Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues
Nous parvenons aujourd’hui au terme de nos échanges sur votre texte abusivement intitulé « projet de loi en faveur des revenus du travail ».
Ce texte, qui a l’ambition de mettre en place un « cadre plus favorable à la dynamisation des revenus du travail » marque en réalité votre volonté de rompre avec les aspirations légitimes de nos concitoyennes et concitoyens, à savoir l’augmentation leur pouvoir d’achat, dont nous savons pourtant toutes et tous ici que c’est l’une des premières de leur préoccupation, après l’emploi, et pour cause.
Les prévisions pour octobre en matière de chômage sont plus qu’alarmantes, Madame Lagarde et vous-même Monsieur Wauquiez, parlez de plus de 40 000 demandeurs d’emploi supplémentaires en octobre, et confirmez que le chômage devrait encore augmenter pendant plusieurs mois...
En ce qui concerne leur pouvoir d’achat, et malgré vos propos qui se veulent rassurants, un nombre de plus en plus grand de femmes et d’hommes, salarié-e-s du public comme du privé, salarié-e-s privé-e-s d’emplois, retraité-e-s, peinent à faire face aux dettes qui s’accumulent, aux fins de mois difficiles, cela malgré vos différents textes adoptés en quelques mois !
Ainsi, face à la crise, et bien que l’urgence aujourd’hui soit la nécessité d’augmenter considérablement les retraites, les aides sociales et bien sûr le SMIC, vous préférez organiser sa revalorisation au 1er janvier, plutôt qu’au 1er juillet, et modifier son mode de calcul qui sera basé dorénavant sur des critères techniques. En attendant de le supprimer complètement, s’appuyant pour ce faire, sur un rapport du CAE, conseil d’analyse économique, qui doit faire rêver le MEDEF !
Face à cette situation, je réaffirme, au nom des sénatrices et sénateurs du groupe Communiste Républicain et Citoyen, la nécessité de relever immédiatement l’ensemble des pensions, des salaires, des indemnités et de tous les salaires de remplacement !
J’en viens au cœur de votre projet, qui pour mon groupe, ne permet pas aux ménages d’augmenter leur pouvoir d’achat mais vous donne l’occasion d’accorder aux employeurs de nouveaux cadeaux fiscaux tout en organisant durablement le gel des salaires, répondant là encore à une autre des attentes du MEDEF !
En effet, l’intéressement, tout comme la participation salariale, deux points forts de votre texte, sont par nature des mécanismes individualisés, inégalitaires, discriminants et souvent, au final, inintéressants pour les salariés de notre pays.
Individualisé et discriminant car l’intéressement, comme la participation salariale reposent sur le principe de l’individualisation des salarié-e-s. Vous entendez ainsi faire varier la rémunération de l’ensemble des salarié-e-s de manière individualisée. Et les critères sur lesquels est assise cette rémunération sont profondément discriminants. Car après tout, comme cela fut le cas avec l’instauration de la prime exceptionnelle de 1000 euros, l’employeur n’est pas tenu de l’accorder uniformément. Face au principe simple et égalitaire de la rémunération collective, vous construisez des règles toujours plus individuelles, espérant trouver là les outils nécessaires à la déconstruction d’une solidarité salariale. Avec cette méthode, comme avec la suppression des horaires collectifs du travail, vous répondez encore une fois, à une commande patronale : l’individualisation des rapports employés-employeurs dans le seul but de réduire le rapport de force.
Inintéressant, car elle permet aux employeurs de contourner l’exigence légitime des salarié-e-s de voire croître leurs salaires, au motif que la compétitivité française, et les résultats des entreprises, rendent l’augmentation collective des salaires impossible
Et pourtant, certaines, certains voient croître considérablement leurs rémunérations. Selon une enquête publiée par le magazine « Capital » courant octobre 2008, la rémunération moyenne mensuelle des dirigeantes et dirigeants industriels de notre pays serait de 383 000 euros, soit plus de 310 Smics. Toujours selon cette étude, les rémunérations des employeurs ont connues une hausse moyenne de plus de 20%.
A titre d’exemple, le deuxième patron le mieux payé de notre pays est un cas d’école. Sa rémunération a bondi, entre 2007 et 2008, de 32%, et ce, alors même que le profit de sa société n’augmentait que de 8%. Pour Pierre-Henri LEROY, président fondateur de Proxinvest, société privée de conseils en direction des investisseurs, « ces rémunérations ne sont pas choquantes », et, toujours selon lui « la hausse des profits des sociétés en 2007 légitime cette progression modérée ». Ainsi, selon lui, une hausse de 20% est une hausse modérée. A ce compte, les salarié-e-s de notre pays sauraient se satisfaire d’une augmentation modérée de leurs salaires, tout comme les salariés privé d’emploi leurs indemnités ou encore les retraité-e-s leur pension !
J’en viens à votre proposition, introduite en cours de débat parlementaire, de conditionner l’octroie d’actions à titre gratuit aux employeurs à des mécanismes d’intéressement ou de participation, voire à la distribution de stock-options à l’ensemble des salariés ; dans le contexte de crise que nous traversons, c’est une véritable provocation !
Tout d’abord, vous généralisez, sans l’encadrer par des mesures de protection des salarié-e-s, la règle de l’actionnariat salarié. C’est-à-dire que vous faites de chaque salarié détenteur d’actions le responsable de son propre licenciement. Car la recherche effrénée du profit des quelques bénéficiaires, les actionnaires majoritaires, ceux présents dans les conseils de surveillance par exemple, conduit, nous le voyons, à la compression des salaires, à la réduction des coûts, dont sont toujours victimes les salariés. Et la détention d’actions de leurs entreprises ne les protégera pas des licenciements boursiers.
