de famille ont décroché du PIB. Pendant que ce dernier progressait de 17%, les dépenses de la branche n’ont cru, elles, que de 7,2%. Nous vous proposons donc de combler ce retard par une revalorisation conséquente des prestations familiales de 2,5% pour l’année 2003, et de modifier la base de calcul de l’indice BMAF en l’indexant non plus sur les prix mais sur l’évolution du PIB.
Quant à la poursuite du transfert de charge du FSV sur la branche famille, pour majoration de la pension vieillesse des parents ayant élevés 3 enfants et plus, nous regrettons de constater que le gouvernement la pérennise et l’amplifie, en portant la fraction 2003 prise en charge par la CNAF à hauteur de 60%, au lieu des 45% prévus par le calendrier initial. Cette disposition contribue à priver aujourd’hui, mais aussi demain, la branche de recettes précieuses particulièrement utiles aux familles ayant effectivement des enfants à charge.
Mais il nous apparaît aussi, et peut-être surtout, que cette stratégie gouvernementale s’inscrit dans une logique globale qui vise à déstabiliser le financement de la branche famille, pour à terme en modifier la nature.
Bien qu’excédentaire depuis 1999, suite au retour de la croissance et de l’emploi, les comptes de la branche famille demeurent fragiles en raison d’un double mouvement contradictoire :
- Des tendances socio-démographiques lourdes portant sur l’évolution des mœurs et de la structure familiale qui modifient et accroissent les besoins légitimes des familles.
- Une tendance, confirmée cette année encore, à la ponction irresponsable par l’Etat d’une partie toujours croissante des recettes et excédents de la CNAF à des fins qui échappent aux objectifs initiaux de la branche.
A l’instar de la situation des autres branches, ce double mouvement construit le déséquilibre financier de la branche famille. Et en l’absence d’une politique volontaire et ambitieuse en matière d’emplois et de salaires qui pourrait accroître les ressources de la branche, il contribue à justifier les positions politiques du gouvernement en matière d’exonération de "cotisations patronales" et de fiscalisation des prélèvements de la branche famille, et bien sûr, le choix de société qu’elles impliquent.
Or c’est bien là, que cette position est lourde de dangers pour les salariés et les assurés sociaux. Loin de s’éloigner du programme du MEDEF, les propositions du gouvernement s’en rapprochent au point de le calquer ! Car considérer que les prestations de la branche famille relèvent de la solidarité nationale, comme l’illustre le recours grandissant à l’impôt pour les financer ou la mise sous condition de ressources de la majeure partie d’entre elles, parce que s’inscrivant dans une politique publique redistributive de correction des inégalités de revenus, considérer cela ne signifie rien de moins qu’entériner le retrait du patronat des Conseils d’Administration des institutions de la branche famille et qu’encourager son désengagement financier au motif que le lien entre production et famille n’est alors plus fondé.
Rappelons à cet égard que la part du financement sur cotisation sociale employeur des prestations familiales n’a cessé de se réduire depuis sa création. De 100% à l’origine, elles ne représentent plus que 65% des recettes de la branche. Les 35% restants étant constitués par 25% d’impôts (la CSG) et 10% de subventions Etat à la CNAF correspondant à la prise en charge pour son compte de prestations servies par la branche famille.
Cette position n’est pas la notre ! Pour le groupe C.R.C., le lien entre le travail et la famille est clair ! Et il doit être largement réaffirmé ! Tout comme doit être réaffirmée et consolidée la contribution des entreprises au financement de la branche.
A l’évidence, la prestation familiale est une compensation pour diminution du revenu de la famille liée en premier lieu à la venue d’un enfant. Elle conserve, dans son principe, son image de "sur-salaire" qui lui a été donné à sa création par le patronat lui-même, soucieux de conserver des travailleurs physiquement aptes à travailler malgré la venue d’enfants et financièrement aptes à renouveler les générations de travailleurs.
Mais elle la conserve aussi dans sa pratique. Comme toutes les prestations de sécurité sociale, la prestation familiale n’entre pas dans un circuit de redistribution, contrairement à ce que l’on tente de faire croire, mais dans le circuit primaire de distribution des revenus issus du travail. Elle est coextensive d’un travail effectué et de richesses créées dans l’entreprise. Avec pour seule différence que la part de revenu distribuée par elle ne s’affecte pas selon la règle d’équivalence en vigueur sur le marché du travail, mais selon la règle des besoins des hommes et des femmes face aux risques socialement prédéfinis. Il ne faut pas perdre de vue que ce qui est nommé "cotisation patronale" entre dans la masse salariale de l’entreprise et n’est rien d’autre que la part du salaire du travailleur évaluée différemment du salaire qualifié de "direct". La valeur de la prestation familiale ne renvoie donc pas à l’intensité de l’effort individuel au travail, mais à l’ampleur des besoins ressentis dans la société. A l’ampleur de besoins universaux parce que partagés par toutes les femmes et tous les hommes. C’est là le visage d’un autre choix de société que le vôtre.
