Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Aspiration largement partagée s’il en est, le renforcement de la négociation collective s’est imposé, depuis la création du ministère du travail, comme une exigence à satisfaire afin de favoriser et concilier le progrès social et les conditions d’emploi des salariés avec la croissance économique.
Depuis une dizaine d’années déjà, tout le monde semble se plaindre de la faiblesse des protagonistes sociaux, de la place étroite de la politique contractuelle dans la sphère sociale, du déclin du syndicalisme...
Bien que ce soit pour des raisons différentes pour ne pas dire opposées, leaders syndicaux et politiques en appellent à la modernisation du dialogue social. Cette question est devenue un vrai enjeu politique.
Or, comme n’a pas manqué de le relever le Conseil économique et social dans l’introduction de son avis sur le thème « Consolider le dialogue social », « cette notion de dialogue social est aujourd’hui couramment utilisée mais rarement définie avec précision, les différents acteurs pouvant dès lors lui donner des significations éminemment variables : dans la mesure où elle désigne, a priori, ni une forme identifiée, ni un niveau précis, chacun peut y mettre le contenu qu’il souhaite, avec les questions de méthode et tous les risques de malentendus que cela induit quant au degré d’implication des interlocuteurs dans la décision. »
Ainsi, le 14 juillet dernier, Jacques Chirac redécouvrant les mérites du dialogue social et défendant un syndicalisme de compromis s’est fort opportunément servi de ce thème de la modernisation du dialogue social pour tenter de redorer son blason après l’échec cuisant de son gouvernement sur le CPE.
En posant « qu’il ne soit plus possible de toucher au code du travail sans avoir, préalablement, eu une concertation entre les organisations syndicales et professionnelles » , le Président de la République a, ni plus ni moins, réitéré trois ans après, un de ses anciens engagements -celui de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle les réformes de nature législative relatives au droit du travail-. Engagement, je vous le rappelle mes chers collègues, déjà inscrit dans l’exposé des motifs du texte Fillon sur la formation professionnelle et le dialogue social mais « n’ayant pas depuis formellement donné lieu à une mise en œuvre concrète » ainsi que l’a justement constaté M. Chertier dans son rapport.
Annonçant la présente réforme, en octobre dernier, devant le Conseil économique et social, le chef de l’Etat a plaidé en faveur « de la construction d’une nouvelle architecture de la responsabilité » entre l’Etat, les syndicats et le patronat, en faveur « de plus de contrat et moins de loi ».
Avant lui, la Position commune du 16 juillet 2001 et le rapport de M. de Virville notamment avaient déjà abordé dans cet esprit la place respective et les relations entre la législation et la négociation en prenant le parti « du contrat libérateur dont les excès et les illusions ont été maintes fois décrits » comme le remarque Marie-Armelle Souriac, professeur à l’Université de Paris X dans un article de doctrine publié dans la revue Droit du travail d’octobre dernier.
Dans le même ordre d’idée, le Medef sous la présidence d’Antoine-Ernest Seillière, a développé son projet de Refondation sociale instrumentalisant la relance du dialogue social et de la négociation pour consacrer la prééminence du contrat sur la loi.
En octobre 2001 lors d’un congrès exceptionnel du Medef, son Président réservait dans son discours de longs développements à cette « refondation » du droit du travail. Pour cela, il fallait, je cite, renforcer « le rôle de la négociation, en établissant clairement que la mise en œuvre des grands principes du droit du travail relève par priorité de la négociation collective, et que la loi ne doit intervenir qu’en l’absence d’accord ; favoriser la négociation d’entreprise, en établissant une nouvelle hiérarchie des normes qui favorise le dialogue libre au plus près de l’entreprise, au plus loin du ministre ; sanctuariser le temps du dialogue en interdisant à l’Etat de remettre en question l’équilibre des accords... »
Début 2004, le même patron des patrons se satisfaisait des résultats obtenus. Nouveaux extraits de son intervention. « Nous avons réformés, avec les syndicats réformistes, l’assurance chômage et le régime des intermittents, dont les excès sont maintenant reconnus partout, nous avons réformé avec les mêmes le régime général des retraites... nous avons obtenu une première étape essentielle dans la modernisation de notre système de négociations collectives en privilégiant l’accord d’entreprise dans la négociation... »
Il est vrai que la loi de M. Fillon réformant le dialogue social était passé par là, balayant l’ordonnancement juridique en vigueur et le principe de faveur afin de permettre qu’il soit dérogé, par accord d’entreprise, dans un sens moins favorable aux salariés aux droits consacrés dans les convention collectives et à l’ordre public social.
