Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
En 2002, François Fillon soutenant son texte visant à écarter les solutions « antiéconomique et antisociale », de la loi de modernisation sociale, je le cite, invitait les parlementaires à faire preuve, sur le sujet des licenciements économiques et de ses conséquences sur l’emploi, « de vérité et de responsabilité », considérant « qu’il était temps de sortir des facilités idéologiques ».
Sans vouloir polémiquer et porter ainsi préjudice à la hauteur des débats ; hauteur d’autant plus nécessaire que les question abordées par la proposition de loi de notre collègue Gournac, en l’occurrence le droit applicable en matière de licenciements économiques ou le droit à l’indemnisation des chômeurs, sont effectivement au cœur de notre pacte social, je me permets tout de même, mes chers collègues, de vous rappeler certains faits, quelques vérités, même si ces dernières peuvent s’avérer difficile à entendre.
Le gouvernement Raffarin I fait preuve de dogmatisme, dès son arrivée, en mettant un point d’honneur à défaire les dispositions prises par le gouvernement précédent dans le domaine économique et social, réouvrant les dossiers de la RTT, de la LMS, des emplois jeunes…..
Il a cédé aux sirènes des théories économiques dominantes attribuant « les déséquilibres » le chômage en particulier aux « rigidités structurelles » notamment le droit du travail, le SMIC.
Le gouvernement Raffarin III continue d’appliquer des recettes libérales, chères au Medef, destinées à desserrer l’étau juridique et fiscal pesant sur les entreprises afin que ces dernières réalisent toujours plus de valeur.
Les interventions des responsables de droite ayant trait à l’emploi, déclinent toutes de manière récurrente les thèmes de la valeur travail, de l’efficacité du droit du travail, de sa contractualisation au niveau de l’entreprise…
Pour autant, vous vous gardez bien, au fond, de poser les vraies questions, celle notamment du statut du travail dans notre pays, où le chômage de masse touche près de 10% de la population, où les conditions de travail, pour ceux qui sont en emploi, sont de plus en plus précaires et, où le rapport au travail ne peut qu’être paradoxal, ce dernier ne permettant plus de vivre décemment.
Jamais un gouvernement n’aura été aussi violent envers les salariés, les chômeurs, que vous tentez constamment d’opposer.
C’est en pleine connaissance de cause, que ce gouvernement, après avoir agréé la convention Unedic du 20 décembre 2002 programmant, sous prétexte de difficultés financières, une réduction drastique des droits à indemnisation, a entrepris de mener à bien parallèlement la réforme des minima sociaux en transformant le RMI en RMA et en limitant les droits des privés d’emploi à l’ASS.
Alors même que le chômage n’avait de cesse de repartir à la hausse et la croissance à la baisse, les moyens consacrés à la politique de l’emploi, au traitement social du chômage, ont fondu pour être principalement recentrés sur les exonérations de cotisations sociales.
Les chômeurs et RMIstes eux, ont été stigmatisés, accusés de se complaire dans l’inactivité et la paresse. Les premiers verront durcir les contrôles pesant sur eux, sans pouvoir bénéficier du service public de l’emploi ; le dynamitage de ce dernier étant programmé. Les seconds sont désormais contraints de travailler dans le cadre d’un nouveau contrat , hybride, précaire, sans obligation de formation, ne leur permettant même pas d’acquérir des droits sociaux pleins !
A cela il faut ajouter la dernière invention en date du gouvernement Raffarin : le travail gratuit des seuls salariés et fonctionnaires pour financer les actions de solidarité en direction des personnes âgées et personnes handicapées. Mesure permettant au passage, ce qui ne s’était pas vu depuis 1936, d’augmenter la durée légale du travail sans que pour autant, là encore, l’activité soit rémunératrice.
N’êtes vous pas pourtant, de ceux, Messieurs, qui estiment, qu’il faudrait permettre aux salariés qui le souhaitent de travailler plus pour gagner plus ?
Encore faudrait-il qu’il y ait du travail et que la rémunération des heures supplémentaires à partir de la 36ème heures soit effective. Or, sur ce point également le gouvernement a déjà lâché du lest aux entreprises.
La loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi ayant institutionnalisé un régime dérogatoire de rémunération des heures supplémentaires, limité à 10% pour les entreprises de moins de 20 salariés notamment.
Depuis la relance du débat sur les nouveaux aménagements des 35 heures pour ne pas dire la remise en cause de la RTT, suite aux déclaration du Président Chirac, contraint par Sarkozy de s’exposer et de céder ainsi à l’aile la plus libérale de l’UMP, il est de surcroît fortement envisagé d’échanger une baisse des allègements de charges contre des assouplissements supplémentaires, de rendre pour les entreprises le coût des heures supplémentaires moins chères. Et les salariés dans cette équation ?