C’est la raison pour laquelle, comme toutes les autres prestations, la prestation familiale, quelle que soit sa nature, se doit d’être universelle et ne peut être soumise à conditions de ressources ni à conditions d’emploi.
C’est aussi la raison pour laquelle, avec le groupe C.R.C., je qualifie d’insuffisante la proposition de l’article 40 et lui oppose une allocation du premier au dernier enfant. Allocation qui constituerait une bien meilleure solution pour répondre aux besoins de la population française, notamment des familles les plus modestes, dans la mesure où elle répond effectivement au coût réel d’éducation supporté par les familles et amortirait beaucoup plus efficacement la chute de revenu lié à la sortie des jeunes du dispositif.
Dans le même ordre d’idée, à la vue des besoins exprimés par la population, il est inconcevable de ne pas pérenniser au-delà des contrats en cours le fond d’investissement pour la petite enfance, et de brader ce secteur en privilégiant un mode de garde privé à domicile au détriment du système des crèches et des gardes conventionnées pour lesquels il n’est toujours pas prévu les moyens conséquents attendus par un grand nombre de salariés. A ce titre, les parents occupant des emplois d’intérimaires et de vacataires doivent pouvoir bénéficier des versements de l’A.P.E..
Voilà les motifs qui m’empêchent d’abonder dans le sens du projet que vous nous présentez pour la famille.
Quant à la branche vieillesse, la situation est différente puisque le gouvernement ne formule rien dans le PLFSS 2003, mais préfère le recours à la presse pour annoncer ses intentions quant à une grande réforme de la retraite. Aussi me permettrez-vous de changer de ton devant un procédé si cavalier qui fait fi des institutions de la République.
Dans ce PLFSS, donc, une unique mesure à destination de la branche vieillesse. La revalorisation de 1,5 % des pensions de retraites, qui correspond à l’évolution prévisionnelle des prix à la consommation pour 2002. Pour la première fois depuis 1999, le mécanisme habituel de revalorisation n’est pas appliqué intégralement. Ce qui place le montant de cette revalorisation bien en deçà de l’évolution des prix estimée pour 2003 à 2,2%. Avec pour effets, d’une part, de diminuer d’autant le pouvoir d’achat des retraités, notamment des plus modestes, et d’autre part, de les exclure de toute contribution à la croissance de l’économie.
En revanche, rien sur l’indexation des pensions de retraite sur les salaires qui permettrait justement de restaurer le principe de solidarité intergénérationnelle et le pouvoir d’achat des personnes âgées. Rien non plus sur la revalorisation spécifique du minimum contributif, dont nous rappelons qu’il répond à un objectif de justice en permettant à des salariés ayant cotisé intégralement leurs annuités sans parvenir à dépasser un montant de pension équivalent au minimum vieillesse, de bénéficier d’un droit à pension supérieur à ceux qui n’ont peu ou pas cotisé. Rien encore sur la revalorisation des pensions de réversion, dont les règles de calcul restreignent le cumul avec les pensions personnelles. Et enfin rien sur la professionnalisation de l’aide à domicile pour les personnes âgées et dépendantes ; aucune mesure qui envisage la formation et le requis de qualification de ces personnels.
Bref, aucune mesure pour répondre aux besoins urgents d’une population fortement fragilisée.
Par contre, que de perspectives énoncées dans le cadre de la réforme des retraites à venir. Perspectives qui trouvent déjà leur point d’appui sur une mesure principale que le gouvernement voudrait d’ores et déjà mettre en place : l’allongement de la durée du travail.
Loin d’être une surprise, parce que clairement prévue lors du Sommet de BARCELONE, cette mesure risque pourtant de surprendre désagréablement les salariés français par son ampleur et par les motivations qui la portent.
Le gouvernement ne s’étend pas sur l’ampleur de cet allongement. Mais peut-être est-ce parce que les 40 annuités de cotisation du secteur privé ou les 37,5 annuités du secteur public ne suffiront plus pour percevoir une pension de retraite à taux plein ? Vous devez aux citoyens d’être clair et leur expliquer que contre une tendance historique de deux siècles, vous augmentez la durée du travail ! Pour plus de précisions, prétendre à une pension pleine supposera de travailler 5 années de plus d’ici à 2010 !
Hormis le caractère morbide de la proposition, on n’imagine mal comment le recul de l’âge de la retraite permettrait de solutionner définitivement le problème structurel du financement des retraites.
A n’en pas douter, l’allongement de la durée du travail n’aura pour effet qu’une diminution supplémentaire du montant des pensions à payer. Et cela, alors qu’une récente étude de la D.A.R.E.S. vient de montrer que la durée effective d’activité tend à se réduire, au point d’être d’ici 2010 inférieure de 5 ans à celle d’aujourd’hui.
Mais cela n’empêche pas le gouvernement de s’engager dans cette voie. De renoncer aux dispositifs de retraite anticipée et aux systèmes de préretraites d’entreprises, dont on sait qu’ils ont parfois été utiles à l’emploi, notamment des jeunes. Ou bien d’encourager les travailleurs à rester sur le marché du travail bien au-delà de l’âge légal, au détriment du renouvellement des générations dans l’emploi.
