Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Chers collègues,
Nous assistons aujourd’hui à un démantèlement accéléré - sans précédent - du code du travail et des droits des travailleurs, droits acquis par des décennies de combats politiques et de luttes sociales.
Notre société a ancré, historiquement, sa dynamique de progrès social dans l’amélioration progressive des conditions de vie et de travail.
Ce Gouvernement, au contraire, s’attache à tailler en pièces ces garanties de niveau de vie et de stabilité familiale, sociale et économique, par une politique entièrement dévolue à la logique du profit de quelques entrepreneurs et de grands groupes bancaires.
Au début de l’été dernier, le Gouvernement a imposé aux Français, par la voie des ordonnances, le Contrat Nouvelle Embauche.
Ce n’était que la première étape du bouleversement sans précédent des acquis de notre monde du travail opéré par Monsieur de Villepin et son gouvernement.
Ce bouleversment se prolonge aujourd’hui par l’annonce de la création du Contrat Première Embauche, véritable « copier - coller » du Contrat Nouvelle Embauche, en direction de nos jeunes générations en difficulté d’intégration dans l’emploi.
Et les plus âgés des Français ne seront pas épargnés non plus.
La création d’un « CDD - vieux », même si le terme utilisé par les média ne vous convient pas, Madame la Ministre, mettra en cause la stabilité des travailleurs en fin de carrière, alors que malheureusement la durée d’activité s’allonge toujours un peu plus.
Cette nouvelle conception du monde du travail mise en œuvre par le Gouvernement, fait de la précarité la règle.
Mme Parisot n’avait-elle déclaré, le 30 août dernier : « la vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?
Ce qui était la garantie de stabilité, le contrat à durée déterminée, devient aujourd’hui avec le Contrat Nouvelle Embauche, à l’inverse, le type d’emploi le plus précaire.
Aujourd’hui, plus rien ne garantit aux travailleurs des conditions de travail et donc des conditions de vie relativement stables.
L’explosion de la précarité s’impose.
Contrat à durée déterminée de quelques mois, contrats en intérim de quelques jours, Contrats Nouvelle Embauche avec licenciement sans raison motivée, licenciements économiques anticipés, sans recours possible, voila, madame la Ministre, le monde du travail tel qu’il est dessiné par vous-même et votre majorité.
En plus de cela, vous opposez les travailleurs les uns aux autres, les jeunes aux vieux, les femmes avec enfants aux hommes célibataires.
Cette segmentation dangereuse du marché du travail accroît la pression sur les travailleurs, sans cesse accusés d’être la cause du chômage dont ils sont victimes par un coût du travail trop élevé.
C’est bien de cela dont il s’agit, Madame la Ministre, dans le dernier rapport que les services du ministère de l’emploi viennent de rendre public sur le salaire minimum.
Personne n’est dupe, d’une politique que le Gouvernement annonce « sociale », alors qu’elle institutionnalise la pauvreté et l’instabilité sociale, familiale et économique pour toutes les générations, et cela à vie.
C’est dans ce paysage politique là, que nous abordons ce texte intitulé « retour à l’emploi et droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux ».
Chacun sait que ce texte n’est que la première étape d’un projet de plus grande ampleur de refonte totale des minima sociaux tel que nous les connaissons aujourd’hui.
La méthode gouvernementale m’inquiète.
Le groupe de travail sénatorial, dont je fais partie, travaille depuis plusieurs mois sur les pistes de réforme des minima sociaux.
Pourtant, ce texte anticipe les conclusions que le groupe doit rendre sous la direction de Madame Valérie Létard.
Pourquoi un tel empressement ?
Pour quels mauvais coup ?
Je souligne par ailleurs, fait exceptionnel, qu’aucune audition de la part de la commission des affaires sociales n’a été réalisée en préparation de ce texte ? Les structures d’aides sociales, les associations, qui travaillent chaque jour sur le terrain avec les personnes bénéficiaires des minima sociaux n’ont pas une seule fois été interrogées.
Permettez-moi aussi de m’inquiéter de l’annonce d’une proposition de loi à venir sur les minima sociaux dans les jours ou les semaines à venir, sans que l’on ait pour l’instant la moindre information à ce sujet.
La méthode employée témoigne donc bien de vos intentions, monsieur le Ministre. Cette volonté de réforme cache mal le fait qu’il s’agit en réalité d’un projet de réduction des aides accordées et de réduction du champ des publics concernés, de façon à réaliser quelques économies sur le dos des plus démunis.
Je ne serai pas étonné, que la fameuse proposition de loi que l’on annonce pour fin février soit, entre autre chose, la traduction législative des vues de Messieurs Mercier et de Raincourt, dont le rapport remis au Gouvernement parle clairement de la fusion de certains minima sociaux, c’est-à-dire du revenu minimum d’insertion (RMI) et de l’allocation parent isolé (API) en une seule allocation.
En fait, le gouvernement, sous prétexte de clarification d’un système qu’il considère comme trop complexe, souhaite uniformiser la prise en charge des plus démunis pour aboutir à une allocation unique.
