Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues
Avec ce projet de loi, le gouvernement avance un peu plus dans son entreprise de remodelage profond de la société française. Il veut cadrer le débat, en faisant croire qu’il n’y aurait d’un côté que les partisans de l’interventionnisme, du protectionnisme, du tout-Etat, et de l’autre que les modernes libéraux.
Non, monsieur le ministre, il y a d’un côté un gouvernement, une droite revancharde, qui veut tout faire pour faciliter, encourager ce qui se passe en ce moment au niveau de la marchandisation du monde, - dont des millions de citoyens commencent à en percevoir la folie -, et de l’autre il y a ceux qui, comme nous, cherchent des voies nouvelles, en s’opposant aux effets catastrophiques au niveau économique, social, humain et écologique de la folie de la compétitivité sous pression financière.
Dans tous les cas, il est faux de laisser entendre que l’Etat, le législateur, n’aurait plus de rôle à jouer. La question est : lequel ?
Vous nous dites, le gouvernement est pour le dialogue social, il va donc laisser les partenaires sociaux s’entendre sur ce qu’ils veulent dans la loi en matière de licenciements. Or, permettez-moi d’exprimer quelques doutes, sur la forme comme sur le fond.
En effet, depuis sa mise en place en juillet dernier, le gouvernement ne nous a pas habitués à une telle sollicitude, mais plutôt, dans les actes, à un dirigisme sans faille.
Les exemples ne manquent malheureusement pas.
Le cas du Crédit Lyonnais est assez représentatif. Alors que les organisations syndicales réclamaient depuis un certain temps, sans l’obtenir, un rendez-vous avec le ministre des finances et de l’économie, ce dernier annonce publiquement que l’Etat procède à la vente aux enchères de cet organisme bancaire. N’est-ce pas mettre tout le monde, notamment les organisations syndicales, devant le fait accompli ?
On peut faire ce constat sur les 35 heures, les emplois-jeunes, le SMIC, l’élaboration du budget 2003, les projets de privatisation de grands services publics…
Et que dire du refus, quasi officiel, de procéder à un référendum, malgré les promesses faites en avril, sur un sujet aussi important, modifiant la Constitution, que la décentralisation à la mode de monsieur RAFFARIN ?
Quand on voit que c’est au congrès du MEDEF de l’hôtellerie que le secrétaire d’Etat au tourisme, mandaté par vous-même, monsieur le ministre, vient annoncer qu’il remet en cause l’accord sur les 35 heures de la branche, accord majoritaire conclu après 2 ans et demi de négociations, bonjour le dialogue social !
On ne peut que constater un écart permanent entre l’affichage sur le dialogue social et les actes de ce gouvernement. En matière de dialogue social, c’est la politique du fait accompli !
Plutôt que de faire en sorte que l’Etat assume ses responsabilités, en faisant prévaloir l’intérêt général, et en répondant aux besoins avec un souci d’équité, la politique gouvernementale vise à réduire l’Etat à la portion congrue. En fait de pragmatisme, ce n’est rien moins qu’une démission consciente et organisée du politique au profit du marché et de la loi du plus fort.
Avec votre projet de loi, il s’agit de laisser tranquille les chefs d’entreprise dans leur course folle aux profits, et d’asseoir le règne des actionnaires. Et tant pis pour les salariés !
Pourtant, le patronat est également appelé à s’interroger : un PDG comme monsieur Louis Schweitzer, dénonce, dans une interview récente au « Figaro », les gestions basées uniquement sur le court terme et sur les cours de la bourse, et donne une vision de la marche d’une entreprise : « Gérer une entreprise à trop court terme peut provoquer de graves désillusions », disait-il, et selon lui « la recherche d’une maximisation à tout instant du cours de la bourse pose problème. »
De la même manière, un économiste comme monsieur Jacques Généreux, professeur à Sciences-Po donne une appréciation juste et fine du contexte. Je le cite : « qu’il faille mieux contrôler les patrons ne fait pas de doute, mais la question est : qui doit le faire ? »… « en fait, le système capitaliste a été bouleversé par le déchaînement d’une politique de compétition généralisée, la dérégulation des marchés, l’ouverture à la concurrence des services publics, le recul des normes sociales. Par ailleurs, la libre circulation mondiale des capitaux a nourri l’obsession du taux de profit immédiat… Nous sommes désormais dans un contexte de guerre économique mondiale impitoyable et où le seul critère d’évaluation du management est la valeur de l’action et le rendement du capital au cours du dernier trimestre. C’est ce contexte qui est à la fois un pousse-au crime pour les dirigeants malveillants et pousse à l’imprudence pour les autres. »
Monsieur le Ministre, vous n’ignorez rien du contexte dans lequel nous sommes. Vous avez pu noter, comme tout le monde que la déferlante des plans sociaux se poursuit : Alcatel, Vivendi Universal, Thalès, la Snecma, Matra-Auto, Gemplus, Hewlett Packard, Casino, les Mines de potasse d’Alsace… la liste est longue, et ce sont plus de 200 000 licenciements économiques publiquement annoncés, rien qu’au premier semestre 2002 !