Quant aux motifs affichés de cet allongement, c’est encore l’arlésienne : "Ne pas déséquilibrer les comptes pour ne pas enfoncer le pays dans la catastrophe démographique à venir" ! Mais comment doit-on procéder pour vous faire reconnaître ce que les faits prouvent ?
Oui, Monsieur le Ministre, effectivement, "les faits sont têtus" ! L’embellie de l’emploi des dernières années, si légère soit-elle, a déjà permis de démontrer que "la catastrophe annoncée pour l’économie nationale" ne réside pas dans l’impossibilité de payer les pensions des générations futures de retraités, mais bien dans la mise en place systématique de la précarisation, de la flexibilité de l’emploi et du chômage.
Dès lors, si l’avenir des retraites passe par une "politique ambitieuse", cette ambition ne peut se résumer à un processus comptable d’équilibrage des recettes et des dépenses au détriment des retraités. Elle doit prendre la forme d’une politique volontaire de développement de l’emploi et de lutte contre le chômage ! Une politique qui admette définitivement l’articulation entre emplois stables correctement rémunérés et recettes de la branche vieillesse. Une politique qui reconnaisse enfin la nécessité de modifier l’assiette des cotisations patronales dont la forme actuelle pénalise les entreprises à forte intensité de main d’œuvre au profit des entreprises à forte intensité capitalistique.
Conscients de la nécessité de réformer le système de la branche vieillesse, il n’est pas tolérable pour autant que les retraités fassent les frais des effets pervers de la politique libérale que vous menez. Quelle inconséquence y a-t-il à accepter que d’ici 2040 la part des dépenses de retraites passe de 12 à 18% de la production des richesses nationales, quand on sait que le PIB aura doublé sur la même période et que la population en âge d’être à la retraite aura cru dans les mêmes proportions ?
Là encore, Monsieur le Ministre, la vraie question est celle du choix de société et des moyens que les citoyens sont en droit de se donner pour le réaliser :
- Doit-on répondre à l’avenir de la France par la surexploitation des ressources humaines, comme naturelles d’ailleurs, et la conformité aux impératifs de maximisation du profit des entreprises sans contrepartie véritable au bénéfice des producteurs de richesses, au nom d’équilibres économiques fondamentaux qui n’ont toujours prouvé ni leur efficacité ni leur universalité ?
- Ou doit-on choisir de faire de la France un modèle de développement pour le monde, qui s’appuie sur un mode de développement durable valorisant ses ressources au moyen d’emplois stables et bien rémunérés, et sur un partage équitable et juste des richesses et des contraintes au sein des générations et entre les générations ?
Voilà une autre question fondamentale à laquelle ce projet de loi ne répond pas.
Avant de rendre la parole à mes collègues du groupe, je voudrais terminer par un point spécifique concernant les personnes handicapées et dépendantes, eu égard à la perspective de rénovation de la loi de 1975 relative au handicap prévue pour juin 2003 annoncée dans le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Malgré la loi de 1975 dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle a été un facteur de progrès, la France a pris beaucoup de retard sur la question du handicap. Bien qu’ayant répondu à nombre d’objectifs, cette loi n’a pas permis de répondre à tous les aspects de la vie collective. La ville et la vie sociale conservent souvent des barrières infranchissables pour toute personne handicapée mais aussi pour toutes personnes dépendantes. Quand bien même, les personnes en situation de handicap sont des citoyens réclamant de vivre en autonomie et de s’intégrer selon leurs capacités en milieu ordinaire.
S’il est heureux d’apprendre que le gouvernement s’attache à rediscuter le "droit des personnes handicapées à la prise en charge des aides humaines et techniques nécessaires à la compensation de leur handicap", cela ne pourra se concrétiser qu’à la condition de savoir concilier autonomisation de la personne et insertion sociale, et de se doter d’un tissu institutionnel dense et varié susceptible de réaliser le choix entre maintien à domicile et accueil en établissement spécialisé. A cet égard, la proposition du projet loi de finance 2003 qui vise à créer 3000 places en CAT constitue une avancée, mais demeure largement insuffisante devant l’étendue des besoins.
Comme nous pouvons tous le constater, ce grand débat à commencé dans le pays, la presse nous en donne de larges extraits, de manière parfois cruelle. Mais cela traduit la hauteur des besoins et des attentes, des exigences aussi sur le respect et la dignité. Le Président de la République s’y est risqué ! Sachez que les besoins en financement sont importants, inconciliables me semble-t-il avec la politique gouvernementale de réduction de la dépense publique.
Le groupe CRC engagé auprès des personnes handicapées saura dans le débat futur faire des propositions marquées par l’audace nécessaire pour que la marche vers une citoyenneté pleine et entière pour les personnes handicapées puisse assurément se trouver un chemin débarrassé des embûches et des discriminations.