Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous en arrivons aujourd’hui au terme du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, qui sera principalement marqué par votre refus de permettre à notre régime de protection sociale d’assurer financièrement sa survie, et par la généralisation de la règle de l’individualisation des rapports sociaux.
Je ne reviendrai pas sur les conclusions très bien formulées par notre rapporteur de la CMP. Je serai, si vous voulez, plus politique que technique.
En décidant d’autoriser les salariés qui le souhaiteraient - veuillez observer cette nuance - à travailler au-delà de l’âge légal de départ à la retraite, nous pensons qu’un pas vient d’être franchi et que vous participez plus encore à l’individualisation des rapports sociaux.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Croyez-vous à ce que vous dites ?
M. Guy Fischer. Tout à fait, madame la ministre ! Depuis votre arrivée aux responsabilités, cela a été votre credo.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. Vous n’avez cessé de diminuer les droits et les protections collectives, au profit d’options individuelles. Vous l’aviez déjà fait en 1993 en instaurant le plan d’épargne retraite populaire, le plan d’épargne pour la retraite collectif, ces mécanismes de retraites complémentaires assis sur la capitalisation, c’est-à-dire sur la propre capacité des salariés à épargner, au détriment d’une réelle réforme positive des retraites.
Cela s’est confirmé depuis, par votre volonté de refuser tous les mécanismes que nous proposions - et que nous avons de nouveau présentés durant ce débat sur le PLFSS - pour favoriser notamment ce que nous considérons comme primordial pour la relance, les hausses collectives de salaires.
Au lieu de cela, vous n’avez cessé de multiplier les mécanismes d’intéressements et de participations. Ce fut la réponse du Gouvernement à travers son projet de loi en faveur des revenus du travail, dont nous parlerons tout à l’heure, qui servent de dispenses pour les employeurs dès lors que les salariés exigent une augmentation de leur salaire.
C’est donc tout naturellement, après avoir individualisé les conditions de travail, que vous individualisez les conditions d’accès à la retraite. Avec ce PLFSS, vous venez d’autoriser les hôtesses et stewards à travailler jusqu’à cinquante-cinq ans et les pilotes de lignes jusqu’à soixante-cinq ans, tout comme l’ensemble des salariés du privé, notamment, seront autorisés s’ils le souhaitent à travailler jusqu’à soixante-dix ans.
Vous avez donc organisé pour tous les salariés de notre pays, un mécanisme certes insidieux,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah non !
M. Guy Fischer. ... très intelligent,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui, c’est sûr !
M. Guy Fischer. ... mais permettant de repousser de cinq ans l’âge légal de départ à la retraite.
Mais derrière cette liberté que vous entendez offrir aux salariés de notre pays se cache une réalité bien plus douloureuse : celle de millions d’hommes et de femmes qui, après des années de travail, parfois depuis l’âge de quatorze ans, ne parviennent pas à vivre de leur retraite. Cela devient de plus en plus commun.
Mme Annie David. Voilà la vérité !
M. Guy Fischer. Vous nous parlez de « liberté ». Mais nous ne le répéterons jamais assez, ce n’est pas être libre que de devoir s’user au travail pour se garantir le minimum nécessaire à sa survie. C’est une situation que l’on connaît bien aux États-Unis, monsieur le rapporteur. Une émission de télévision a récemment diffusé un reportage, certes en prenant des exemples extrêmes, montrant des personnes retraitées, âgées, de plus de 80 ans, obligées d’avoir des petits jobs pour survivre.
Durant nos débats, vous avez pris l’exemple de salariés, que vous dites connaître, madame la ministre, et qui vous auraient fait part de leur volonté de continuer à travailler. Sans doute cela existe-t-il. Mais ce qui existe surtout, ce sont toutes celles et tous ceux qui accepteront de poursuivre leur activité professionnelle, afin de boucler leurs fins de mois et de repousser le moment où ils seront plongés dans la précarité.
Vous lisez comme moi les journaux. On voit de plus en plus d’insertions relatives à la retraite, toujours plus lointaine. « Un jour, la retraite à soixante-dix ans sera non pas un choix mais une obligation. À partir de 2009, il faudra un trimestre en plus de cotisation, en 2012 ce sera quatre, en 2016 nous en serons à quarante et une annuités, puis quarante-deux et ainsi de suite ! »Ce sont des réalités qui vont s’imposer.