Toujours pour illustrer cette approche singulière de la réforme du dialogue social et ses grands enjeux, voyons maintenant les intentions de la nouvelle patronne du Medef.
Laurence Parisot a choisi le moment où Jacques Chirac montait en première ligne pour défendre sa réforme pour lancer « la délibération sociale ». Cette modalité nouvelle de dialogue social dans la forme, n’en poursuit pas moins les mêmes objectifs.
« Revoir les règles du droit du travail pour permettre l’adaptation des entreprises et de la société aux évolutions du contexte économique, réduire l’insécurité juridique, corriger les dérives jurisprudentielles, revoir les sanctions.. » Bref, mettre tout en œuvre afin que surtout rien de conséquent ne change s’agissant de la légitimité des acteurs syndicaux, tout en s’assurant du caractère bienveillant, moins contraignant de la réglementation. Il s’agit aussi, d’empêcher l’ingérence du politique dans la sphère économique.
Je partage le sentiment de Rémi Baroux journaliste au monde qui voit également dans cette démarche , « la volonté affichée par le Medef d’éviter, notamment, que l’Etat et le gouvernement - l’actuel comme celui qui sera issu de l’élection présidentielle de 2007 - n’intervienne trop dans les affaires sociales. »
Nous ne partageons évidemment pas cette approche de la démocratie sociale et encore moins l’articulation proposée avec la démocratie politique. Comme nombre de syndicats auditionnés, nous tenons avec force à la souveraineté du législateur et pensons que « démocratie politique et démocratie sociale doivent se compléter, la dernière n’ayant pas vocation à supplanter la première. »( Dominique Olivier CFDT).
A ce titre notamment, le rapport Chertier est intéressant dans la mesure où il ne propose pas, à la différence de la Position commune, de séparer les domaines de compétences du Gouvernement, du Parlement et des partenaires sociaux, il fait même la démonstration, à l’appui d’exemples étrangers ( allemand), que cette séparation qui n’est pas sans incertitude fait débat.
Cela n’empêche aucunement le Medef de continuer à peser pour qu’une révision constitutionnelle vienne compléter le projet de loi que nous examinons, lequel se contente d’inscrire dans la loi une répartition des temps plus que des domaines. M. Creyssel , directeur général du Medef l’a encore rappelé lors de son audition par la commission des affaires sociales.
Outre cette exigence de réforme constitutionnelle, il a beaucoup insisté sur la transcription législative des accords, sur la nécessité de respecter l’équilibre issu des négociations. Il s’est élevé contre la pratique des amendements d’appel initiés par certains partenaires ayant échoué dans la négociation à faire aboutir leur position, feignant d’oublier que le Medef ne se privait pas de gentiment transmettre aux parlementaires des amendements remettant en cause un accord signé.
S’agissant de la légitimité des acteurs, sans trop trahir sa pensée je peux la résumer en disant qu’il est surtout urgent d’attendre. Position qui n’a pas manqué de faire réagir, tant la légitimité des accords dépend de la représentativité des organisations syndicales. Comme vous, Monsieur le président, je suis d’avis « que le pouvoir politique peut ne pas sentir tenu de respecter un accord si celui-ci ne jouit pas d’une profonde légitimité. »
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous ne pouvons que déplorer la frilosité du gouvernement qui a quelques mois d’échéances électorales a enterré la véritable réforme, celle de la représentativité. Il ne suffit pas de se déclarer personnellement favorable à la consolidation du dialogue social, encore faut-il ne pas être politiquement hostile à sa mise en œuvre immédiate.