Toutes les régions de France sont touchées. Dans notre région, ce sont 50 000 licenciements économiques qui sont recensés, et la vôtre, monsieur le ministre, n’est pas à l’abri, avec plus de 5 000 licenciements économiques dans la région Pays de Loire.
Vous dites défendre une société de travail, vous défendez en fait une société des actionnaires, une société de l’exploitation !
Non monsieur le ministre, il est un peu trop facile d’incriminer la gauche et les quelques avancées de la loi de modernisation sociale en matière de droits nouveaux des salariés.
Ce n’est pas cela qui est en cause, mais la guerre économique mondiale, la compétition maximale qui entraînent de tels dégâts économiques et sociaux, sans que vous n’interveniez.
Vous nous dites que c’est une loi de circonstance élaborée sous le coup de l’émotion à l’annonce des licenciements, notamment des LU et des Marks et Spencer…mais que n’en faites-vous pas autant ou mieux, à l’annonce de tous ces plans sociaux que vous considérez comme fatals ?
Nous savons, monsieur le ministre, que 80% des licenciements concernent les PME. La situation devrait vous inciter à vous en préoccuper. Or, vous n’en faites rien. Tous ces licenciements sont souvent consécutifs des décisions des grands groupes, donneurs d’ordres, au détriment des sous-traitants, PME-PMI.
De la même manière, pas un mot sur l’urgence d’un volet formation, dont tous les acteurs sociaux et économiques s’accordent à souligner l’importance cruciale.
Vous jouez sur les mots en parlant de suspension des articles qui vous gênent. Vous ne trompez que ceux qui le veulent bien. Chacun peut mesurer dans votre style de gouvernance, la répartition des rôles entre le gouvernement et le MEDEF. L’un prononce publiquement ses exigences, l’autre donne l’image d’un modérateur, « soucieux des équilibres ». La suspension pendant 18 mois, n’est en fait qu’un « trompe-l’-œil ». Il n’y aura pas de retour à la case départ, ni d’avancées positives.
« Je suspens » dites-vous. Mais soyons sérieux ! Il s’agit bel et bien d’une suppression puisqu’il n’est pas question de rétablir le texte à l’issue du délai, mais d’adopter alors une nouvelle réglementation, à partir d’un hypothétique accord interprofessionnel dont la signature pourra être minoritaire.
En fait, c’est bien la suppression des quelques garanties que les salariés avaient obtenues grâce à leurs luttes et le retour au pouvoir absolu des employeurs dont il est question.
À cet égard, la suppression de l’Article 109 de la Loi de Modernisation sociale est particulièrement révélatrice. Cette disposition introduisait un peu de justice dans l’ordre des licenciements en supprimant les critères liés aux qualités professionnelles. En supprimant cette mesure les employeurs pourront à nouveau peser sur le choix des salariés à licencier en jouant sur les critères de qualités professionnelles, aggravant de façon considérable la situation des salariés les plus fragilisés.
D’ores et déjà, les organisations syndicales ont exprimé un désaccord avec votre projet, en faisant valoir notamment, pour les syndicats de salariés, que la négociation envisagée fera porter aux organisations syndicales la responsabilité de rendre les licenciements plus faciles (pour FO et CGT), la loi ne jouant plus son rôle de filet de sécurité (pour la CFTC), les accords d’entreprise pouvant remettre en cause le droit du travail (pour la CGC)…
Il faut dire que ce projet touche à une question très sensible pour les salariés : celle de leurs droits à l’emploi, de leurs garanties et de leurs protections en cas de licenciements, celle aussi de la responsabilité des chefs d’entreprise face à l’emploi.
Toutes ces dernières années, l’utilisation massive des licenciements pour motif économique a plongé des millions de nos concitoyens dans le chômage provoquant une situation d’insécurité sociale pour une part grandissante des salariés et de leurs familles.
Dans le même temps, les entreprises ont usé et abusé, par centaines de milliers de salariés, des CDD, intérimaires et temps partiels comme variables d’ajustement.
Ainsi, c’est toute la société qui se trouve fragilisée par le nombre de sans emplois et de précaires. Outre les conséquences humaines, psychologiques et financières désastreuses que provoque le chômage et la précarité pour des millions d’individus, cette politique encourage également la dégradation des conditions de travail. Elle dynamite les comptes sociaux, notamment ceux de la Sécurité sociale, ainsi que le régime des retraites.