Cette uniformisation qui s’annonce se fera au détriment des plus pauvres, stigmatisés comme assistés, comme fraudeurs en puissance, et cantonnés au ban de la société.
L’objectif est clair : aboutir à une allocation unique sur critère exclusif de revenu.
Au contraire, dans notre système actuel, par souci de respecter les spécificités de chacun, le critère d’attribution du revenu est toujours complété par la prise en compte du statut (par exemple femme seule élevant un enfant, handicapé, chômeur en fin de droit).
Ce critère du statut, se trouve grandement menacé, et ce sont les plus pauvres qui en seront les premières victimes.
L’existence de différents statuts n’est pas, madame la Ministre, une complexité ou une lourdeur administrative inutile.
Ces différents statuts répondent à des situations et à des parcours de vie différents, ils évitent des amalgames, des raccourcis qui mènent à penser que la société a à sa charge une population « d’assistés », dépeinte, depuis la loi Fillon, comme une masse d’indigents, informe et sans visage.
Ce texte s’inscrit dans votre volonté de démantèlement des systèmes d’aides et de protection sociale.
Ce gouvernement organise une véritable « chasse aux pauvres, aux chômeurs et aux assurés sociaux », accompagnée d’une campagne médiatique sans précédent qui vise à les présenter comme les seuls responsables de leur sort, et comme fraudeurs potentiels.
Votre politique est destructrice nette d’emplois, car je vous le rappelle, si les chiffres du chômage baissent, c’est parce que la population active est moins nombreuse, mais non pas parce que le volume d’emplois augmente.
Pour y répondre, vous avez durci les conditions d’accès au régime d’assurance chômage, faisant basculer des milliers de personnes, du régime d’assurance chômage, à celui de l’assistance.
Au total, le nombre de demandeurs d’emploi non indemnisés a augmenté de 9% en 2004, selon l’INSEE !
De même, en 2003, le nombre d’allocataires du RMI a augmenté de 5%, et il a augmenté de 8,5% en 2004 ! Et il en sera au moins de même pour 2005.
Autre donnée très significative de votre politique de l’emploi : alors que le nombre de demandeurs d’emploi de plus de trois ans a été en diminution entre 1999 et 2003, au contraire, ils sont en augmentation cette année de 8,8%, ce qui conduit au maintien du nombre de bénéficiaires de l’Allocation de Solidarité Spécifique, alors même que l’Allocation équivalent retraite de remplacement (AER) n’a cessé d’augmenter depuis sa création en 2002.
Au total, en tenant compte des ayants droits, un peu plus de 6 millions de personnes sont couvertes par les minima sociaux.
Quel avenir, Madame la Ministre, réservez-vous à ces personnes ?
Cette manière de légiférer quasiment « en catimini », de manière décousue n’est pas acceptable.
Sous couvert de politique sociale, les mesures d’affichage contenues dans ce texte, comme la prime de 1000 euros, ou bien la prime d’intéressement forfaitaire, réduisent les droits des plus défavorisés, tout en augmentant la complexité des modes de calcul et des critères d’attribution.
Mais surtout, ce qui est insupportable, dans la politique menée par ce Gouvernement, c’est cette chasse aux fraudeurs, qu’ils soit allocataires de l’assurance chômage ou bénéficiaires de minima sociaux, et qui ne représentent pourtant qu’une infime minorité.
Vous renforcez les sanctions pénales comme les plus pauvres, pour des populations déjà en grande difficulté financières, et vous les complétez à présent par des sanctions administratives.
Par contre, vous laissez les riches dans une totale impunité.
Comment justifier un tel acharnement, alors que selon les chiffres de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales, les fraudes représentent environ 0,004% des cas traités, ce qui est donc zéro !
De même, le rapport Marimbert sur le service public de l’emploi, remis en janvier 2004 au Gouvernement, faisait état de 0,08% de dossiers de demandeurs d’emploi donnant lieu à poursuite, ce qui est une fois encore zéro !
Pourtant, le décret publié le 24 décembre dernier, en cadeau de Noël, qui autorise les contrôleurs du travail « à se faire communiquer par les administrations fiscales toutes données nécessaires à l’accomplissement de leur mission » en cas de suspicion de fraude laisse entendre, de manière perverse, qu’il y a urgence à agir.
Alors que le chômage reste massif en France, l’objectif du gouvernement est clairement de stigmatiser les chômeurs ou les plus pauvres, en les présentant comme responsables de leur situation, comme paresseux et profiteurs.
Alors que vous ponctionnez l’épargne populaire, au contraire, votre politique fiscale permet à 180 000 foyers, les plus riches de notre pays, de bénéficier d’une baisse d’impôt de 2,5 milliards d’euros !
Il y a quelque chose d’indécent à vouloir réaliser des économies budgétaires sur les personnes bénéficiant des minima sociaux, c’est-à-dire qui touchent environ 400 euros par mois.
De quoi profite-t-on, Madame la Ministre, avec de tels revenus ?
Je vous le demande.
Pour toutes ces raisons, nous vous opposons la question préalable, estimant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion d’un tel texte.