Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le texte que nous allons examiner aurait vocation, selon vous, à « mettre en place un cadre plus favorable à la dynamisation des revenus du travail », à moderniser le SMIC et à relancer les négociations salariales.
Cependant, il convient d’inscrire ce projet de loi dans le contexte de la crise économique et financière actuelle : le Président de la République et le Gouvernement viennent d’injecter 360 milliards d’euros dans notre économie afin, entre autres choses, de sauver les banques. (Exclamations sur certaines travées de l’UMP.)
Le Crédit agricole recevra 3 milliards d’euros ; la BNP Paribas obtient 2,55 milliards d’euros ; la Société Générale, 1,7 milliard d’euros ; le Crédit mutuel, 1,2 milliard d’euros ; les Caisses d’Épargne, 1,10 milliard d’euros ; les Banques populaires reçoivent « seulement », ai-je envie de dire, 950 millions d’euros. Soit un total de 10,5 milliards d’euros affectés à six établissements bancaires !
Selon le gouverneur de la Banque de France, cette « recapitalisation publique » n’a pas pour objet de « pallier un quelconque défaut ou une quelconque faiblesse ». Or on retrouve dans ce qui n’est ni plus ni moins qu’un plan de sauvetage deux banques - la Société Générale et les Caisses d’Épargne - dont les autorités de contrôle interne ont fait preuve de légèreté dans la gestion de leurs avoirs.
D’un côté, les banques sont sauvées, de l’autre, nos concitoyennes et concitoyens vont payer l’addition : hausse de l’inflation et des impôts, sans parler des conséquences néfastes sur l’emploi.
Le contribuable, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, sera sollicité financièrement suite à ce vaste plan de pseudo-nationalisation de banques au bord de la faillite : le plan de sauvetage accroît la dette publique et ce sont bien les impôts qui combleront, en partie, cette dette.
Quant aux conséquences de cette crise sur l’emploi, elles se font déjà sentir. Adecco annonce 600 suppressions d’emploi ; Sanofi-Aventis, 900 ; La Redoute, 672 ; Renault, 4 900 ; Nexity, 150, 500 suppressions supplémentaires étant envisagées.
Mon département n’est pas épargné. Matussière et Forest, en dépôt de bilan, supprime 740 emplois,...
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
Mme Annie David. ... dont 460 en Isère.
Tyco Electronics suppriment 520 emplois, dont 228 en Isère toujours.
Ugimag, sauvée in extremis par un repreneur et par le soutien financier de la commune de Saint-Pierre-d’Allevard, en surprime 61.
Quant à Hewlett-Packard/EDS, il annonce 580 suppressions en France. Combien sur le site isérois ?...
Demain, les 180 salariés de l’entreprise familiale Celette, à Vienne, leader mondial et seule sur le marché du marbre automobile, manifesteront devant le tribunal de commerce, à la suite de la liquidation judiciaire, pour demander au repreneur de maintenir leurs emplois...
Et comme pour faire écho à ces sinistres annonces, les déclarations de chômage technique fleurissent ...
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce que veulent les salariés, ce n’est pas tant travailler plus que sauvegarder leurs emplois !
Dans ce contexte, la présentation de votre projet de loi, le troisième, je le rappelle, à avoir pour objectif la relance du pouvoir d’achat, après la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat d’août 2007, dite loi TEPA, et la loi pour le pouvoir d’achat de février 2008, apparaît en complet décalage avec le quotidien subi par les salariés. Sauf à reconnaître l’échec de votre politique en matière de relance du pouvoir d’achat ...
À l’heure où le Gouvernement est capable de trouver 360 milliards d’euros pour un plan de sauvetage de l’économie, dont 10,5 milliards sont d’ores et déjà affectés à la recapitalisation de six banques, c’est bien l’absence d’une véritable politique salariale qui est en cause !
Ne rien prévoir en faveur d’une augmentation des salaires...
M. Guy Fischer. Et des retraites !
Mme Annie David. ...relève de l’indécence.
Voilà quelques jours, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale, saisie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, a décidé de présenter un amendement visant à supprimer la prime de transport, au motif que « le dispositif proposé ne se justifie pas ou plus, en particulier parce qu’il vaut mieux privilégier le salaire direct et que les prix du pétrole ont baissé ».
M. Guy Fischer. C’est un vrai scandale !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est surprenant !
M. Guy Fischer. Mais Xavier Bertrand va rétablir cela !
Mme Annie David. Je pourrais répondre : chiche !
Mais, jusqu’à présent, le Gouvernement s’est systématiquement refusé à répondre aux demandes d’augmentation des salaires, car celle-ci jouerait prétendument « contre l’emploi ». M. Serge Dassault vient de nouveau de l’affirmer.
C’est donc en intervenant sur les autres éléments de rémunération que le Gouvernement compte compenser la pression qui s’exerce sur les salaires. Monsieur le ministre, je vous rappelle que 6 millions de salariés ne bénéficient d’aucune prime et qu’un peu plus de 2 millions de salariés sont rémunérés au SMIC.
Tout d’abord, ce texte prévoit d’instituer un crédit d’impôt au bénéfice des entreprises qui se doteraient d’un accord d’intéressement.
Égal à 20 % du montant des primes d’intéressement versées, ce crédit d’impôt viendrait en déduction de l’impôt sur les bénéfices de l’entreprise. Il s’agit bien là d’une nouvelle exonération accordée aux entreprises ! Malgré vos arguments, monsieur le ministre, cela devient intolérable au regard de la situation de nos comptes sociaux et des conséquences pour nos concitoyens.
Ensuite, le projet de loi entend donner la possibilité aux salariés de choisir entre le blocage de la participation, soit une épargne sur le long terme, et la disponibilité immédiate de ces fonds, afin, nous est-il dit, d’améliorer leur pouvoir d’achat.
