Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en moins d’un mois, la Haute Assemblée aura été appelée à débattre plusieurs fois de la perte d’autonomie : lors de la discussion de la proposition de loi déposée par M. Roche,…
Mme Nathalie Goulet. Un excellent texte !
M. Dominique Watrin. … au moment de l’examen de l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui a instauré une taxe sur les retraites, et, aujourd’hui, avec la discussion de la présente proposition de loi tendant à créer un mécanisme de récupération sur succession des sommes versées au titre de l’APA.
À chaque fois, l’enjeu de société que représente la perte d’autonomie n’est abordé qu’à travers le prisme du financement, ce qui nous paraît dommageable. Nous n’avons eu de cesse de le dire, cette approche exclusivement financière n’est pas la bonne. Elle réduit la prise en charge de la perte d’autonomie à une question financière. Elle donne même l’impression que le vieillissement de la population ne saurait être envisagé que comme une source de charges supplémentaires. Elle nous prive d’un débat plus général sur le meilleur accompagnement possible de la perte d’autonomie, sur le potentiel de création d’emplois non délocalisables qui y est associé, sur les richesses nouvelles que les réponses à ce défi pourraient engendrer, sur les enjeux liés à l’allongement de la vie en bonne santé, etc. Au final, tout se résumerait à une simple problématique financière.
Soyons clairs : les réponses que l’on nous propose sont malheureusement trop étroites, et même un peu trop faciles. Différentes sur la forme, elles se fondent toutes en réalité sur un unique postulat, selon lequel il n’y aurait pas d’autre manière de financer la prise en charge de la dépendance que taxer les bénéficiaires.
Il ne s’agit pas pour nous de nier la réalité : les élus de terrain que nous sommes savent pertinemment que les dépenses sociales des départements progressent beaucoup plus vite que leurs recettes. Nous savons nous aussi que l’APA coûte environ 5 milliards d’euros aux budgets départementaux et que l’État ne contribue à ces dépenses qu’à hauteur de 28 %. Il se désengage progressivement du financement de cette mission, qui relève pourtant objectivement de la solidarité nationale.
Ce constat nous avait d’ailleurs conduits à déposer, avec tous les autres groupes de gauche du Sénat, une proposition de loi tendant à exiger de l’État qu’il tienne ses engagements initiaux concernant les trois allocations personnalisées dont les départements ont la charge, à savoir l’APA, la prestation de compensation du handicap et le RSA. C’est ce texte que nous avons voté ensemble, monsieur Collombat, et non l’instauration d’un recours sur succession !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Pierre-Yves Collombat. Cela va dans le même sens !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Pas du tout !
M. Dominique Watrin. En ce qui concerne l’APA, il nous semble légitime de continuer à exiger la parité de financement entre l’État et les conseils généraux, les 170 millions d’euros annoncés par le Président de la République demeurant, en effet, très loin du compte.
Nous connaissons tous le mauvais sort que le précédent gouvernement a réservé à la proposition de loi que je viens d’évoquer. Tout nous conduit à penser que c’est en raison de l’absence de réponse du nouveau gouvernement à cette question brûlante que certains de nos collègues nous proposent aujourd’hui d’adopter cette proposition de loi.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !
M. Dominique Watrin. C’est un peu comme si, faute d’obtenir de l’État la mobilisation de crédits à la hauteur de ce qui avait été prévu, il fallait se retourner vers les bénéficiaires de l’APA.
Telle n’est pas, selon nous, la piste à suivre. La réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie doit, d’abord et avant tout, être abordée sous le signe de la solidarité, en intégrant toutes ses composantes : les pertes d’autonomie liées au grand âge, mais aussi au handicap. Cette grande réforme doit s’opérer au sein même de la sécurité sociale, via la réintégration de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, dans une sous-branche « autonomie » de la branche maladie du régime général.
Mme Annie David, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Dominique Watrin. Cette évolution doit pouvoir prendre forme dans un modèle démocratique renforcé, avec la réintroduction des élections au sein des branches et la participation de tous les acteurs de l’autonomie à des structures de coordination.
Les départements, identifiés comme l’échelon le plus pertinent pour mettre en œuvre une politique nationale de solidarité, doivent jouer un rôle nouveau en matière d’orientation des bénéficiaires, d’évaluation et d’accompagnement.
Le cadre ainsi posé rendrait possible de garantir à toutes les personnes âgées le droit d’accéder à des prestations leur permettant de vivre dignement, chez soi ou en établissement. Ensuite, viennent inévitablement la question du financement et celle de la réduction des restes à charge, devenus aujourd’hui dissuasifs pour les bénéficiaires.
Pour notre part, parce que nous proposons d’intégrer la prise en charge de la perte d’autonomie à la sécurité sociale, nous estimons que le financement doit reposer sur les cotisations sociales et, plus particulièrement, sur la création d’une contribution assise sur les revenus financiers des entreprises. Ceux-ci ne servent qu’à la spéculation et à l’enrichissement d’une minorité de privilégiés : il est donc légitime qu’ils participent au financement de la prise en charge de la perte d’autonomie. Qui plus est, nous l’avons dit lors de la présentation de la contre-réforme des retraites, nous ne sommes pas opposés, après que les revenus financiers auront été mis à contribution, à ce que les cotisations, salariales comme patronales, puissent légèrement augmenter, ni à ce que l’assiette des cotisations soit étendue, notamment à l’intéressement et à la participation.
L’architecture que nous proposons est, vous le voyez bien, en totale opposition avec le dispositif de la présente proposition de loi. Qui plus est, nous craignons que l’introduction d’une récupération sur succession, comme il en existait une jadis pour la PSD, n’amène bon nombre de personnes éligibles à l’APA à renoncer à la prestation.
Le nombre des bénéficiaires de la PSD n’a jamais dépassé 150 000. Malgré des besoins déjà importants à l’époque, la mise en place de cette prestation a donc été un échec. Toutes les études, ainsi que les remontées du terrain, l’attestent : cet échec est avant tout imputable à l’existence même d’un mécanisme de récupération sur succession. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous craignons que beaucoup de nos concitoyennes et de nos concitoyens ne renoncent finalement à l’APA. Cette situation serait dramatique, puisque les conditions d’existence et la fin de vie des personnes vieillissantes se verraient lourdement dégradées.
Alors que la situation actuelle est déjà préoccupante, comme l’a dit Mme la ministre, alors que l’on assiste à une stagnation, voire à une régression globale, du nombre d’heures des plans d’aide, les plus modestes renonçant même aux heures d’aide à domicile auxquelles ils ont droit en raison de la faiblesse de leurs ressources, il ne nous semble pas opportun d’instaurer une récupération sur succession qui serait encore plus pénalisante.
En conclusion, j’avoue d’ailleurs ne pas savoir si les promoteurs d’une telle disposition espèrent réellement récupérer davantage de ressources via le mécanisme qu’ils proposent d’introduire, ou bien s’ils visent à réaliser des économies bien plus importantes encore, eu égard au nombre de personnes éligibles à l’APA qui feraient le choix, demain, de ne pas demander à en bénéficier.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi, tout en attirant l’attention du Gouvernement sur l’urgence d’engager une réforme ambitieuse et positive de l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie, sur la base des valeurs fondatrices de la sécurité sociale.