En ce sens, cette disposition est le triste aveu de l’échec de vos politiques. Parce que votre gouvernement n’est pas capable de garantir une retraite digne aux salariés de notre pays, vous entendez leur permettre de la cumuler avec un emploi. Vous dites aux salariés de notre pays : « La sécurité et la dignité que l’État n’a pas été capable de vous garantir, construisez-les vous-même. ».
Vous avez franchi un cap inacceptable, réduisant le champ de la solidarité nationale, au bénéfice du chacun pour soi. Et les plus pauvres des retraités, ceux qui pour des raisons médicales par exemple n’auront pas souscrit à votre projet volontaire de départ retardé à la retraite, seront, selon vous, les seuls responsables de leur situation.
On en revient à ce que nous avons pu dire sur le RSA : il y a pour vous une pauvreté méritante, et une pauvreté méritée. (Mme Annie David acquiesce.)
Mais, surtout, nous savons combien cette mesure présentée comme volontaire n’est qu’une étape dans un projet bien construit, il faut le reconnaître, de l’allongement de la durée de cotisation.
Le véritable débat qui était annoncé pour 2008 sur les retraites s’est fait par petits bouts et n’a pas fait l’objet d’une grande discussion comme nous l’attendions. Il faut le reconnaître, cela a commencé avec le passage à quarante et une annuités d’ici à 2012, ou encore la mort organisée dans ce PLFSS du dispositif des carrières longues.
Car, de ce mécanisme, censé reconnaître l’effort et la valeur de ceux de nos concitoyens qui ont commencé à travailler très tôt, il ne restera bientôt plus rien. Ils ne pourront plus partir à la retraite de manière anticipée. Certes, les trimestres rachetés compteront dans le montant de la pension perçue, mais jusqu’à quand ?
Nous sommes convaincus que ces cinq ans de plus, aujourd’hui volontaires, votre gouvernement compte les rendre, demain, obligatoires.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce sont des procès d’intention !
M. Guy Fischer. Cet allongement, de fait, de la durée de cotisation n’a pour objet que de déshabituer les Français à la règle déjà bien affaiblie par votre majorité, du départ à la retraite à taux plein à soixante ans. En fait, vous instillez l’idée des soixante-cinq ans et des soixante-dix ans.
Mme Annie David. Et voilà !
M. Guy Fischer. Durant les débats, nous avons formulé plusieurs propositions, que M. Vasselle a bien sûr toujours qualifiées d’utopiques : retour aux 37,5 annuités, taux de remplacement correspondant à 85 % du salaire brut, indexation des pensions sur les salaires, augmentation du minimum contributif jusqu’à dépasser le seuil de pauvreté et refonte de l’assiette de cotisation pour asseoir notre système sur un financement réellement solidaire. Toutes ces propositions, vous les avez balayées, vous les avez refusées.
Je ne reviendrai pas sur ce que nous avons dit durant nos débats, mais votre contre-réforme sociale aura un coût pour l’assurance maladie et pèsera sur l’emploi des plus jeunes, qui verront leur âge d’accès à un premier emploi repoussé d’autant. Nous n’avons absolument rien résolu.
Enfin, et pour conclure sur ce sujet, je voudrais noter l’incohérence dont vous faites preuve.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Oh ! Est-ce possible ? (Sourires.)
M. Guy Fischer. Vous dites, je vous cite, vouloir favoriser l’emploi des seniors. Toutefois, vous ne vous dotez pas des outils permettant de sanctionner les entreprises ne respectant pas ce qui s’apparente, à la lecture du texte issu de la CMP, à un vœu pieux.
Mais, pire encore, lorsque l’État est employeur, vous entendez, pour déguiser un plan social, permettre les départs volontaires et les départs à la retraite anticipée. Comment pouvez-vous justifier ce que vous nous proposez d’adopter aujourd’hui en ces lieux, quand vous préparez, particulièrement dans le secteur de l’audiovisuel public - c’est d’actualité - un plan social permettant à l’État actionnaire de diminuer considérablement sa masse salariale, en proposant des dispositifs de départs volontaires qui concernent particulièrement les salariés les plus âgés ?
Chacun se souvient ici des débats que nous avons eus sur l’autre volet, la réforme de l’hôpital public. Tant Mme la ministre que M. le rapporteur ont insisté sur son importance.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait !
M. Guy Fischer. Chacun se souvient ici des débats que nous avons eus sur l’article 40, relatif à la mise sous administration provisoire des établissements publics de santé. Cet article préfigure le sens que vous entendez donner à la loi « hôpital, patients, santé et territoires », que nous examinerons au premier trimestre 2009.