Cependant, il convient de mettre l’article du texte concerné en perspective avec l’article 13 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, qui semble le contredire. En effet, l’article 13 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 instaure une contribution de 2 %, dite « forfait social », à la charge des employeurs, contribution qui s’appliquera à des éléments de rémunération à la fois exclus de l’assiette des cotisations de sécurité sociale et assujettis à la contribution sociale généralisée. Il s’agit des sommes versées au titre de l’intéressement, du supplément d’intéressement et de l’intéressement de projet, de la participation et du supplément de réserve spéciale de participation, des abondements de l’employeur aux plans d’épargne d’entreprise - PEE et PERCO - et des contributions des employeurs au financement des régimes de retraite supplémentaire.
Cette logique est difficilement compréhensible, monsieur le ministre, puisqu’elle risque de ne pas inciter les employeurs à favoriser l’intéressement et la participation !
Ne vous méprenez toutefois pas sur la nature de mes propos : le groupe CRC n’est pas favorable à la généralisation de ces éléments de rémunération, qui sont par nature aléatoires et individualisés.
Le salaire doit être la juste rémunération de la force de travail et assurer les moyens nécessaires à l’existence de chaque salarié dans les conditions d’aujourd’hui, en dehors de tout autre élément de rémunération.
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Annie David. Il doit assurer une véritable garantie et reconnaissance des qualifications et des compétences du salarié.
L’intéressement et la participation affaiblissent la part des salaires dans les revenus du travail et ils sont des facteurs d’inégalités et de discriminations entre les salariés.
Or le patronat a un vieux rêve : pouvoir payer les salariés différemment les uns par rapport aux autres, et ce d’un mois sur l’autre. Voilà qui rappelle fortement le travail à la tâche, comme cela avait cours au début du XIXe siècle !
Ce projet de loi se situe dans cette logique, puisque les critères de rémunération deviennent de plus en plus individualisés. Votre volonté de généraliser les stock-options contribuera à cette individualisation, tout en légitimant ces pratiques. Vous êtes gagnant sur les deux tableaux, monsieur le ministre !
Le développement de l’intéressement et de la participation aura également pour conséquence de créer un nouveau manque à gagner pour les comptes sociaux, mais aussi pour les salariés, puisque ces rémunérations ne sont pas intégrées dans le calcul de la retraite.
Mais ces dispositions ne sont pas les seules à recueillir notre réprobation.
Malgré les modifications apportées par l’Assemblée nationale, l’article 3, qui crée un groupe d’experts chargé de se prononcer « chaque année sur l’évolution du salaire minimum de croissance et de l’ensemble des revenus » et qui avance au 1er janvier la date de réévaluation du SMIC, ne trouve pas grâce à nos yeux.
Combinées, ces deux dispositions auront pour effet de déconnecter la réévaluation du SMIC des réalités sociales de notre pays, car seuls seront pris en compte les critères économiques. C’est l’annualisation programmée du SMIC, qui n’est rien d’autre qu’une vieille revendication du MEDEF, relayée encore récemment par Mme Parisot.
Monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des affaires sociales, vous m’avez affirmé qu’il n’y aurait pas d’annualisation. J’aimerais que vous le confirmiez aujourd’hui.
M. Xavier Bertrand, ministre. Je vous le confirme !
Mme Annie David. Par ailleurs, le déroulement des carrières dans l’entreprise doit être déconnecté de la fixation du SMIC, mais aussi rapproché de la politique salariale et sociale au sein de l’entreprise.
Quant aux articles 4 et 5, qui conditionnent les exonérations de cotisations sociales à l’obligation de négociations et imposent de prendre en compte les minima de branche pour le calcul des exonérations sociales, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux.
En effet, la sanction prévue par l’article 4 est légère - homéopathique, pourrais-je dire ! Le problème n’est pas tant l’absence de négociations que le résultat auquel elles peuvent conduire, car elles se soldent trop souvent par des constats de carence.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est un début !
Mme Annie David. Le dispositif prévu par l’article 5 n’aura d’impacts positifs que pour les minima sociaux, sans effet incitatif sur l’éventail des salaires.
Je ne m’attarderai pas sur les articles insérés sur l’initiative des députés, que j’évoquerai plus longuement lors de la discussion des amendements.
Mais je tiens à dire dès à présent que nous ne pouvons accepter l’extension de la participation aux chefs d’entreprise et à leurs conjoints dans les entreprises de 250 salariés, ou encore le principe de l’adhésion automatique à un PERCO, qui concurrence ainsi - pour le supplanter un jour, sans doute -notre système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité intergénérationnelle et non sur l’épargne individuelle et les fonds de pension.
Ai-je besoin de rappeler que, de juin 2007 à juin 2008, la tempête financière a déjà réduit de 1 000 milliards de dollars - soit environ 10 % - la valeur des actifs détenus par les fonds de pension privés et publics aux États-Unis, mettant gravement en péril le niveau des retraites ?
M. Guy Fischer. Voilà la réalité !
Mme Annie David. En conclusion, ce projet de loi accentue les mécanismes d’individualisation des rémunérations mis en œuvre depuis un an par le Gouvernement, sans apporter de réponse concrète et immédiate aux attentes légitimes de nos concitoyens : hausse des salaires, des retraites et des minima sociaux. Pis, il aggrave la situation de nos comptes sociaux.
Et ce n’est pas l’amendement n° 20 rectifié du Gouvernement déposé à la dernière minute et visant à généraliser les stock-options qui changera la donne, monsieur le ministre !
Nous voterons donc contre ce projet de loi, qui sert d’alibi au Gouvernement sans pour le moins du monde corriger ni même renier ce système capitaliste auquel vous êtes farouchement attaché !