Qu’il s’agisse de la RTT ou des dispositions incriminées de la LMS, les arguments développés par les « anti » sont semblables.
Ces lois décourageraient l’emploi ; provoqueraient la délocalisation des investissements ; créeraient de l’insécurité juridique et judiciaire…
L’attractivité du site France reste toutefois bonne si j’en crois les termes d’une étude récente du cabinet d’audit international Ernst & Young ; puisqu’en 2003 nous avons été le deuxième pays européen a avoir accueilli le plus d’implantations internationales.
La dimension politique de ces questions est évidente, elle ne saurait toutefois faire oublier qu’il ne saurait être question de revanche.
Il s’agit plutôt de rechercher à construire un ensemble de règles communes aux salariés équilibrant la relation de travail, dans la mesure où le rapport des forces est inégal ; il devrait s’agir de garantir un socle de principes fondamentaux de nature à réaliser le droit reconnu à chacun d’obtenir un emploi.
Reste, manifestement, que ces objectifs vous sont étrangers, Messieurs. Les droits des salariés sont pour vous, autant de freins au développement des entreprises. Le point d’équilibre n’est jamais atteint lorsque sont mis en balance le droit à l’emploi, le droit syndical, le rôle économique du comité d’entreprise d’un côté et l’ordre public économique et financier, le droit boursier de l’autre.
Lorsque vous ambitionnez de rendre le droit du travail plus accessible, plus prévisible, plus efficace, bref, lorsque vous faites écho à la revendication du patronat de plus de certitude pour les règles, comme l’a constaté Antoine Lyon-Caen dans le numéro de mars de Liaisons sociales, « avant tout, la certitude réclamée est à sens unique, une certitude exclusivement au bénéfice des employeurs.
Selon le rapport de Vilville, dont on n’a retenu que le contrat de projet alors que d’autres préconisations tout aussi dangereuses auraient mérité plus d’éclairage, mais également, selon le Medef, dont les 44 propositions pour moderniser le code du travail l’attestent, la sécurité des salariés est absente.
C’est d’ailleurs pourquoi, eux, pas plus que vous, n’attachez de l’importance à la hiérarchie des normes et au principe de faveur.
C’est également la raison pour laquelle la négociation collective est instrumentalisée, son objet détourné pour transformer le plan de sauvegarde de l’emploi en convention négociée.
Le rôle des syndicats, des comités d’entreprises, est lui neutralisé ; quant aux règles de conclusion démocratique des accords majoritaires, elles sont ignorées au profit de la négociation avec des salariés, délégués du personnel.
Enfin, pour tous ceux qui n’auraient pas saisi ce qu’il fallait entendre sous le vocable de la sécurisation juridique, à savoir, non pas celle de l’emploi mais, bel et bien, celle de la sécurité des licenciements, des propositions sont avancées pour limiter dans le temps l’accès au juge, comme la portée des décisions de justice.
Toutes ces pistes de réflexion que feu le projet de loi de mobilisation pour l’emploi devait décliner risquent de réapparaître dans le projet de loi Borloo, affiché comme devant améliorer la cohésion sociale. Elles s’inscrivent pleinement dans la logique des textes Fillon en application, ayant déjà conduit à substantiellement déplacer le curseur entre la loi et le contrat, au détriment des droits des salariés.
Je vous rappelle, tout de même, mes chers collègues, que récemment, vous avez accepté de transformer le droit de la négociation collective en permettant aux accords d’entreprise de déroger aux accords de branche et aux conventions collectives notamment.
Par ailleurs, via les accords de méthode, - soit disant expérimentaux mais, qui ont vocation à durer, comme nous le verrons, notre collègue Gournac proposant de les proroger - ; la loi du 3 janvier 2003 permet déjà de déroger aux règles légales en matière d’information et de consultation des comités d’entreprises, à l’occasion des restructurations et des licenciements collectifs.
Tous ces exemples, mes chers collègues, attestent si besoin était encore, que le gouvernement que vous soutenez n’est pas exempt de reproches. Loin s’en faut. Son dogmatisme, son refus d’intervenir pour prévenir les licenciements, pour trouver des solutions lorsque la machine à licencier s’emballe, lorsque les patrons voyous sévissent ou, le quitus donné à l’éclatement des garanties collectives, expliquent aujourd’hui l’évolution catastrophique des chiffres du chômage, la détresse et le découragement bien perceptible d’une majorité de Français, la paupérisation de la population française.
