Madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, nous entamons le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale dans des conditions très particulières, dans la mesure où il intervient quelques semaines seulement avant l’examen d’un texte majeur, le projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires ».
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ainsi « déconnecté » de celui de ce texte dont il est pourtant imprégné, ne constituera qu’une simple « mise en bouche » par rapport à ce qui attend les malades, les personnels hospitaliers, les médecins et les professionnels de santé, qui savent déjà, d’expérience, que nous ne sommes pas tous égaux devant les soins.
Ils ne sont d’ailleurs pas dupes, ceux qui manifestent dans l’ensemble de la France contre la désertification médicale et la disparition d’hôpitaux de proximité, prélude à la création des communautés hospitalières de territoire, à la poursuite de la casse du service public hospitalier avec la suppression annoncée de 22 000 emplois, à sa privatisation sous l’égide des ARS, dirigés par des « superpréfets » aux pouvoirs exorbitants.
Je voudrais également relever l’insincérité majeure de ce texte du fait d’une sous-estimation de la crise et d’une surestimation de la croissance.
Voilà seulement quelques jours, le Premier ministre et M. Woerth, se départant de la langue de bois en usage depuis le début de la crise, ont en effet évoqué un taux de croissance pour 2009 compris entre 0,3 et 0,5 %, mais nous savons tous que ce taux risque même d’être négatif. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est donc construit sur la base d’un taux de croissance qui ne correspond plus à la réalité.
La Commission européenne vient, elle aussi, de revoir ses prévisions pour 2009, anticipant désormais une hausse proche de zéro dans la zone euro.
L’exécutif européen prévoit par ailleurs un creusement des déficits et une violente explosion du chômage l’an prochain. On parle de 180 000 à 200 000 chômeurs supplémentaires en 2009 en France, conséquence inéluctable de la crise financière et spéculative mondiale. Or le Gouvernement a bâti ce projet de loi sur la base d’une progression de la masse salariale surestimée, et d’ailleurs réajustée.
Chaque jour nous apporte son lot de plans sociaux, de salariés au chômage, d’intérimaires qui sombrent du jour au lendemain dans la précarité, de familles plongées dans le désespoir...
Mme Annie David. Exactement !
M. Guy Fischer. Madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, votre position n’est pas seulement indéfendable ; elle est parfois coupable et elle trahit un certain mépris pour les salariés.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Oh !
M. Guy Fischer. Alors que vous sous-estimez volontairement la crise et ses conséquences sur l’économie, l’emploi et le pouvoir d’achat, vous ne la mettez pas moins à profit, notamment avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour donner le ton des sacrifices que la population devrait consentir : poursuite de l’austérité - que l’on déguise à présent sous les séduisants vocables d’ « efficience » ou de « meilleure utilisation des moyens »... -, transferts entre branches pour tenter de cacher le déficit abyssal...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Le mot n’est pas approprié.
M. Guy Fischer. ... des branches maladie et vieillesse, augmentation des exonérations de cotisations, étranglement de l’hôpital public, mise sous tutelle du secteur médicosocial, voilà la réalité, monsieur Vasselle !
M. Alain Vasselle. Un vrai cataclysme !
M. Guy Fischer. Alors qu’il faudrait penser et agir en termes de ressources pérennes - et non de réductions, au coup par coup et injustes dans leurs cibles, des dépenses -, donc d’emploi et de recouvrement des cotisations sociales, au moment où les cotisations assises sur les revenus du travail diminuent, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale crée encore des exonérations de charges.
Fondamentalement, c’est de ce sous-financement que souffre le système.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Guy Fischer. En effet, pour 2009, les exonérations et les exemptions d’assiettes atteignent 42 milliards d’euros, dont 2,7 milliards d’euros d’exonérations demeurant à la charge de la sécurité sociale, 9,4 milliards d’euros constituant un manque à gagner du fait de l’exemption d’assiette.
Et que faites-vous dans ce texte pour améliorer la situation ? Vous refusez d’augmenter significativement la contribution sur les stock-options, sur les « retraites chapeaux » et les « parachutes dorés » !
M. Alain Vasselle, rapporteur. On les taxe, à l’article 13 bis !
M. Guy Fischer. Oui, mais comment ?
Le clou, c’est bien sûr, alors que l’on nous a répété que les caisses étaient vides, que vous trouviez dans le même temps 40 milliards d’euros et, au total, 360 milliards d’euros pour renflouer les banques, coupables de spéculations hasardeuses ! Les victimes paieront pour les coupables...
M. Alain Vasselle, rapporteur. C’est un raccourci rapide !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Elles ne paieront pas pour les banques !