Dans un tel contexte, il est impossible, pour nous en tout cas, de se résigner à voir se succéder licenciements économiques et plans sociaux.
La Loi de Modernisation sociale n’est certes pas allée aussi loin que les parlementaires communistes le voulaient ! Mais elle apportait des améliorations importantes.
Or, votre projet fait table rase de tout cela ! Il n’apporte aucun élément d’appréciation, aucun bilan sérieux à l’appui de cette révision.
Il s’agit d’un texte purement idéologique. Une nouvelle concession au MEDEF. Et quand on entend monsieur Guillaume SARKOZY, président d’un des dix « groupes de propositions et d’actions » du MEDEF, celui sur « la protection sociale » sous-titrée « pour une protection sociale plus efficace et moins coûteuse pour l’entreprise » (sic !), dire sa « fierté » de délocaliser, il y a vraiment de quoi s’inquiéter et se révolter !
La droite en a rajouté par le dépôts de nouveaux amendements remettant en cause des acquis obtenus par la lutte des salariés consacrés par la jurisprudence bien avant la loi de modernisation sociale. L’amendement « Michelin » qui obligeait l’employeur à négocier les 35 heures avant tout plan de licenciement est supprimé ; comme les dispositions dites Marks et Spencer.
Pour votre gouvernement, la cause du chômage viendrait des salaires qui seraient trop élevés, du droit du travail trop contraignant, de la législation trop dirigiste. Bref, du carcan de textes qui ligoteraient les entreprises !…
Vous osez même nous dire en commission que la loi de modernisation sociale aurait entraîné la fermeture et la faillite d’entreprises, et fait reculer l’investissement étranger. Sauf qu’à aucun moment, vous n’avancez la moindre démonstration, le moindre fait objectif à l’appui de vos propos. Et pour cause : la LMS n’a pas encore eu ses décrets d’application sur toutes les mesures importantes !
Dès votre arrivée au pouvoir, vous vous êtes empressé de tout stopper !
Le projet ne comporte pas la moindre évaluation de l’impact social qu’il va produire. Vous vous êtes d’ailleurs bien gardé de solliciter l’avis du Conseil économique et social. Or, il est redoutable pour les droits des salariés, pour l’égalité devant le droit à l’emploi, pour la sécurité juridique des relations de travail.
Le texte supprime toutes les dispositions qui permettaient aux salariés et à leurs représentants de contester un tant soit peu le bien-fondé des décisions conduisant aux licenciements, à la cessation d’activité :
∑ Les rares mesures d’origine jurisprudentielles imposant la consultation des C.E., en amont du plan social, avec la possibilité de formuler à ce stade des propositions alternatives disparaissent.
∑ Le maintien dans le texte de la référence à des propositions alternatives est illusoire : on est déjà dans le plan social, et le recours suspensif au médiateur pour les licenciements de plus de 100 salariés disparaît.
∑ L’absence de réponse motivée n’est nullement sanctionnée.
∑ L’accord d’entreprise peut s’affranchir de toutes les garanties liées au respect de la procédure.
∑ Le texte déresponsabilise les entreprises en matière d’emploi, en dispensant les organes de direction d’avoir à se prononcer sur le projet de cessation d’activité, en supprimant l’étude d’impact social et territorial des projets stratégiques de l’entreprise.
∑ Il réduit les pouvoirs de contrôle et de propositions de l’inspection du travail.
Avec ce texte, vous avez travaillé, monsieur le ministre, à l’affaiblissement des salariés face aux licenciements, et au retour au pouvoir absolu et sans limite des employeurs, puisque même les quelques protections légales introduites par le Parlement après la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, pourront, elles aussi, être balayées par les accords conclus au niveau de l’entreprise, dans les conditions de pression et de chantage que l’on connaît.
Vous avez travaillé, monsieur le ministre, à détourner le sens même de la négociation collective. Au lieu d’un droit des salariés, vous en faite un instrument de la régression sociale, en supprimant les droits et garanties que la négociation collective leur conférait jusqu’ici.
Allez-vous nous faire croire que vous ignorez la pression dans laquelle se trouvent les négociateurs syndicaux dans le cadre des plans de restructurations et de licenciements ?
Vous donnez à la négociation le rôle de déroger aux garanties légales, dans un sens obligatoirement défavorable aux salariés.
Pour la première fois, patrons et syndicats seraient autorisés à revoir à la baisse les droits des C.E., et décideraient des procédures et des modalités de licenciement.
Cette nouvelle atteinte, extrêmement grave, à l’ordre public social et à la hiérarchie des normes porte fondamentalement en elle la mort annoncée de pans entiers du Code du Travail.