Dialogue social et représentativité syndicale sont étroitement lié. Le gouvernement a tenté de disjoindre les deux questions, l’actualité l’a heureusement rattrapé puisque l’avis du Conseil économique et social a été remis concomitamment à l’ouverture du débat à l’Assemblée Nationale sur le projet de loi dialogue social.
Malgré la demande conjointe de la CGT et de la CFDT, le gouvernement a refusé d’intégrer les deux principaux axes de cet avis, en l’occurrence la refondation de la légitimité syndicale sur le vote de tous les salariés, y compris ceux des petites entreprises et l’affirmation du principe majoritaire comme condition de validité des accords.
Une fois de plus, tout en sachant que sur cette question il y a eu concertation, que les blocages sont tels que seule l’intervention du législateur s’impose, le Gouvernement a choisi de botter en touche. Pour les tenants de la rupture, même tranquille, cette peur des bouleversements ô combien nécessaires de notre paysage syndical et de ses pratiques interroge. Il est vrai qu’à l’instar du Medef le gouvernement préfère sûrement des signataires dociles et minoritaires.
Au final donc, tant de l’avis du Conseil économique et social que des rapports Hadas-Lebel et y compris du rapport Chertier, il ne reste plus grand chose comme en témoigne les deux articles du texte dont nous entamons l’examen.
Nous regrettons qu’il en soit ainsi. C’est pourquoi, tout en reconnaissant l’importance des dispositions législatives visant à définir de nouvelles pratiques en terme de concertation, de consultation et d’information des partenaires sociaux sur les réformes touchant au cœur le code du travail, nous tenons par le biais de nos amendements à enrichir ce texte gadget.
Afin de véritablement améliorer le fonctionnement de la démocratie sociale nous défendrons notamment la proposition portée par la CGT et la CFDT et l’UNSA et ce, avec d’autant plus de conviction que cette position est la nôtre depuis 1982.
Par ailleurs, puisqu’il nous faut coller au texte, aussi minimaliste soit il, nous proposerons de préciser certaines de ses dispositions pour éviter les pratiques dilatoires d’aucuns, des organisations patronales qui pourraient être tentées d’accepter de négocier pour mieux enterrer les réformes - l’exemple récent des négociations sur la pénibilité appelle justement que l’on tente de mieux définir les modalités de la procédure de concertation et de négociation-, mais aussi celles du gouvernement qui pourra toujours contourner les partenaires sociaux en cas d’urgence.
Là encore et bien que le discours actuel soit à la promotion officiel du dialogue social, nous entendons prendre un maximum de précautions contre les passages en force de l’exécutif . Il est vrai que nous avons toutes les raisons de craindre la notion d’urgence, laquelle a permis de justifier au cours de cette législature nombre d’entorse à la démocratie sociale et au droits du Parlement.
La liste est longue mais je me dois tout de même d’illustrer mon propos de quelques exemples, dans la mesure où vos mauvaises pratiques des rapports sociaux expliquent en partie notre prudence sur le présent texte.
Ainsi, dans le passé cette majorité sous le gouvernement de M. Raffarin a profité de la transcription d’un accord national unanime des partenaires sociaux sur la formation professionnelle pour donner à l’accord d’entreprise sa pleine autonomie par rapport à l’accord de branche chamboulant ainsi la hiérarchie des normes en droit social. La loi Fillon dont il est question, a préférer la majorité d’opposition à la majorité d ‘engagement.
