Au Sénat, le 17 décembre dernier, nous avions un débat sur les rapatriés. A l’époque, une certaine concorde régnait au sein de nos assemblées, nous étions unanimes, non sur le fait qu’il s’agissait d’une guerre coloniale, bien sûr, mais sur ce que la nation doit aux rapatriés et aux harkis et sur le fait que la France a été très longue à reconnaître les préjudices qu’ils ont subis. Pour ma part, je soutenais que toutes ces victimes avaient besoin de reconnaissance, de réparation et d’une mémoire réhabilitée. J’appelais - et j’appelle toujours - de mes vœux une indemnisation matérielle et morale légitime qui soit de nature à estomper les traumatismes.
Ainsi, mon groupe et moi-même souhaitons que la France reconnaisse sa responsabilité pleine et entière dans le drame vécu par les populations algériennes, par les Harkis et leurs familles, entraînés dans une guerre fratricide, abandonnés, les survivants étant recueillis en France dans des conditions désolantes.
L’Assemblée nationale a été saisie, en juin de cette année, de ce projet de loi dit de « Reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Il était permis d’en attendre un progrès significatif. En effet, les précédentes lois d’indemnisation avaient parfois créé des situations d’injustice entre rapatriés.
Mon collègue François Liberti fondait son intervention sur les mêmes attendus que les miens.
Pour nous, en effet, ce sont les petites gens qui ont eu le plus à souffrir et qui ont été le moins bien indemnisés. Il conviendrait donc de parfaire la reconnaissance à laquelle ils ont droit, de réparer une fois pour toutes le préjudice moral et financier qu’ils ont subi. Oui, les pieds-noirs et les Harkis ont vécu le drame du déracinement, de la terreur, du rejet de ce qu’ils étaient. Cette dramatique époque de notre histoire ne peut s’apaiser sans que notre gouvernement et le gouvernement algérien n’acceptent de faire œuvre de mémoire collective retrouvée et réhabilitée.
Aujourd’hui, le texte qui nous est proposé est fort décevant sous de nombreux aspects. Il n’aborde la question de l’indemnisation que par le biais de dispositions en faveur des bénéficiaires des trois précédentes lois auxquels ont été retenues les annuités d’emprunts de réinstallation. Les principales revendications des associations de rapatriés, telles que l’application d’un coefficient correcteur aux sommes antérieurement liquidées, ne sont pas du tout abordées dans ce texte. Il ne constitue donc pas une ultime étape d’indemnisation et je le regrette profondément. Et ce ne sont pas les modifications marginales proposées par notre rapporteur Alain Gournac qui vont modifier cet état d’esprit.
Je voudrais à présent en venir en revanche aux amendements de la majorité à l’Assemblée nationale qui ont eux, pour le moins, transformé ce texte dans un sens auquel je ne puis souscrire.
- Je veux parler, notamment, de l’article 1 bis qui tend à associer « les populations civiles de toutes confessions… à l’hommage pour les combattants morts pour la France en Afrique du nord », hommage rendu le 5 décembre. Pour revenir sur cette date, dénuée de toute valeur historique que j’ai à plusieurs reprises contestée à cette tribune même, je ne comprends pas que l’on ajoute l’amalgame à la fausseté en mêlant les combattants et les populations victimes, la reconnaissance de la nation et les exactions, accentuant de ce fait le caractère « fourre-tout » de cette commémoration, en éliminant au passage la mémoire de la guerre d’Algérie.
- Par ailleurs, il nous revient un article 1er quater qui impose d’intégrer dans les programmes scolaires « l’histoire de la présence française outre-mer », ainsi que dans les programmes de recherche universitaires. J’ai été profondément choqué par les termes néo-colonialistes et révisionnistes dans lesquels cet article inacceptable fut adopté.
- Le comble, enfin, c’est bien l’article 6 permettant, je cite, de « procéder à l’indemnisation des personnes qui ont dû cesser leur activité professionnelle à la suite de condamnations liées aux événements d’Algérie… » ! Il ne s’agit rien moins que de finir de réhabiliter des activistes d’extrême droite, des tortionnaires, qui avaient fui à l’étranger avant d’être amnistiés ! Voir cela après m’être battu pour la reconnaissance de l’état de guerre en Algérie… je me crois revenu quarante ans en arrière ; c’est indigne de notre nation !
Ainsi, ce texte qui aurait dû être une dernière loi d’indemnisation de victimes de guerre est devenu un cheval de Troie banalisant les guerres coloniales, un hymne à la présence prétendument civilisatrice de la France en Afrique, voire une justification d’aventures coloniales à venir.
Pourtant, a contrario, je pense qu’il resterait beaucoup de travail à faire pour procéder à une véritable réhabilitation des Harkis et des Rapatriés. Il est un cas exemplaire que je voudrais citer : lors de mes permanences de parlementaire, j’ai reçu un Harki désespéré : Monsieur Ahmed Abdellaoui vit dans un foyer dont il ne peut plus payer le loyer. Engagé volontaire dans l’armée française de 1960 à 1962, il part rejoindre sa famille en Algérie à l’issue de son engagement mais revient très vite en France car il estime sa vie et sa famille en danger. En 1965, il demande la nationalité française et pars en 67 visiter sa mère malade. Il se voit retirer tous ses papiers, même sa carte d’identité française provisoire et restera en Algérie car il a fondé une famille. Décidé à faire valoir ses droits, il parvient à obtenir un titre de séjour en 2003… et depuis, il se bat, se voit fermer toutes les portes. "Je ne comprends pas, dit-il, j’ai un passé avec la France et l’on me rejette comme on me rejette en Algérie !" Cela, est une véritable question de droit à réparation refusé à une personne qui a combattu pour la France ! Il s’agit bien sûr d’un cas particulier mais qui devrait pouvoir bénéficier d’un examen bienveillant.
Que dire encore de la libre circulation des anciens Harkis en Algérie, douloureuse question sur laquelle, Monsieur le Ministre, vous reconnaissez, en répondant à une de mes questions écrites, que subsistent des difficultés à aborder dans le dialogue politique entre les deux états.
Je voudrais encore souligner un double langage du gouvernement : dans le cadre des annulations de crédits des anciens combattants et victimes de guerre votés pour 2004 : je signale que pour les actions en faveur des rapatriés, 2,5 millions d’euros ont été annulés.
J’ai tenu exactement le même langage lorsque nous avons discuté du budget 2005 des anciens combattants : le gouvernement fait voter des crédits au Parlement et, sans tenir compte de notre légitimité et des besoins existants, annule purement et simplement les mesures que la représentation nationale a décidées.
Ainsi, tout en étant favorable à l’exercice plein et entier du droit à réparation envers les personnes rapatriées et harkies, leurs veuves, leurs descendants, tout en comprenant leur désarroi et leurs souffrances, je me vois contraint de voter contre un texte qui, avant tout, vise à glorifier la politique de colonisation de la France, à falsifier l’histoire, y compris dans l’esprit de nos jeunes générations d’écoliers.