M. Guy Fischer. Pour revenir au financement de la sécurité sociale - quoique je ne pense pas m’être écarté du sujet dans mon propos -, je relève qu’il est marqué par l’accroissement de la dette, qui se reconstitue d’année en année faute de mesures radicales en termes de recettes pour la résorber durablement, et de nouveaux transferts vers la CADES, ce qui confirme la volonté du Gouvernement de fiscaliser le financement de notre système de protection sociale.
La dette, le déficit qui perdure, les exonérations de charges qui explosent, les ONDAM sous-évalués chaque année, les malades qui trinquent,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. C’est apocalyptique !
M. Guy Fischer. ... voilà la toile de fond de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale !
L’assurance maladie supporte l’essentiel des économies - 2,2 milliards d’euros en tout -, économies en vertu desquelles vous nous promettez de ramener le déficit à 3,4 milliards d’euros l’an prochain et de parvenir à l’équilibre en 2011, 2012 ou 2013...
Cependant, les patients sans médecin traitant seront pénalisés.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tous les patients ont des médecins...
M. Guy Fischer. Les actes de kinésithérapie, d’orthophonie, d’orthoptie seront surveillés et étroitement encadrés. Les dépenses de médicaments à l’hôpital seront mises sous surveillance, notamment les plus coûteuses, comme si l’excellence n’était pas destinée à tous les patients !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est l’inverse : le but est de mieux soigner !
M. Guy Fischer. On en reparlera, madame la ministre !
Les prescriptions des médecins seront étroitement surveillées, et, comme toujours, vous criez haro sur les fraudeurs,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. J’espère que tout le monde le fait !
M. Guy Fischer. ... qu’ils soient médecins ou assurés, d’ailleurs surtout sur les assurés, en particulier sur les plus modestes et les plus précaires, bénéficiaires de la CMU,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Sur tout le monde !
M. Guy Fischer. Non, et j’ai parlé à plusieurs reprises de la chasse à la fraude, de la chasse aux pauvres...
M. Éric Woerth, ministre. Ce n’est pas la même chose !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Les riches fraudent autant ou même plus !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ne fait-on pas la chasse aux fraudeurs dans le département du Rhône ?...
M. Guy Fischer. Sachant qu’une absence de réponse dès le premier courrier conduit à considérer que l’assuré ne s’est pas manifesté dans un délai raisonnable, je crois que, si l’on s’attachait à lutter avec la même rigueur contre la fraude fiscale,...
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. On le fait !
M. Guy Fischer. ... qui représente, selon les évaluations, un montant fixé entre 20 milliards et 25 milliards d’euros par an, mais aussi contre les employeurs qui ne déclarent pas les accidents du travail et les maladies professionnelles, les choses iraient un peu mieux !
Près de quatre Français sur dix, soit 39 %, ont déjà renoncé à un soin ou l’ont retardé pour des raisons financières. Ce chiffre illustre bien les difficultés croissantes de nos compatriotes dans l’accès aux soins et les inégalités qui les frappent : inégalités sociales aujourd’hui avec les déremboursements, la progression des dépassements d’honoraires et les franchises ; inégalités territoriales qui risquent demain de se renforcer avec le projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires ».
Après les franchises, vous prétendez ne pas vouloir taxer une nouvelle fois les assurés sociaux, mais vous omettez de parler de ce qui va indirectement les affecter : la taxation des organismes complémentaires sur leur chiffre d’affaires, qui, d’une manière ou d’une autre, va être prorogée pour financer la CMU complémentaire et l’aide à la complémentaire santé. Inévitablement, même si ce n’est pas en 2009, les cotisations, mutualistes notamment, augmenteront donc.
Et qu’en sera-t-il du remboursement des cures thermales, même si vous avez dit que rien ne bougerait ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faudra bien parler un jour des cures thermales !
M. Guy Fischer. Et bien, on en reparlera !
Qu’en sera-t-il de la prise en charge des ALD, qui deviendra peut-être la cible des nouvelles mesures de restriction les plus importantes ?
Vous entretenez à l’hôpital des déficits inacceptables, sur lesquels mon collègue François Autain reviendra demain matin à l’occasion du débat thématique sur l’hôpital, mais je voudrais cependant donner un exemple.
Dans mon département, les personnels du centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Saint-Jean-de-Dieu - établissement dans lequel il manque soixante-dix-sept postes - manifestaient la semaine dernière après la sauvage agression d’une infirmière dans une unité particulièrement exposée - l’accueil des patients - où deux infirmières seulement veillaient sur douze nouveaux arrivants.
Madame la ministre, le projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires » remédiera-t-il à des drames qui démotivent les personnels ? Prendra-t-il en compte les carences qui deviennent critiques à l’hôpital public, particulièrement en psychiatrie ?
