Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà moins de deux ans, le Parlement adoptait le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires », censé réformer l’organisation hospitalière, sanitaire et médico-sociale.
Loin de la satisfaction partagée entre le Gouvernement et les parlementaires de sa majorité, rappelez-vous, cette loi a finalement réuni contre elle l’ensemble des professionnels de la santé, des infirmiers aux mandarins, au sein des établissements du public comme du privé non commercial, et a soulevé la colère légitime des associations de patients, d’usagers et d’élus locaux.
Pour notre part, pour reprendre la formule employée alors par mon ami François Autain, nous étions convaincus qu’avec cette loi « tout convergeait vers la privatisation de notre système de santé ». Notre conviction n’a pas changé depuis et, chaque jour, on observe la manière dont cette privatisation inavouée gagne du terrain.
Il faut dire que cette loi part d’un postulat que nous récusons, selon lequel la santé devrait être subordonnée à une logique comptable. Mais notre opposition à cette règle n’exclut naturellement pas la recherche de solutions destinées à réaliser des économies dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux, à condition toutefois qu’elles ne se fassent pas sur le compte des personnels, qui sont des acteurs incontournables de la santé, ou encore sur celui de nos concitoyens.
Or vos politiques successives se sont toutes traduites par une réduction aveugle des moyens, entraînant une réduction importante dans l’accès aux soins.
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce n’est pas vrai !
M. Guy Fischer. Monsieur le ministre, votre obsession de transformer l’hôpital public en entreprises de soins inspirées du modèle privé commercial...
M. Xavier Bertrand, ministre. C’est le contraire !
M. Guy Fischer. ... vous a conduit à imposer la tarification à l’activité, ou T2A, et la convergence public-privé.
Ces deux mesures constituent aujourd’hui de véritables handicaps pour les hôpitaux publics et sont lourdes de conséquences pour nos concitoyens. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Je ne prendrai que deux exemples.
Il aura fallu attendre l’adoption de la dernière loi de financement de la sécurité sociale pour qu’il soit enfin précisé que la convergence public-privé ne devait s’appliquer qu’en faveur des prix les plus bas, et non pas automatiquement en appliquant au secteur public les tarifs du secteur privé. Cette évolution souhaitable constitue la démonstration que votre priorité résidait moins dans la réalisation de quelques économies que dans votre volonté toute dogmatique d’assimiler en tout point le privé au public.
À cet effet, je tiens d’ailleurs à rappeler que votre gouvernement s’est toujours opposé à l’intégration des tarifs des professionnels de santé aux tarifs des établissements privés lucratifs. Cette distinction artificielle permet de faire croire que les actes réalisés dans le privé coûtent moins cher, mais c’est oublier que les prix pratiqués dans le public s’entendent « tout compris », c’est-à-dire qu’ils intègrent les honoraires des médecins. Si vous tenez tant à comparer les tarifs du public et du privé, vous ne devez pas craindre de faire une comparaison intégrale !
Le second exemple porte sur la T2A. Ce mode de financement qui repose sur l’activité réalisée au sein des établissements n’est pas adapté à certaines activités hospitalières. Je pense particulièrement aux soins palliatifs, pour revenir à un débat que nous avons eu récemment.
Selon M. Gérard de Pouvourville, professeur au département Management de la Santé, ce système « pousse à l’efficience [mais avec] un risque de sous-prise en charge des patients » et une incitation à « fractionner les séjours », ce qui est naturellement impossible dès lors qu’il s’agit de soins palliatifs.
La Cour des comptes le reconnaît elle-même dans l’un de ses rapports : « Le système pourrait déboucher sur une éventuelle dégradation de la qualité des soins prodigués ou sur une sélection des patients, pour éviter de prendre en charge les cas les plus lourds. ». C’est ce que nous observons bien souvent.
Par ailleurs, et nous ne sommes pas les seuls à le penser, la T2A a des effets pervers sur les comptes sociaux. Un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances a déjà souligné qu’elle pouvait entraîner une inflation des soins.
Chaque maladie traitée rapportant une somme déterminée à l’hôpital, la T2A favorise, par exemple, l’augmentation artificielle des durées d’hospitalisation pour les pathologies rémunérées à la journée, encourage à tirer le diagnostic vers l’affection la plus lucrative ou à fragmenter la prise en charge pour multiplier les factures, ou encore à réaliser des actes qui ne sont pas indispensables.
En somme, il s’agit d’inciter les établissements à faire du chiffre, et cela d’autant plus que, depuis l’adoption de la loi HPST, le directeur général de l’agence régionale de santé peut décider de placer les établissements rencontrant des difficultés financières sous tutelle administrative.
D’une manière générale, la T2A organise une concurrence entre les cliniques commerciales et les hôpitaux publics. Une concurrence déloyale puisque ces derniers sont obligés de prendre en charge toute l’année, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les patients qui se présentent, alors que le secteur à but lucratif peut choisir les patients les plus rentables. Autrement dit, comme le souligne M. Gérard de Pouvourville, docteur en économie et administration des entreprises, les hôpitaux publics sont « pénalisés » par le fait de ne pouvoir choisir leurs patients.
