Modernisation du marché du travail

Publié le 6 mai 2008 à 09:43 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi est en l’état inacceptable puisqu’il participe d’un long processus, cohérent et rigoureux, de démantèlement du droit du travail !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Ça commence fort !

Mme Annie David. Au moins les choses sont dites, monsieur le ministre !

En outre, il ne répond en rien aux attentes actuelles du monde du travail s’agissant du fort taux de chômage, du développement de la précarité, du temps partiel subi, des difficultés d’emploi des seniors et des jeunes, de la formation professionnelle, de l’augmentation des salaires !

Cependant, quelques dispositions, positives en apparence, côtoient des mesures inacceptables, mais cela dans le but de faire taire les éventuelles contestations et de vous donner l’occasion, monsieur le ministre, d’affirmer qu’il s’agit d’un texte équilibré, répondant aux revendications des partenaires sociaux et à une philosophie dont le Parlement ne saurait défaire la trame.

Tel est le cas de l’abrogation du CNE. Pourtant, chacun dans cette enceinte sait bien que cette abrogation résulte non pas de la négociation, mais de différentes jurisprudences et de la condamnation de la France par l’Organisation internationale du travail !

Tel est aussi le cas d’une partie de l’article 4 du projet, qui abaisse la durée d’ancienneté nécessaire dans l’entreprise pour pouvoir prétendre aux indemnités de licenciements. L’absence d’études sur les conséquences de cette mesure sur notre système d’indemnisation du chômage nous fait craindre l’adoption future de mesures de rétorsion, la diminution de la durée d’indemnisation, par exemple. Les négociations qui s’engagent sont, de ce point de vue, des plus importantes. Nous serons vigilants quant à leur déroulement.

En outre, cette disposition, qui permet également de doubler le montant de l’indemnité, doit être considérée avec la plus grande prudence. Ce doublement ne touche en réalité que certains salariés dans la mesure où ceux qui sont licenciés pour motif économique ou pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle bénéficient déjà de ce niveau.

De surcroît, la création d’une indemnité unique entraîne la suppression de la majoration accordée aux salariés licenciés après dix ans d’ancienneté. L’indemnité des uns est donc financée par la baisse des indemnités des autres : l’accord rend moins cher le licenciement des salariés ayant une grande ancienneté !

Monsieur le ministre, nous attendons, comme vous nous l’avez promis en commission, que vous nous indiquiez les grandes lignes du futur décret et que vous confirmiez que cette « anomalie » n’aura existé que le temps du débat parlementaire.

L’article 3 du projet de loi prévoit d’abaisser de trois années à une seule l’ancienneté requise pour bénéficier de l’indemnité complémentaire en cas de maladie.

Cependant, nous nous souvenons des récentes déclarations de Mme Bachelot ou du Président de la République sur une mise à contribution accrue des mutuelles. Nous nous souvenons aussi et surtout des franchises médicales, cet impôt injuste sur la maladie.

Comment dès lors ne pas s’interroger sur la portée réelle de cette mesure ? Entendez-vous ouvrir droit à une protection sociale rabougrie ? Ou bien, et cela n’est pas contradictoire, souhaitez-vous orienter les salariés vers un système d’assurance complémentaire dont le champ de compétences sera, on le devine, considérablement étendu, quitte à accroître les coûts qui pèsent sur les cotisants ?

Les mesures prétendument bénéfiques de ce projet de loi nous inspirent donc de grandes interrogations. Mais ce texte comprend également des dispositions largement insatisfaisantes.

Ainsi en est-il la disposition de l’article 2 qui prévoit que seule une partie de la durée des stages réalisés dans l’entreprise au cours de la dernière année d’études est déduite de la période d’essai. Pourquoi limiter la portée de cette mesure et ne pas prévoir que la durée des stages est intégralement déduite de la période d’essai ? Rien, sur le fond, ne l’interdit. Cela répondrait en outre à une demande réitérée des associations et des organisations représentatives des stagiaires.

Quant à l’article 1er, que dire si ce n’est qu’il se limite à une déclaration de bonnes intentions, tout en légitimant l’existence des emplois précaires, au nom des « impératifs économiques de la mondialisation ». Le fait qu’il retranscrive dans la loi l’article 1er de l’accord national interprofessionnel ne change rien. On peut d’ailleurs se demander pourquoi des organisations syndicales de salariés reprennent les ritournelles patronales : en quoi est-il nécessaire de créer des contrats précaires pour faire face à des besoins certes ponctuels, mais néanmoins prévisibles ? Pourquoi faut-il multiplier le nombre des statuts précaires qui remplissent la même fonction ? Tout cela, bien sûr, en vertu de la mondialisation !