Toujours en 2004, vous vous êtes cachés derrière la loi de programmation de cohésion sociale déclarée d’urgence, pour satisfaire le Medef dans sa demande de modification des règles en matière de licenciements économiques. Manipulant le Parlement et contournant les organisations syndicales, vous avez accepté les amendements livrés clé en main du Medef mettant à mal des jurisprudence constantes de la Cour de Cassation, affaiblissant substantiellement le rôle et les pouvoirs d’intervention des comités d’entreprise, verrouillant l’action collective des salariés. Pas moins de 13 amendements sur les 22 estampillés Medef ont été finalement retenus. Monsieur Dassault a réussi à cette occasion à changer les règles régissant le travail de nuit dans la presse.
En 2005, faute de courage politique, c’est par le biais d’une proposition de loi donc sans passer par l’information des instances habilitées, ni l’aval des syndicats, que la législation sur le temps de travail a été assouplie.
Vous avez accepté dans la loi PMI-PME de porter de 2 à 4ans la durée du mandat des membres du CE, témoignant là de votre volonté de distendre le lien entre les salariés et leurs élus.
La même année toujours, aux exigences de respect, de plus démocratie, de moins d’insécurité sociale, exprimées dans le non au référendum vous avez répondu changement dans la continuité, passage en force. C’est par ordonnance et en raison de l’urgence de la situation de l’emploi que M. de Villepin a décidé de prescrire la précarité généralisée en instituant le CNE.
L’année suivante en miroir à la crise des banlieues, le gouvernement a tenté de passer au forceps le CPE dans le projet de loi sur l’égalité des chances. Urgence déclarée, calendrier parlementaire bousculé, introduction par voie d’amendement d’une disposition majeure, le CPE, et pour finir, l’utilisation de l’article 49-3 de notre Constitution.
Dans un passé encore plus proche et alors que le présent texte était déjà dans les tuyaux, nous avons eu droit à un conséquent volet ajouté à la loi relative au développement de l’actionnariat salarié. Gênés par la multiplication de mesures modifiant le code du travail sans lien avec l’objet du texte, certains parlementaires de droite ont tenté de sortir du rang, pour mieux le réintégrer en acceptant ces pratiques par souci de pragmatisme. Au titre de ces amendements cavaliers de multiples questions ont été traitées. Je pense au temps de travail dans les transports, au temps de déplacement des salariés agricoles, au calcul des effectifs des entreprises, à l’information dont disposent les CE, à la rémunération des activités prud’homales.
Que dire enfin, de la validation dans le cadre du PLFSS pour 2007 des dispositions de l’accord de 2004 sur le temps de travail dans les hôtels, cafés, restaurants, dispositions annulées par le Conseil d’Etat, si ce n’est qu’elle traduise la négation du dialogue social par le gouvernement.
Je ne peux terminer cette énumération qui est loin d’être exhaustive sans ajouter que l’accord du 12 décembre 2001 visant à développer le dialogue social dans l’artisanat, signé par toutes les organisations syndicales de salariés dans l’entreprise, reste à ce jour encore lettre morte faute d’aval du gouvernement.
Décidément, les solutions de nature à effectivement relancer et enrichir le dialogue social reste suspendues à la bonne et surtout mauvaise volonté du Medef et de cette majorité.
Mes chers collègues, l’autoritarisme de votre candidat à la présidentielle annonçant une loi sur le service minimum, texte portant atteinte au droit de grêve liberté fondamentale des salariés, et ayant trait aux relations de travail, renforce encore davantage nos doutes sur votre capacité à tenir les engagements inscrits dans la présente loi.
Nous croyons en l’utilité et à la qualité du dialogue social, c’est la raison pour laquelle à l’issue des nos débats nous nous abstiendrons sur ce texte hypocrite, évacuant pour avoir toutes les chances d’être adopté avant la fin de la session, les vraies solutions. Jean Christophe Chanut dans la Tribune a bien résumé notre sentiment sur le projet de loi « L’efficacité et la rapidité en lieu et place de l’ambition. »