On le voit bien, ces deux éléments que sont la convergence des tarifs et la rémunération à l’activité et qui constituent l’ossature de votre politique sanitaire jouent contre l’hôpital public, c’est-à-dire contre les seules structures capables d’assurer l’égalité entre nos concitoyens en matière d’accès aux soins. Je tenais à le réaffirmer en prélude à notre discussion.
À cet égard, la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Pierre Fourcade n’apporte aucune solution. Elle entérine ce modèle économique que nous ne pouvons que contester.
Par ailleurs, mes chers collègues, si nous avons, un temps, cru ou tout du moins espéré que cette proposition de loi allait apporter des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent nos concitoyens pour accéder aux soins, aujourd’hui nous sommes déçus.
Il s’agit pourtant d’un enjeu capital, puisque l’accès aux soins se dégrade encore malgré la loi HPST, malgré les règles incitatives que vous n’avez de cesse de développer.
Lors de l’examen du projet de loi HPST, la majorité sénatoriale avait supprimé les peu nombreuses avancées obtenues à l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, par cette proposition de loi, elle entend supprimer les quelques mesures, certes symboliques, qui avaient résisté à son examen, en supprimant les sanctions en cas de non-respect des contrats solidaires. Nous y sommes ! Il s’agit avant tout de donner au secteur libéral tous les gages nécessaires.
Mes chers collègues, tout cela donne l’impression que vous refusez, malgré les rapports Hubert et Vallancien, de prendre à bras-le-corps l’important dossier de la médecine libérale.
Le système actuel est à bout de souffle et ne permet pas de répondre aux besoins de nos concitoyens, qui sont pourtant clairement définis et limités à trois questions fondamentales : la permanence des soins, la persistance et l’extension des zones sous-médicalisées, ainsi que l’explosion des dépassements d’honoraires. Vous refusez pourtant d’en parler !
Pour nous, la permanence des soins doit continuer à être considérée comme une mission de service public. Il s’agit d’une exigence de qualité et d’égalité entre nos concitoyens, seule capable de rendre opposable une telle notion. Il s’agit pour nous non pas de contraindre les médecins,…
M. Xavier Bertrand, ministre. Mais si !
M. Guy Fischer. … mais d’assurer la satisfaction des besoins en santé. C’est pourquoi nous considérons que cette exigence ne peut être facultative.
S’agissant des déserts médicaux, il y a fort à parier que, malgré l’adoption probable de cette proposition de loi, ils ne se résorberont pas. Bien que nous n’ayons pas voté en faveur des contrats santé solidarité, considérant qu’ils étaient difficiles à instaurer, nous avons tout de même été surpris d’apprendre par voie de presse que la ministre de la santé de l’époque, Mme Bachelot-Narquin, avait décidé seule – ce point a été confirmé –, à l’occasion d’un congrès des médecins généralistes réunis à Nice, de ne pas les mettre en œuvre.
Je veux réaffirmer ici notre opposition à ce type de procédé. Le Gouvernement ne peut pas décider seul de surseoir à l’exécution d’une mesure adoptée par le Parlement. Au moins cette proposition de loi a-t-elle le mérite de clarifier les choses, en envoyant – c’est ainsi que nous le comprenons – un signal fort en direction des médecins, qui sont de potentiels électeurs.
Car, à vrai dire, les articles concernant les soins de premier recours, que M. le rapporteur considère comme le cœur de cette proposition de loi, ne nous semblent pas suffisants. Le fait de permettre à une société civile, composée de médecins et d’auxiliaires médicaux, de bénéficier de financements de la part de l’assurance maladie ne constitue qu’une incitation marginale à l’exercice regroupé.
M. le rapporteur l’a très bien expliqué, ce mode d’exercice est aujourd’hui plébiscité. De plus en plus de jeunes médecins se déclarent intéressés, dans la mesure où il permet à la fois la complémentarité des pratiques et la rupture avec un certain isolement. Ces praticiens sont également de plus en plus nombreux à refuser de s’inscrire dans un schéma où ils seraient d’abord et avant tout des gestionnaires de structures ou des entrepreneurs.
Cela explique sans doute pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à accepter une pratique longtemps décriée, celle de l’exercice salarié. Les éléments chiffrés que vous avez donnés, monsieur Milon, parlent d’eux-mêmes. Peut-être cette nouvelle société de moyens donnera-t-elle envie à des médecins d’exercer de manière regroupée. Toutefois, la question que nous devons nous poser est en réalité la suivante : cela suffira-t-il à repeupler les déserts médicaux ? Nous répondons par la négative, car la création de ce nouveau cadre vise en réalité à empêcher toute remise en cause du dogme auquel les représentants des médecins libéraux sont très attachés, celui de la liberté d’installation.
Selon nous, il est temps que ce concept évolue. Il n’est en effet pas acceptable qu’en raison de ce principe, lié à un exercice libéral de la médecine, les pouvoirs publics ne disposent pas des outils leur permettant d’assurer un autre principe, bien plus important à nos yeux : celui de l’accès de tous à une médecine de proximité.