Ainsi, entendez-vous placer sous la tutelle du directeur de l’ARH, et demain de l’ARS, ces établissements qui présentent une situation de déficit, qui n’auraient pas accepté d’établir un plan de redressement ou qui, bien que l’ayant conclu, ne seraient pas parvenus à rétablir sa situation financière.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C’est logique !
M. Guy Fischer. Nous avons eu, madame la ministre, un échange nourri et intéressant dans le cadre du débat sur l’hôpital concernant nos points de vue respectifs en matière de financement.
Je confirme ici que nous sommes toujours en désaccord sur le passage accéléré à la tarification à l’acte à 100 %. Peu de pays dans l’Union européenne ont tenu à aller aussi vite et à atteindre ce taux. À cela s’ajoute la convergence public-privé.
Ces deux facteurs ont plongé les établissements publics de santé dans une situation économiquement insoutenable. Il leur fallait déjà faire face par le passé à des dotations globales insuffisantes, il leur faut aujourd’hui supporter les règles d’une mise en concurrence avec le secteur privé à but lucratif, quand bien même celui-ci n’applique pas les mêmes règles de fixation des coûts - en excluant par exemple la rémunération des praticiens du prix de référence servant de comparaison - et n’est pas assujetti aux mêmes contraintes que le service public.
J’en veux pour preuve le cri d’alerte, la lettre exceptionnelle que vous ont adressée les présidents des comités consultatifs médicaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Je reprendrai d’ailleurs leurs mots : « La politique déployée sur nos hôpitaux depuis plusieurs mois ressemble de plus en plus à un étranglement financier pur et simple. » Quelle est votre réaction ? Cet article 40, dont l’une des mesures les plus scandaleuses, consiste à sanctionner personnellement le directeur d’hôpital s’il ne parvient pas à rétablir l’équilibre financier de son établissement !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ce n’est pas du tout cela ! C’est un travestissement de la réalité !
M. Guy Fischer. Il y aurait encore beaucoup à dire, mais le débat sur l’hôpital reviendra dans l’actualité au cours de l’année 2009, notamment du fait des suppressions d’emplois que vos mesures entraîneront.
Je vais bientôt conclure...
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. On ne se lasse pas de vous entendre ! (Sourires.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est un vrai bonheur !
M. Guy Fischer. Je vous remercie de le dire publiquement !
J’achèverai mon propos en abordant le problème de l’augmentation de la taxe qui pèse sur les organismes d’assurance complémentaire santé.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C’est la cerise sur le gâteau !
M. Guy Fischer. Vous avez annoncé une augmentation de la participation de ces organismes à hauteur d’un milliard d’euros, en faisant passer la taxe sur le chiffre d’affaires de 2,5 % à 5,9 %. Vous nous avez assurés, madame la ministre, que les complémentaires santé n’augmenteraient pas le niveau de leurs cotisations l’année prochaine...
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je n’ai fait que répéter les propos du président de la Mutualité française !
M. Alain Vasselle, rapporteur. C’est un engagement de M. Davant !
M. Guy Fischer. Peut-être ! Mais je constate que les assurés reçoivent déjà des courriers...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous ne croyez pas M. Davant ?
M. Guy Fischer. Il ne s’agit pas de cela ! J’ai eu une discussion à ce sujet avec M. Daniel Lenoir sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. La Fédération nationale de la mutualité française n’augmente pas ses cotisations, mais le groupe APICIL vient d’écrire à tous ses adhérents et d’autres le font en ce moment, madame la ministre ! Évoquant le prélèvement d’un milliard d’euros, ce courrier précise : « Ce dispositif prévoit notamment les mesures suivantes : un passage de la contribution CMU de 2,5 % à 5,9 % et une évolution du plafond de la sécurité sociale de 3,4 %. Soucieux de maintenir la qualité des prestations de votre contrat, le groupe APICIL a étudié les solutions les plus adaptées pour limiter l’impact de ce dispositif. Cependant, nous avons constaté une augmentation importante des dépenses de santé au cours de cette année [c’est-à-dire 2008], ce qui nous a amenés à augmenter le montant de votre cotisation annuelle pour 2009 de 10 %. »
Mme Annie David. Et voilà ! Les assurés paieront !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec la contribution exceptionnelle !
M. Guy Fischer. Vous nous aviez garantis que les assurés sociaux et les mutualistes n’auraient pas à prendre en charge cette augmentation, mais vous pouvez bien dire ce que vous voulez, la réalité est là !
C’est pour cette raison, et bien d’autres que je n’ai pas évoquées, que nous voterons contre ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et les conclusions de la commission mixte paritaire.