Santé publique

Publié le 13 janvier 2004 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Guy Fischer

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Monsieur le Ministre, vous nous aviez annoncé une grande loi d’orientation mais je traduirai aujourd’hui la déception de nombreux professionnels de santé.
Ce texte ressemble plus à un DDMPP.
Non seulement il ne s’agit pas de la loi de programmation promise, mais en plus les orientations politiques qui traversent ce texte sont contestables. L’annonce de 100 objectifs n’y change rien ; nous déplorons le manque d’objectifs concrets, l’absence de moyens financiers, comme les lacunes et les dangers qu’il recèle.

Certes, quelques mesures ont été intégrées à ce texte : vous avez ajouté le titre II bis consacré à la modernisation du système de veille, d’alerte et de gestion des situations d’urgences… pour faire oublier vos lourdes responsabilités dans le drame de la canicule de l’été passé. Cinq mois après la première lecture par l’assemblée nationale, nouveau contexte de crise sanitaire oblige, le gouvernement tente d’ajouter à la hâte une disposition de nature selon lui à prévenir et gérer le risque de prolifération de légionelles dans les tours aéroréfrigérantes !

Vous créez une école des hautes études de santé publique, vous abordezle dispositif de lutte contre le saturnisme et les risques d’infection par l’eau ; enfin, la commission de l’Assemblée nationale a rétabli les conférences régionales de santé, qui avaient été initialement supprimées.
Mais cela ne peut suffire à masquer les lacunes de ce texte sans moyensni objectifs à long terme. J’en veux pour preuve supplémentaire les 68 amendements que le gouvernement a déposé au Sénat pour tenter ainsi de faire face aux critiques venant de toute part sur un texte vide de sens et d’ambitions.

Conscient de cet état de fait, nos collègues députés , se sont eux aussi employés à compléter le texte initial, de manière plus ou moins opportune si j’en juge le tollé général soulevé par L’amendement Accoyer encadrant la professionde psychothérapeutes. Une large concertation des organismes représentatifs de la profession et un grand débat national sur la santé mentale dans notre pays constituaient un préalable.
Les orientations politiques qui sont les vôtres vont à l’encontre des objectifs que vous affichez… et de la protection sanitaire de notre population.

Vous affirmez la responsabilité de l’Etat dans la gestion de notre système de santé…mais vous la concentrez en une structure pyramidale qui va à l’encontre de la nécessaire démocratie sanitaire et de la concertation avec les acteurs de terrain.
Vous prétendez vouloir mettre de l’ordre dans une « myriade de structures », source d’une confusion des responsabilités, mais vous fondez le Haut Conseil de santé et le Conseil supérieur de santé publique qui conserve pour l’essentiel les missions de deux institutions supprimées. Vous regroupez le Conseil national de sécurité sanitaire et le Comité technique de prévention en un Comité national de santé, dont les attributions entremêlent coordination, conseil et contrôle financier. Vous déplacez la complexité du niveau national au plan régional et vous créer une structure nouvelle, le groupement régional de santé publique la coordination des financeurs.

En définitive, vous ajoutez de nouvelles strates administratives de décision pour brouiller un peu plus les responsabilités et permettre à l’Etat de se défausser.
Le préfet de région devient le garant du plan régional de santé publique, mais les circuits administratifs n’en sont pas pour autant simplifiés ni centralisés à son niveau, puisque chaque administration conserve son autonomie d’action.
De plus, vous aggravez les inégalités entre les régions en matière d’accès aux soins et vous concentrez les pouvoirs entre les mains de financeurs.

Par ailleurs, vous ne craignez pas la contradiction en faisant l’éloge de la prévention qui profiterait aux plus défavorisés alors que, dans le même temps, vous restreignez l’accès à l’Aide Médicale d’Etat, notamment pénalisant ainsi une population dans les plus grandes difficultés. Je pourrais évoquer aussi le témoignage du groupement des associations d’éducation pour la santé, qui s’inquiète du fait que ses missions auprès des professionnels et de la population ne soit pas reconnues par ce projet de loi, de surcroît dans un contexte de restrictions budgétaires où l’activité de l’ensemble des associations de prévention est actuellement menacée.