Les politiques incitatives que vous avez développées depuis des années présentent deux inconvénients : d’une part, celui de reposer exclusivement sur les financements des collectivités locales et territoriales, ce qui revient à appliquer à la médecine de proximité la fracture sociale liée aux richesses des territoires ; d’autre part, celui, majeur, de n’avoir aucun effet concret. Nous sommes aujourd’hui dans une situation paradoxale : alors qu’il n’y a jamais eu autant de médecins, les besoins non satisfaits n’ont jamais été aussi grands.
C’est pourquoi nous vous proposerons au cours de nos débats un certain nombre d’amendements tendant à limiter l’installation des médecins dans les zones sur-denses et à encadrer les conditions de leur installation. Je ne me fais aucune illusion sur leur adoption ! (Sourires au banc des commissions.)
En effet, il n’y a plus lieu d’attendre. Selon les projections, tout porte à croire que le nombre de médecins de premier recours aura mécaniquement tendance à décroître. Selon les atlas régionaux de la démographie médicale, le nombre total des médecins en activité devrait effectivement diminuer de 10 % à l’horizon 2025. Si la densité médicale était de 275 généralistes pour 100 000 habitants en 1985 et de 340 praticiens en 2005, toutes les études prévoient, à l’horizon 2025, qu’elle tombera à 283 généralistes pour 100 000 habitants, soit un taux à peine supérieur à celui du milieu des années quatre-vingt, alors que les besoins ont considérablement augmenté, notamment en raison du vieillissement de la population. Refuser d’agir aujourd’hui, c’est prendre le risque que, demain, la situation ne s’aggrave une nouvelle fois.
Enfin, le dernier enjeu est celui de l’accès aux soins à des tarifs opposables. Cette question est primordiale, dans la mesure où l’explosion des dépassements d’honoraires fait courir le risque d’une médecine à double vitesse – je pense plus particulièrement aux spécialistes –, écartant des soins celles et ceux qui ne disposeraient pas des ressources financières à la hauteur de leur état de santé.
À l’occasion des débats sur le projet de loi HPST, nous avions proposé que l’accès à des tarifs opposables constitue un élément essentiel pour déterminer le schéma régional de l’organisation sanitaire. Vous vous y étiez opposés, laissant perdurer une situation inacceptable et envoyant un très mauvais signal aux professionnels de santé, qui restent libres de déterminer en leur âme et conscience si les dépassements qu’ils pratiquent sont conformes au tact et à la mesure.
Aujourd’hui, certains préconisent d’autoriser la modulation du prix de la consultation en fonction de l’importance de celle-ci. Nous y sommes opposés, considérant que cela reviendrait de fait à autoriser les médecins à pratiquer des tarifs discriminatoires ou, dans le meilleur des cas, à faire naître le doute chez le patient, qui, par définition, a besoin de faire confiance à son médecin.
De la même manière, nous ne considérons pas que le secteur optionnel soit de nature à résoudre ce que l’IGAS qualifiait dans son rapport de 2007 de « recul de la solidarité nationale contraire aux principes fondateurs de l’assurance maladie ». Pour nous, ce nouveau secteur vise à inciter les médecins pratiquant les tarifs conventionnels à imposer des dépassements d’honoraires légalement autorisés et dont le pendant est naturellement une prise en charge par les complémentaires santé. (Mme Lucienne Malovry et M. Jacques Gautier martèlent leur pupitre en signe d’impatience.) On le sait, le transfert de la solidarité nationale, assurée par la sécurité sociale, vers la capacité financière des patients, par le biais des contrats complémentaires, est de nature à accroître les inégalités sociales en matière de santé.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Guy Fischer. Je n’ai pas dépassé mon temps de parole, monsieur le président.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Mais si ! De plus d’une minute !
M. Guy Fischer. C’est pourquoi nous considérons qu’il est impératif d’agir aujourd’hui et avec courage pour garantir l’accès de toutes et tous aux tarifs conventionnés.
De tout cela, cette proposition de loi ne parle pas. Elle se limite à une correction à la marge de la loi HPST, son auteur se refusant d’agir sur l’essentiel. Pendant que nous débattons de ce texte, les hôpitaux publics subissent des plans de rigueur sans précédent, et continueront à les subir demain. Les patients continuent à être victimes de discrimination en matière d’accès aux soins, en fonction de leur origine, leur régime d’assurance, leurs ressources financières ou leur lieu de résidence. Cela continuera demain, malgré l’adoption de cette proposition de loi.
S’il fallait, mes chers collègues, ne retenir qu’un seul terme pour résumer ce texte,…
M. le président. Concluez, monsieur Fischer !
M. Guy Fischer. … ce serait sans doute celui de « reconquête », choisi par Le Quotidien du médecin dans un article en date du 14 février dernier, où l’on apprend que la proposition de loi est destinée à « arrondir les angles » entre la majorité et les médecins.
Vous comprendrez aisément que, dans ce contexte, et parce que l’objet de la présente proposition de loi n’est pas la satisfaction des besoins et attentes légitimes de nos concitoyens, nous voterons contre cette proposition de loi.