Que reste-t-il comme garantie, si le droit de licenciement n’est plus fondé sur le socle du droit, et est renvoyé à la négociation d’entreprise, sans même être encadrée par la négociation interprofessionnelle ou de branche ?
D’ores et déjà les salariés sont doublement lésés.
Une première fois quant à leurs droits individuels : jusqu’ici, quels que soient les accords négociés et conclus dans le cadre des procédures de licenciements, les garanties légales préservaient aux salariés, individuellement, la possibilité de contester y compris la légalité du licenciement économique. Désormais, l’accord se substitue à la loi, privant les salariés du socle minimum de garanties prévu par celle-ci.
Une seconde fois quant aux droits de leurs représentants : les droits des C.E. pourront être définis - et limités - par les accords qui fixeront les conditions et les modalités d’informations, de saisie et la procédure de consultation des C.E.
Pour donner un semblant de légitimité à une négociation dont la seule vocation est de déréglementer, ce texte introduit la notion d’accord majoritaire.
En fait, le recours à l’accord majoritaire vient à l’appui d’une conception de la négociation qui est à l’inverse du droit des salariés à l’amélioration des garanties légales.
Par contre, le projet se garde bien de mettre en place l’accord majoritaire pour les négociations interprofessionnelles qui doivent servir à l’élaboration de la nouvelle législation en la matière. C’est donc la possibilité pour la minorité de faire la loi.
Plutôt que supprimer ce qui a été péniblement légiféré hier, nous pensons qu’il faut au contraire améliorer la législation.
Déjà, l’an dernier, sous le gouvernement précédent, nous avions déposé des amendements allant plus loin que l’Assemblée nationale, et visant à redéfinir le licenciement économique, à favoriser l’intervention des salariés en amont des procédures, à renforcer les pouvoirs des CE, à étendre les garanties en matière de licenciements à tous les salariés.
Nous proposerons une série d’amendements visant tout d’abord à nous opposer à la suspension des différents articles de la loi de modernisation sociale. Nous attacherons une attention toute particulière aux deux dispositions introduites à l’Assemblée nationale concernant le hacèlement moral au travail. Enfin, nous ferons un certain nombre de propositions ciblées, je pense notamment à la définition du licenciement économique, à la réintégration des salariés, à la sous-traitance, sans oublier l’encadrement nécessaire des accords de méthode.
Quant à la négociation, nous restons plus que jamais convaincus que le respect de l’ordre public social et la hiérarchie des normes dont la loi représente le socle minimum, sont et doivent rester les bases fondamentales sur lequel doit s’exercer le droit des salariés à la négociation collective dont le principe majoritaire doit s’imposer à tous les niveaux et pour tout accord. J’ajoute qu’il convient en outre, sur des sujets aussi importants, de consulter l’ensemble des salariés. C’est une règle élémentaire de démocratie.
Enfin, il y a un an, notre collègue Alain GOURNAC regrettait en Commission mixte paritaire : « que le débat fructueux qui s’est instauré contre le harcèlement moral n’ait pu se reproduire sur d’autres sujets... », je suis en conséquence pour le moins surpris de l’amendement adopté à l’AN, avec l’accord du gouvernement et, l’absence de position de la commission des affaires sociales, remettant en cause le travail parlementaire concernant le harcèlement moral. En chargeant désormais la victime, et non l’employeur, d’établir la preuve, et en lui interdisant le recours à une personne extérieure libre de toute pression de l’entreprise, vous rendez impossible de fait la quasi totalité des recours formulés par les salariés. Vous revenez à la situation qui prévalait avant la LMS.
Je ne peux m’empêcher de terminer mon propos en citant de nouveau monsieur Andreu Solé, sociologue et professeur à HEC, qui, dans un article du Figaro d’avril dernier, intitulé « pour le droit de dire non à l’actionnaire » :
« Lorsque des intérêts particuliers menacent l’intérêt général, l’Etat doit intervenir pour défendre ce dernier. C’est sa mission, sa raison d’être. Exiger « moins d’Etat », n’est-ce pas préférer un monde se référant à un intérêt général réduit ?… tout se passe comme si l’appétit de l’actionnaire n’avait pas de limites, comme si l’intérêt d’une catégorie de citoyens était supérieur à l’intérêt général…L’incapacité de l’Etat à protéger l’intérêt général finit par apparaître pour ce qu’elle est : une décision. »
Face à la voracité des intérêts particuliers, nous sommes résolument du côté de l’intérêt général, du côté des salariés pour obtenir de nouveaux droits. C’est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRC défendra des propositions d’avancées sociales et votera contre ce projet qui préfigure un recul grave des droits des salariés.