De plus, comment comprendre que vous donniez toute sa valeur à cette pétition de principe alors que, dans le même temps, non seulement vous conservez les trente-sept contrats dérogatoires existants, mais vous en ajoutez même un nouveau, avec l’article 6 du projet de loi ?

Monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs communistes attachent une grande importance au contrat à durée indéterminée. Nous considérons qu’il est utile aux salariés, à l’économie et aux employeurs.

Le CDI est utile aux salariés et à l’économie, car il est un gage d’équilibre et de sécurité. Il est également utile à l’employeur, car la contrepartie de cette sécurité juridique est, toutes les études le prouvent, une productivité supérieure à la moyenne.

C’est pourquoi nous avons déposé sur ce sujet un certain nombre d’amendements. Je regrette que vous n’ayez pas saisi l’occasion de cet article pour reprendre à votre compte les amendements déposés par mon groupe lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, visant à instaurer une sorte de « bonus-malus » applicable aux entreprises en fonction de leurs politiques sociales et salariales.

Voilà un instant, M. le président de la commission des affaires sociales me disait que je n’avais sans doute pas trouvé le bon véhicule pour faire « passer » ces amendements. Peut-être aurai-je plus de chance aujourd’hui ?

À l’instar des organisations représentatives des salariés privés d’emplois, de la CGT et de bon nombre de juristes, nous considérons que cet article ne sera d’aucune efficacité contre la précarisation du salariat, car il n’est nullement contraignant. Autant dire qu’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau !

Au-delà de la doctrine générale qui l’inspire, ce texte a pour réel objet de précariser le monde du travail ou, pour utiliser un terme faisant un meilleur écho à ce projet, de le « flexibiliser » davantage. Il s’agit d’un objectif que nous ne pouvons approuver.

M. Emmanuel Dockès, professeur à l’université de Lyon 2 et directeur de l’Institut d’études du travail de Lyon, considère que ce texte « comprend un certain nombre de régressions qui devraient le faire entrer dans l’histoire comme l’un des plus importants reculs qu’ait eu à connaître le droit du travail français depuis 1945 ».

M. Guy Fischer. Voilà la réalité !

M. Jean-Luc Mélenchon. Absolument !

Mme Annie David. Autant dire que nous récusons votre conception de la « flexicurité à la française », dont les salariés n’auront à connaître que la flexibilité. Ce sera la flexibilité imposée par l’employeur aux salariés, contraints d’accepter un contrat à durée déterminé dont l’échéance est la réalisation d’une mission. Il s’agit de la transposition dans notre droit de l’un des désirs anciens du MEDEF : le recours au « salarié Kleenex », que l’on peut utiliser, exploiter, pressurer et jeter dès lors qu’il a rempli sa mission !

Monsieur le ministre, quelle sécurité sera offerte à ces salariés recrutés sous contrat de mission, alors qu’ils pourront être licenciés à l’issue de la mission - c’est l’objet même du contrat -, mais aussi pendant la période d’essai ainsi qu’à l’occasion des douzième ou vingt-quatrième mois correspondant à la date anniversaire de la conclusion du contrat, voire au dix-huitième mois si l’amendement déposé par le rapporteur est adopté ?

Drôle de conception de la sécurité de l’emploi qui se traduit par la multiplication des occasions légales de rupture sur l’initiative de l’employeur ! Parlons plutôt d’insécurité, cadeau en direction des employeurs, MEDEF et CGPME.

Je n’oublierai pas non plus l’allongement des périodes d’essai, obtenu sous la pression permanente du patronat et insidieuse du Gouvernement. De l’aveu même du représentant du MEDEF devant notre commission - j’ai d’ailleurs trouvé très honnête de sa part qu’il le formule clairement ! -, à partir du moment où le CNE disparaissait, il fallait influer sur la période d’essai.

Cela marque un recul pour les salariés, car aujourd’hui les conventions collectives prévoient des durées de période d’essai d’une semaine à trois mois, suivant la qualification demandée, ce qui correspond à ce qu’il est convenu d’appeler la « durée raisonnable ». On se situe avec l’article 2 du projet de loi bien au-delà du raisonnable, au regard de la finalité de la période d’essai affirmée par l’accord national interprofessionnel, l’ANI !

Alors, de quelle sécurité pour les salariés s’agit-il ?

De celle de percevoir une indemnité de chômage plus importante et plus longue ? Nous savons que non, et je ne reviendrai pas sur l’« offre valable d’emploi » qui va devenir une « offre acceptable d’emploi », nous en avons discuté suffisamment lors de l’examen du texte portant sur la fusion de l’UNEDIC et de l’ANPE. Ce sera d’ailleurs l’objet de prochaines négociations avec les partenaires sociaux, prévues à l’article 18 de l’ANI, l’enjeu étant pour le Gouvernement d’imposer à un salarié licencié d’accepter un emploi moins qualifié, donc moins rémunéré, sous peine de perdre les allocations chômage.