De plus, quelle serait la situation des salarié-e-s de notre pays si, comme vous entendez le faire ici, une partie de leur rémunération était assis sur les placements boursiers ? Je crois qu’il suffit, pour y répondre, de regarder la crise boursière et de constater l’effondrement des actions. Aux Etats-Unis, les retraité-e-s qui ont étés contraints de placer une partie de leur pension sur les des fonds spéculatifs, sur les actions, le regrettent. Et pourtant, au plein cœur de la crise, vous entendez généraliser cette catastrophe en la transposant à nos salarié-e-s avec la généralisation de la distribution d’actions gratuites !
Quant à l’obligation d’adhésion pour tous les salarié-e-s à un PERCO, je ne vois pas en quoi cela va augmenter leur pouvoir d’achat... Cela va bénéficier aux différents fonds de placement, en revanche. Et je parle bien d’obligation d’adhésion, car le mécanisme habituel et logique qui consiste à faire le choix d’adhérer, est inversé : le salarié est présumé vouloir adhérer à ces mécanismes de retraites par capitalisation, histoire de mêler plus encore, dans la tête de nos concitoyennes et concitoyens, retraite par répartition, assise sur la solidarité nationale et retraite par capitalisation, assise sur la capacité d’épargne de chacun et sur le mouvement spéculatif. Par ailleurs, cette modification apportée de façon discrète par le Sénat, ouvre une brèche dans le droit en vigueur : il ne faut pas extraire la question du Perco du champ global des négociations collectives, qui ont pour objet aujourd’hui les questions salariales, l’épargne salariale, l’intéressement, et donc le Perco. Or les partenaires sociaux n’ont pas été consultés sur ce point.
En outre, la proposition que vous faite d’autoriser le déblocage permanent de l’épargne salariale est la preuve de l’inefficacité de ce texte : Nicolas Sarkozy l’avait déjà utilisée alors qu’il était ministre d’Etat en charge du budget, et plus récemment encore, en février 2008, vous nous l’avez resservie avec la loi en faveur du pouvoir d’achat !
Mais vous ne convaincrez personne, surtout pas les salarié-e-s, qu’en piochant dans leur épargne, ils gagneront durablement du pouvoir d’achat.
Par ailleurs, pour Ephraïm Marqueur, président de l’Association française de la gestion financière, « la crise financière pourrait peser sur l’épargne salariale et conduire, en cas de déblocage, à des moins value ». Pour lui : « L’évolution de l’encours d’épargne salariale montre que le phénomène ne devrait pas être rare. Au 30 juin dernier, la participation fêtait ses quarante ans sur un record historique de l’épargne salariale qui affichait au total près de 94 milliards d’euros détenus par près de 11 millions de porteurs. Fin décembre, la valeur de cet encours aurait perdu 9 milliards d’euros ». Et il ne s’agissait là que d’une estimation au 31 décembre 2007, alors que nous n’étions pas au cœur de la crise que nous connaissons aujourd’hui. IL estimait pourtant déjà que « les systèmes d’épargne salariale ne sont pas des systèmes sur lesquels il faut faire des interventions conjoncturelles pour régler des questions de pouvoir d’achat ».
Enfin, je m’étonne de l’adoption par la commission mixte paritaire d’un amendement de notre collègue député, et je m’en explique. Lorsque nous vous proposions de rendre obligatoire la tenue de réelles négociations sur les conditions salariales, vous nous répondiez qu’il était impossible pour le gouvernement, de s’immiscer dans la relation contractuelle qui lie l’employeur au salarié. Comme si l’augmentation générale des salaires en mai 1968 n’avait pas résulté de l’implication directe de l’Etat, sous la pression des organisations syndicales et des manifestants. Et pourtant, la Commission Mixte Paritaire a décidé de créer, auprès du Premier Ministre une commission chargée de promouvoir, auprès des employeurs, et sans doute des salariés, l’intéressement et la participation. On voit que dés lors qu’il s’agit de favoriser votre conception de la rémunération, l’immersion dans une relation privée, contractuelle, ne vous effraye plus. J’y vois là une contradiction de plus et je la regrette.
Ce projet de loi ne sera donc pas bénéfique aux salariés. Il est par contre utile au patronat qui bénéficie d’un nouvel outil de pression pour maintenir les bas salaires, et qui profitera en outre, comme si les quelques 42 milliards d’exonérations sociales ne suffisent pas, d’un nouveau crédit d’impôt, bref, d’une exonération fiscale.
Et ce ne sont pas les deux derniers articles, prétextant relancer la négociation dans l’entreprise, qu’il s’agisse des grilles salariales ou des NAO, négociations annuelles obligatoires, qui me fera changer d’avis. Bien au contraire, ces articles légitiment l’inacceptable, à savoir l’existence de grille en dessous du SMIC, et le rajout du sénat en la matière est des plus contestables, et le non accord dans le cadre des NAO.
En conclusion, je voudrais de nouveau vous faire part de notre opposition à ce projet de loi.
Nous y sommes opposé-e-s car il ne répond pas à la vraie question, celle qui nous réunit aujourd’hui et que vous n’assumez pas, celle de la répartition des richesses, de la répartition de la plus value entre le travail et le capital.
Le partage que vous proposez jouera nécessairement contre l’intérêt des salarié-e-s de notre pays, car pour vous, le juste partage, c’est 10% pour le travail, 90% pour le capital.
C’est pourquoi, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, voteront contre ce projet de loi.