Cette politique inefficace économiquement et socialement injuste a été sanctionnée dans les urnes, à l’occasion des régionales. Indirectement par les tribunaux et le Conseil d’Etat. L’Unedic ayant été condamnée à rétablir dans leurs droits les demandeurs d’emploi « recalculés ». Le gouvernement étant désavoué par l’annulation de l’agrément du protocole de décembre
Qu’à cela ne tienne. Si le gouvernement a dû sortir de son rôle de spectateur et décider de la réintégration dans leurs droits des hommes et des femmes injustement recalculés, il n’est pas, pour autant, allé jusqu’au bout de ses responsabilités.
Il aurait pu imposer, pour faire respecter cette exigence fondamentale de justice et de solidarité, que les employeurs voient leur taux de cotisation à l’assurance chômage augmenter (0,2%).
Solution, somme toute, pas aussi scandaleuse que cela, dans la mesure où, comme l’ont souligné les tribunaux, l’origine du déficit du régime de l’assurance chômage ne peut être qualifié d’imprévisible. Les signataires de l’accord en question, dont le Medef, ayant décidé de la baisse des cotisations et, organisé en quelque sorte le déficit de celui-ci.
Cette solution n’a été choisie, le gouvernement lui préférant un report et non l’annulation d’une dette de l’Unedic. Par ailleurs, Monsieur Borloo s’est empressé de réagréer en bloc, à l’exception bien sûr des dispositions entraînant le recalcul des droits pour les inscrits antérieurs à 2003, la convention chômage du 1er janvier 2004.
Et ce, alors même que de nombreuses voix s’élèvent, dont celles des associations de chômeurs, privées jusque là d’expression et de représentation, pour initier « une Grenelle de l’Unedic ». Comment en effet s’en tenir au statu quo, à un régime d’assurance chômage indemnisant moins d’un chômeur sur quatre, ignorant complètement les nouvelles formes de travail précaire ?
Pourquoi, tandis que le chômage ne cesse d’augmenter, refuser de réfléchir, dans sa globalité, à une couverture plus ambitieuse du risque chômage, quel que soit le statut des chômeurs ?
Pourquoi refuser de sortir des sentiers battus, comme c’est le cas également concernant l’assurance maladie, en proposant au-delà des recettes classiques de financement, une responsabilisation accrue des employeurs, en leur appliquant par exemple, un système de bonus-malus ?
Nous portons l’exigence d’un tel débat, d’une nouvelle sécurité économique et sociale, à rebours de l’attitude et des décisions du gouvernement condamnant les droits individuels et collectifs.
Or, force est de constater que le gouvernement et sa majorité entendent enterrer ce sujet.
Si la présent proposition de loi de Monsieur Gournac, dictée par l’exigence, en raison de l’échec du gouvernement dans le domaine de l’assurance chômage, mais aussi, concernant l’évolution des règles en matière de licenciement économique, aborde la problématique des droits des recalculés, c’est uniquement sous un angle technique, les ajustements envisagés ont juste pour objet de permettre à l’Etat de récupérer les sommes versées au titre des allocations de solidarité aux allocataires privés injustement et rétroactivement de leurs droits à allocation chômage.
Cette proposition de loi ne garantit en rien l’effectivité du rétablissement immédiat dans leurs droits des privés d’emploi.
A aucun moment, n’est venue en discussion, la question du préjudice causé aux chômeurs en raison de l’application d’une mesure jugée depuis illégale.
Elle a également l’inconvénient majeur de laisser entière, la question pourtant centrale de la nécessaire réforme du régime d’assurance chômage ; acte étant pris du réagrément de la convention chômage.
Ce manque d’ambition manifeste justifie en partie le dépôt par le groupe communiste républicain et citoyen d’une question préalable.
S’agissant maintenant de l’autre volet essentiel de la proposition de loi de Monsieur Gournac ayant trait lui, au délai supplémentaire accordé aux partenaires sociaux, six mois en l’occurrence, comme le souhaitait le Medef, soit disant pour permettre aux partenaires sociaux de conclure un accord national interprofessionnel portant sur les règles en matière de licenciement économique, des arguments forts militent aussi en faveur de l’adoption de la présent question préalable.
Il est permis, mes chers collègues, de discuter de la procédure même de suspension, du caractère suspensif que peut avoir une loi concernant des dispositions législatives antérieurement adoptées.
Aujourd’hui, cette démarche semble aller de soi, mais avant que le gouvernement Raffarin n’initie cette pratique, de loi provisoirement inapplicable, à ma connaissance, il n’y avait pas eu de précédent.
La relance du dialogue social aussi impérieuse qu’elle soit, justifiait-elle que la loi soit aussi malmenée ?
Nous ne le pensons pas !
Nous le pensons d’autant moins, qu’aujourd’hui, la prolongation envisagée du délai de suspension d’articles importants de la LMS pour six mois vient confirmer qu’initialement déjà, le gouvernement visait en réalité l’abrogation de dispositions touchant, quoi qu’il s’en défende aux droits des salariés, car ayant trait au pouvoir économique du comité d’entreprise principalement.