Sans doute s’agit-il plutôt de la sécurité du patronat : celui-ci, une fois encore, dispose d’outils adaptés à sa politique managériale, traduction du libéralisme économique qui transforme les hommes et les femmes composant l’entreprise et faisant sa richesse en simple variable d’ajustement.

Ainsi, grâce à la rupture conventionnelle, qui met à bas quarante ans de construction des protections contre le licenciement arbitraire, les employeurs pourront obtenir légalement qu’un salarié accepte cette rupture plutôt qu’il n’exige un licenciement. Cette disposition n’est nullement créatrice de droits nouveaux pour le salarié : elle existe déjà, comme vous l’avez d’ailleurs rappelé vous-même, monsieur le ministre, ainsi que le rapporteur, devant la commission. Le seul droit nouveau qui aurait pu être créé aurait consisté à donner au salarié un moyen juridique de faire reconnaître ce droit par son employeur. Mais de cela il n’est nullement question, si ce n’est à travers la précision : « d’un commun accord », formule dont toutes et tous ici connaissons la valeur ! L’employeur, au contraire, en raison de l’existence du lien de subordination, dispose de tous les moyens pour imposer cette décision.

Le projet de loi, tout comme l’accord national interprofessionnel lui-même, s’est, de mon point de vue, construit en défaveur des salariés. Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce que vous voudriez nous faire croire, monsieur le ministre, d’un texte équilibré. Les organisations syndicales signataires de l’accord le reconnaissent elles-mêmes et nous invitent à être vigilants lorsque viendront en examen devant le Parlement, notamment, les textes portant sur la formation professionnelle et sur l’indemnisation des salariés privés d’emploi - c’est en cours -, ou encore lors de l’élaboration des nombreux décrets à venir.

Pour mieux comprendre cet accord, il nous faut nous intéresser au contexte dans lequel se sont inscrites les négociations. Il faut nous souvenir - et je comprends que cela vous déplaise, monsieur le ministre, en cette période où le Président de la République dénonce le chantage exercé par certaines entreprises -...

M. Xavier Bertrand, ministre. Non !

Mme Annie David. ...du chantage qui a pesé sur les négociations : soit les syndicats parvenaient à s’entendre avec le patronat, soit le Gouvernement déposait un projet de loi. Les syndicats, ne sachant que trop bien comment le texte serait rédigé, se sont sentis obligés d’accepter de signer l’ANI. Cela a fait dire à Thomas Coutrot, économiste, que la menace planait du vote d’une « loi MEDEF » ; ce sentiment est d’ailleurs partagé par M. François Chérèque, dirigeant de la CFDT - pourtant signataire de l’accord -, pour qui « les documents d’orientation du Gouvernement sont quelque peu directifs ».

Comment ignorer encore que, dès le début de la négociation, vous avez pesé sur son contenu, sur son déroulement, en créant le concept ambigu d’« organisations syndicales responsables », donnant à croire que les syndicats ne trouvent leur légitimité que dans la seule négociation avec le patronat et le Gouvernement ? C’est là une nouvelle raison qui m’incite à ne pas voter le projet de loi, monsieur le ministre : cet accord s’est construit sans consultation des militantes et militants des différents syndicats, par faute de temps puisque, en plus du chantage à la « loi MEDEF », vous avez imposé un rythme infernal pour mener à bien ces négociations - rythme que curieusement, comme le relevait à l’instant ma collègue Christiane Demontès, vous n’avez pas encore voulu imposer pour les discussions sur la pénibilité ou sur l’égalité professionnelle !

Pour conclure, je soulignerai que les récentes déclarations du Président de la République ne nous laissent que peu d’espoirs et amènent une question : pourquoi vouloir flexibiliser un marché du travail français qui ne semble guère rigide ? Car 2,5 millions de salariés en CDD ou en intérim, c’est un record historique ; 800 000 à 900 000 salariés en CDI sont licenciés chaque année. Les licenciements pour motif « personnel » se sont multipliés et représentent désormais les trois quarts des licenciements. Dans neuf cas sur dix, les procédures sont extrêmement simples : un entretien suivi de l’envoi d’une lettre précisant les motifs. Licencier un CDI dans les deux premières années ne coûte quasiment rien ; et ce n’est pas la « mesurette » incluse dans votre projet de loi qui va beaucoup changer les choses !

Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi.

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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