Monsieur Woerth, vous insultez le monde du travail !

Réforme des retraites : article 5

Publié le 8 octobre 2010 à 16:59 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le ministre, vous le savez, nous sommes à l’unisson de la grande majorité de nos concitoyens, qui sont à 70 % hostiles à votre réforme. Nous sommes donc défavorables à cet article 5, qui ne prévoit rien de moins qu’un recul historique de vingt ans, puisqu’il marque la fin de la retraite à 60 ans.

Pour être membre d’un gouvernement qui se fait l’apôtre de la modernité, vous n’en utilisez pas moins en matière sociale – c’est même peu de le dire – toujours la même recette, faite de réduction des droits des salariés et d’accumulation de reculs historiques.

Vous conduisez la voiture France d’une manière bien particulière : l’œil fixé sur le rétroviseur, tout en vous interdisant de dépasser la ligne blanche imposée par le MEDEF. D’ailleurs, M. le rapporteur a concédé que « l’abaissement généralisé de l’âge de l’ouverture du droit à la retraite à 60 ans était » – le verbe est à l’imparfait, temps du passé – « un élément essentiel de progrès social ». Autant dire que sa suppression constitue un recul majeur !

Pour celles et ceux qui connaissent mal le monde du travail – et après avoir entendu vos propos, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, je crois pouvoir affirmer que c’est votre cas –, deux ans d’activité supplémentaires peuvent paraître une durée supportable. Toutefois, pour une grande partie de nos concitoyennes et concitoyens, ces deux années de plus seraient véritablement de trop.

Monsieur le ministre, vous affirmez que l’on est moins vieux aujourd’hui à 62 ans qu’on ne l’était à 60 ans dans les années quatre-vingt.

M. Éric Woerth, ministre. C’est vrai !

Mme Annie David. Je ne sais que répondre à une telle ineptie, à un tel non-sens !

M. Guy Fischer. Tout à fait !

Mme Annie David. L’espérance de vie a peut-être augmenté ; toutefois, et vous ne voulez jamais nous répondre sur ce point, la productivité aussi !

M. Éric Woerth, ministre. Comme partout dans le monde !

Mme Annie David. Certes, monsieur le ministre, mais partout aussi les actionnaires se sont enrichis, et, à l’évidence, ce fut sur le dos des salariés ! (M. le ministre fait un signe de dénégation.)

Allez demander à un éboueur si, à 62 ans, il a encore envie de passer dans les rues pour ramasser nos poubelles ! Interrogez un maçon. Questionnez les femmes qui font le ménage dans les bureaux pour savoir si, à 62 ans, elles souhaiteront encore faire ce travail. Or, avec votre réforme, celles-ci seront obligées de travailler jusqu’à 67 ans pour bénéficier d’une pension sans décote ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jean Desessard s’exclame.)

M. Guy Fischer. Voilà la réalité !

Mme Annie David. De plus, elles toucheront une retraite minuscule parce que, comme elles sont salariées à temps partiel, elles ont des salaires minuscules ! (Mme Catherine Dumas s’exclame.)

M. Éric Woerth, ministre. Elles travaillaient déjà jusqu’à 60 ans en 1982. Et elles vivaient alors cinq ans de moins.

Mme Annie David. Monsieur le ministre, nous n’acceptons pas vos effets de manche, ni vos belles paroles sur l’augmentation de l’espérance de vie et sur les salariés prétendument moins fatigués ou moins usés physiquement à 62 ans qu’à 60 ans.

Regardez ce que nous avons écrit dans le rapport de la mission sur le mal-être au travail, dont certains des membres sont parmi nous. Reportez-vous aux conclusions de ce travail, allez observer la tension qui règne aujourd’hui chez les cadres à cause du système en vigueur dans les entreprises.

M. Éric Woerth, ministre. Vous n’êtes pas la seule à connaître le monde du travail, madame David !

Mme Annie David. En parlant comme vous le faites depuis mardi dernier, vous insultez le monde du travail ! Allez dans les usines, rencontrez les salariés qui font les 3x8 ou travaillent sept jours sur sept parce qu’il ne faut pas arrêter l’entreprise, afin, évidemment, de rentabiliser l’outil de production ! Allez expliquer à ces personnes qu’elles devront travailler deux ans de plus !

Monsieur le ministre, je peux vous assurer que, chez ces salariés-là, cette réforme n’est pas acceptée. Même chez les cadres des entreprises, d’ailleurs, elle passe mal. Lorsque l’on annonce des économies à l’échelle nationale, tout le monde sait que cela signifie des suppressions de postes ! Et il n’est pas facile pour les cadres et les chefs d’équipe d’aller voir les salariés avec lesquels ils travaillent depuis des années pour leur dire qu’ils pointeront au chômage à partir du lendemain. Parce que c’est ainsi que cela se passe dans les entreprises ! Allez donc annoncer à ces gens que la retraite est repoussée au-delà de 60 ans et que vous détruisez des années de lutte et un acquis social !

Monsieur le ministre, en 1981, quand la retraite à 60 ans a été votée, je n’étais pas parlementaire : je venais de signer mon premier CDI…

M. Éric Woerth, ministre. Moi aussi !

Mme Annie David. … dans une entreprise.

M. Guy Fischer. Chez Hewlett-Packard !

Mme Annie David. Je n’ai donc pas participé, comme certains ici, à l’examen de ce texte. Il n’empêche que, dans l’entreprise où je travaillais, les salariés ont fait une sacrée fête, croyez moi (Sourires.), quand ils ont appris que la retraite était fixée à 60 ans, qu’ils avaient droit à une cinquième semaine de congés payés et qu’ils travailleraient 39 heures au lieu de 40, même si cela ne faisait qu’une heure en moins !

En effet, même si, à l’époque, j’étais encore loin de la retraite, nous nous battions pour pouvoir partir à 60 ans et nous étions tous très attachés à cette mesure. Obtenir la retraite à 60 ans a été une grande victoire pour les salariés dans les entreprises. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous faites reculer les salariés de vingt ans, ce qui est inacceptable. Vos propos témoignent perpétuellement d’un mépris pour les salariés des entreprises, et c’est difficile à entendre.

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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