Monsieur Fillon avait alors beau jeu de plaider l’exigence de vérité en matière de licenciement économique !
Je me souviens également avoir entendu l’auteur de la présente proposition de loi, alors rapporteur du projet de loi, abrogeant sans l’assumer clairement, 11 articles de la LMS, argumenter en faveur de la suspension temporaire, seule susceptible de favoriser l’aboutissement de la négociation interprofessionnelle.
Je me souviens surtout, mon cher collègue, de vous, nous expliquant pourquoi il n’avait pas été choisi de maintenir le temps de la négociation.
« Au-delà des contraintes et difficultés d’application des dispositions en question, « vous considériez alors » que leur maintien aurait pu constituer un frein pour la négociation nationale interprofessionnelle à venir ». Imaginant mal en effet, les syndicats de salariés revenir sur des dispositions censées plus protectrices pour les salariés, quand bien même ils auraient formulé des réserves lors de leur élaboration ».
C’est là l’essentiel. La suspension, comme l’appel à la négociation n’étaient que prétexte. Votre objectif était au préalable de placer les syndicats de salariés dans une position basse de négociation, laissant par là même, le patronat renforcer sa position et revoir des discussion s sur un paquet beaucoup plus large que la prévention des licenciements économiques ou, le droit à l’information et la consultation du comité d’entreprise.
Depuis mars 2003, les partenaires sociaux ont tenté en vain de sortir de l’impasse sur l’accompagnement social des restructurations. Contrairement à l’idée véhiculée par le rapporteur, ces négociations ont achoppé notamment sur la défense même du licenciement économique mais aussi, sur les procédures de reclassement des salariés licenciés ; les syndicats jugeant les propositions du patronat beaucoup trop déséquilibrées, au détriment des salariés.
Qui tentez vous de convaincre que ces négociations, qui n’ont pu aboutir d’ici le 3 juillet, semblent tout de même être en bonne voie et qu’en conséquent, votre proposition de loi leur donnent toutes leurs chances ?
Si vous usez à nouveau de ces faux fuyants, c’est surtout pour laisser du temps au gouvernement qui ne peut décemment pas, dans le contexte que nous connaissons, se permettre d’afficher aussi ouvertement son soutien aux thèses du Medef et mettre à mal des pans entiers du code du travail.
Pour vous, mes chers collègues, il est urgent d’attendre pour réformer le droit en matière de licenciement économique.
Par contre, pour les salariés de Nestlé à Marseille, les salariés du groupe d’outillage à main Facom, dont le site de Villeneuve le Roi est lui aussi menacé de fermeture, il est urgent d’agir, de mettre un terme à l’éclatement du droit en matière de licenciement économique, source de complexité et d’inégalité.
Pour des fervents défenseurs de la sécurité juridique que vous êtes, les différents régimes applicables selon que le licenciement économique est intervenu avant ou après la suspension de la LMS, selon que les salariés relèvent d’entreprises ayant ou non conclu des accords de méthode dérogatoire aux règles et à la procédure de consultation du comité d’entreprise en cas de licenciements économiques, sont difficilement soutenables.
Le contexte économique et social justifie lui aussi que le législateur reprenne la main. Qu’il revienne sur la LMS, certes imparfaite, car effectivement ne traitant pas de la majorité des licenciements économiques intervenant dans les petites entreprises, car n’étant pas suffisante concernant l’obligation de reclassement ou, ne définissant pas assez précisément les licenciements économiques..
Vous le savez, cette fuite en avant que vous vous apprêtez à cautionner est déraisonnable.
Enfin, pour s’en tenir à la lettre de la loi Fillon, nous ne voyons pas ce qui pourrait désormais justifier la prolongation voulue de la suspension des dispositions de la LMS, accords de méthode. Il était prévu, qu’au terme des 18 mois de suspension, le Parlement serait à nouveau saisi de ces questions que la négociation ait aboutie ou non, faute de quoi les dispositions rentreraient en vigueur. Nous aurions dû également être destinataire d’un rapport sur l’application des accords expérimentaux d’entreprise. Encore un engagement qui ne sera tenu !
D’une façon générale, nous pensons, que le législateur est pleinement compétent pour intervenir et poser les règles de droit commun pouvant toujours être améliorées par le jeu de la négociation collective s’agissant des matières relevant de l’ordre public social.
Mes chers collègues, nous ne refusons pas de débattre des évolutions nécessaires au droit en matière de licenciements économiques, vous le savez, simplement nous n’acceptons pas les termes du faux débat posé par la présente proposition de loi. Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons tenu à défendre cette motion de procédure.