Vous prétendez tirer les leçons - tardivement - de la catastrophe sanitaire de la canicule de cet été. Vous faites un mea culpa bien modeste puisque, dans le même temps, vous prenez des mesures à l’opposé de besoins sanitaires des personnes âgées : gel du plan de médicalisation des maisons de retraite, restriction des critères d’attribution de l’APA ; plus généralement, vous augmentez le forfait hospitalier, vous déremboursez des médicaments, vous faite la chasse aux affections de longue durée… autant de mesures qui viennent contredire votre affichage de dispositions en faveur de la santé des plus défavorisés.
Pas d’objectifs concrets
Dans le titre III, vous annoncez 100 objectifs sans les hiérarchiser, et, toujours, sans qu’ils aient donné lieu à concertation. Il s’agit ni plus ni moins que d’un catalogue de bonnes idées sans programme concret et sans moyens.

Votre projet de loi est muet sur un pan important qui est la prévention en matière de santé au travail et de santé environnementale, bien que, Monsieur le Ministre, vous en parliez beaucoup dans vos propos liminaires ; Mon collègue Yves Coquelle reviendra sur cette question mais je voudrais vous donner simplement l’exemple d’un dossier que je suis de très près : le combat pour la reconnaissance de site amianté dans mon département, chez Renault Trucks et Irisbus…qui voient régulièrement leur demande rejetée alors que les cancers et les décès se multiplient, alors que la direction départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle a émis par deux fois un avis favorable.
Et si le temps ne m’était compté, je pourrais parler également de la prévention du suicide chez les jeunes, autant de grands problèmes de santé publique sur lesquels votre projet est plus que modeste, voire inexistant.

Cette loi est totalement dépourvue d’engagements financiers. Vous refusez d’accroître les dépenses sociales pour vous conformer aux critères de Maastricht. Quant à l’Assurance maladie, elle souffre des effets conjugués de la hausse du chômage et d’une politique sans précédent d’exonération de charges patronales, accusant ainsi un déficit abyssal et l’on annonce une réforme par ordonnances durant les congés des Français en reprenant la méthode qui a prévalu lors de la réforme des retaites ; réforme chère à Monsieur Juppé.

Qui va donc payer ? Les assurés sociaux, déjà largement mis à contribution par vos précédentes mesures ? Vous allez supprimer des actions, comme le laisse supposer votre plan Hôpital 2007 qui réduit de façon drastique les crédits des hôpitaux déjà étranglés par des années de restrictions ? vous allez faire payer les régions , celles qui le pourront ,accroissant les inégalités des citoyens devant des droits universels .
Les lacunes et les dangers
Ce texte n’aborde aucunement la question de la formation initiale des professionnels de santé . Vous savez pourtant combien le manque est criant .
S’agissant du plan cancer, vous créez l’Institut National du Cancer, sans aucune discussion scientifique préalable ; on en ignore les fonctions précises et les articulations avec les organisations existantes, particulièrement l’INSERM.

En évoquant l’INSERM, je souligne que vous réussissez une nouvelle fois à faire l’unanimité contre vous : une pétition signée par plus de 5 000 chercheurs français, et non des moindres, entend protester contre ce qu’ils n’hésitent pas à nommer une "destruction programmée de l’appareil de recherche français. En effet, tandis que vous multipliez les effets d’annonce sur le plan cancer et les nanotechnologies, vous vous gardez de dire que vous fermez le secteur de la recherche, à coup de baisses de crédits et de recrutement. Ainsi l’INSERM voit son niveau de recrutement passer de 95 postes en 2003 à 30 postes en 2004, tandis que vous supprimez 550 emplois titulaires dans les établissements publics à caractère scientifique et technique, pour les remplacer par des CDD de trois ans renouvelables.
Monsieur le Ministre, vous menez une politique de poudre aux yeux.

Je vous ferai le même reproche que ceux que je vous ai faits dans la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme dans le volet santé du projet de loi responsabilités locales - à travers lequel vous aviez largement anticipé sur celui-ci - : Vous rendez à dessein illisible votre politique en éparpillant les mesures dans une multitude de textes législatifs ou réglementaires.

Nous ne sommes pas dupes et nous le disons haut et fort, notamment lorsque nous rencontrons les professionnels, très amers devant la politique que vous conduisez en matière de santé et profondément choqués de n’avoir aucunement été consultés.
Sans être dupe sur la portée de ce texte qui porte en germe de nombreux abandons et qui s’inscrit pleinement dans la logique gouvernementale de réduire l’accès aux soins, en faisant supporter des charges de plus en plus insupportables aux familles nous avons tout de même fait le choix de nous inscrire dans le débat, en proposant 60 amendements.

Il n’en demeure pas moins que nous restons totalement opposés à la vision que vous portez.

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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