Quant à la médecine de ville, avec un ONDAM irréaliste, elle ne fait l’objet d’aucune mesure sérieuse de nature à permettre des avancées en matière d’accès aux soins, alors que les inégalités territoriales se creusent dangereusement, alors que les médecins généralistes désertent zones rurales et banlieues, fuyant une discipline pourtant primordiale que plus rien ne rend attractive et alourdissant de ce fait les charges de l’hôpital, particulièrement des urgences.
S’agissant des retraites, vous avez déjà perpétré un mauvais coup en ne les revalorisant que de 1,36 % ou 1,37 % en année pleine, ce qui est bien en deçà de la hausse des prix. Les retraités continuent donc à voir leur pouvoir d’achat diminuer.
De plus, vous instaurez, avec l’article 54, une revalorisation au 1er avril de chaque année contestable, dont nous entendons bien débattre.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale entérine le passage de quarante à quarante et une annuités pour une retraite à taux plein.
Non contents d’avoir ainsi berné les organisations syndicales, qui attendaient une clause de rendez-vous, vous jouez les provocateurs avec le fameux amendement visant à rendre possible la retraite à soixante-dix ans.
Avec quelle hypocrisie vous feignez également de favoriser le travail des seniors et le cumul emploi-retraite !
N’oublions pas que les cinquante-cinq ans et plus sont, en 2008, seulement 38,3 % à avoir du travail.
L’âge de départ à la retraite est implicitement remis en cause par de telles dispositions. Mais je pense, avec la CFE-CGC, dont j’ai apprécié certains arguments et que pour une fois je cite, que tout le danger réside dans le cumul emploi-retraite. S’il devient, selon ce syndicat, le « quatrième pilier de la retraite », il pourrait conduire à justifier une baisse du taux de remplacement.
N’oublions pas, en effet, qu’il n’existe aucune lisibilité, aucun engagement sur le taux de remplacement pour les salariés du privé. Serait-ce là le nouveau lapin que le ministre du travail s’apprête à sortir de son chapeau ?
De même, ces dispositions, qui, à mon avis, ne cumulent que les inconvénients, ont toutes les chances de faire glisser les rémunérations des salariés vers le bas, un jeune retraité étant enclin à accepter une moindre rémunération qu’un non-retraité.
Enfin, en acceptant ce cumul - la plupart du temps parce que la faiblesse de son pouvoir d’achat le lui impose -, le retraité mettra en danger sa santé et privera un salarié plus jeune ou un chômeur d’un emploi.
Même lorsque vous prétendez améliorer la réversion, en vertu d’une promesse du Président de la République, vous marchandez d’une façon inacceptable ! C’est même franchement caricatural lorsque vous en relevez le taux, d’ici à 2012, uniquement pour les personnes dont les « avantages personnels de retraite et de réversion servis par les régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires » n’excèdent pas 800 euros ! (Mme la ministre de la santé proteste.)
Certes, vous faites un geste en direction des retraités de l’agriculture les plus pauvres ; mais, là encore, le compte n’y est pas.
M. le président. Merci de conclure, monsieur Fischer.
M. Guy Fischer. Faute de temps, je laisserai à ma collègue Annie David le soin d’exprimer nos positions sur la branche famille et sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
S’agissant du secteur médico-social, vous lui imposez un système de pilotage à la performance qui est à mon sens une véritable tutelle.
Et vous ne craignez pas de transférer à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, le financement des contrats de projets entre l’État les régions concernant les maisons de retraite et les établissements pour handicapés, malgré l’opposition quasi unanime des associations et des présidents de conseils généraux.
Avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, sans oublier le projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires », ou HPST, qui le suivra, vous préparez, à notre sens, la privatisation de notre système de protection sociale...
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Oh !
M. Guy Fischer. Mais si ! Parlons clairs !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Donc, d’un côté, j’étatise et, de l’autre, je privatise !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Que de turpitudes, madame la ministre ! (Sourires sur les bancs des commissions et du Gouvernement.)
M. Guy Fischer. Si vous préférez, je parlerai de privatisation rampante !
Vous préparez en tout cas une concentration des pouvoirs sans précédent entre les mains de quelques hauts fonctionnaires tout puissants, ce qui va à l’encontre de notre modèle social, fondé sur la solidarité.
En outre, en prévoyant de nouveaux transferts vers la CADES, vous accroissez la fiscalisation de notre système de santé.
D’ailleurs, le rapporteur Alain Vasselle ne préconise-t-il pas un alourdissement du poids de la CRDS ? Entre 1978 et 2006, la part des cotisations n’est-elle pas passée de 97 % à 72 %, tandis que celle des impôts et taxes affectées passait quant à elle de 3 % à 28 % ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je proposais de le faire à financement constant ! Vous ne dites pas tout, monsieur Fischer !
M. Guy Fischer. Pour notre part, nous vous ferons, comme chaque année, des propositions visant à créer des recettes pérennes ; et nous voterons, bien sûr, contre ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.