Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que peut-il se passer lorsque l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et l’inspection générale des finances, l’IGF, se mettent d’accord, à la demande de Bercy, pour « moderniser » un minimum social aussi vital que l’allocation parent isolé, l’API, qui bénéficie actuellement à 200 000 femmes élevant seules un ou plusieurs enfants ?
D’abord, on la prétend « obsolète ». En effet, selon les inspections, « la logique de salaire maternel qui sous-tend l’API apparaît obsolète ».
Ensuite, on s’étonne qu’elle soit attribuée sans obligation d’insertion. C’est une rente de situation, puisque près de la moitié des allocataires passent au RMI ! De plus, elle n’est pas morale, car « du fait de sa durée et de son montant [...] eIle suscite un risque d’éloignement durable de l’emploi et d’installation dans l’inactivité ».
Que proposent donc les inspections à partir de ce constat ? Une « responsabilisation des bénéficiaires », ces fraudeuses en puissance qui vont déjà voir renforcer le contrôle de leur situation d’isolement.
Que se passera-t-il si ce rapport obtient l’aval de Bercy, ce qui est probable, puisque 125 millions d’euros d’économies sont à la clef ? On alignera l’API sur le RMI au terme d’une période d’un an ! Le rapport indique que « cette dégressivité aurait un effet incitatif à l’insertion ».
Le rapport de M. Michel Mercier...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Excellent rapport !
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Bonne référence !
M. Guy Fischer. ... et de M. de Raincourt, ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non moins excellent !
M. Guy Fischer. ...fait à la demande du Premier ministre, n’aboutissait-il pas déjà à la même conclusion ?
C’est évident, puisque ce rapport leur a été demandé, le 3 octobre 2005, dans le but, selon les termes du Premier ministre, de « maîtriser nos dépenses publiques » et « d’améliorer les procédures de contrôle » ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Guy Fischer. - c’était le premier objectif -, ainsi que « d’abandonner la logique de statut » et « d’envisager des expérimentations ».
MM. Mercier et de Raincourt ont obtempéré... (M. le président de la commission et M. Michel Mercier sourient)... en proposant notamment la fusion du RMI et de l’API en une « allocation unique d’insertion, l’AUI ».
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Provocateur !
M. Guy Fischer. Ce n’est pas moi qui le dis ! C’est Michel Mercier !
M. Michel Mercier. Je n’aurais pas pu choisir un meilleur porte-parole !
M. Alain Gournac. Formidable !
M. Guy Fischer. Voilà le décor planté, avec de bien inquiétants fonts baptismaux (M. le président de la commission sourit.) sur lesquels notre collègue Valérie Létard et ses amis déposent une proposition de loi qui se réclame d’un progrès social.
Outre le fait qu’il est scandaleux de prétendre réformer les minima sociaux en deux heures...
Mme Valérie Létard, rapporteur. Deux ans !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne va pas le faire ce matin ! La réflexion a été engagée bien avant !
M. Guy Fischer. Non, mais je parle en ce moment du débat que nous avons sur une proposition de loi de vingt articles, que vous nous obligez à examiner à la course, en fin de session parlementaire !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !
M. Guy Fischer. Outre ce fait, le présent texte est pour moi un paradoxe.
En complet accord avec Valérie Létard, j’ai emmené à Lyon les membres du groupe de travail auquel j’ai participé et dont est issu le rapport d’information de notre collègue.
Mme Valérie Létard, rapporteur. Bien sûr !
M. Guy Fischer. Ceux qui étaient présents se souviennent sans doute de nos rencontres, ô combien édifiantes, avec la soixantaine de SDF de l’Association Relais SOS, centre d’accueil de jour, ou encore avec les représentants de l’Association lyonnaise pour l’insertion par le logement, l’ALPIL.
Pour l’honnêteté, je dois dire que Michel Mercier nous avait accueillis pour débattre avec les services du département sur la réflexion générale. (M. Michel Mercier acquiesce.)
À la lumière de l’actualité - le problème des SDF et la crise du logement -, nous avions à l’époque largement anticipé l’analyse !
Il nous avait été dit que la mise en place de l’allocation unique ne se ferait pas, que le Gouvernement était revenu en arrière, qu’il maintenait les neuf minima sociaux, que ce n’était pas le moment d’apporter des modifications.
Pour ma part, le Premier ministre, lorsqu’il a reçu le Bureau du Sénat à déjeuner, nous a dit qu’il fallait mettre fin à cette « situation », et je n’ose répéter le terme qui a été employé.
Il y a donc là véritablement matière à discussion. Cet état des lieux est instrumentalisé pour ébaucher la mise en place progressive d’une allocation unique gommant toutes les différences de statut, moyen d’appauvrir encore les plus pauvres et de réduire à sa portion congrue les interventions sociales de l’État.
Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avions déjà dénoncé, à plusieurs reprises, cet objectif de la majorité, amplifié parfois par les partenaires sociaux.
Je pense, notamment, à la réforme des filières d’indemnisation du chômage issue de la convention de décembre 2002, qui avait réduit la durée d’indemnisation par l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, l’UNEDIC, basculant massivement les demandeurs d’emploi du régime d’assurance chômage à celui de l’assistance, c’est-à-dire dans le champ de l’allocation de solidarité spécifique ; dans le même temps, la durée et le montant d’indemnisation avaient été réduits significativement.
Je pense également à la loi pour le retour à l’emploi et sur les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, qui a poursuivi la déréglementation du marché du travail en créant, après avoir imposé le contrat « nouvelles embauches », ou CNE, par ordonnance, le contrat première embauche, ou CPE, qui devait contraindre les jeunes à la précarité, et que le tsunami de la pression populaire vous a forcé à retirer !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !
M. Guy Fischer. Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le fameux article 69 ter - que je n’ai pas digéré ! - introduisait des dispositions scélérates pour contrôler le train de vie des allocataires de minima sociaux, plus particulièrement les RMIstes. Quelle indécence de mettre en place des procédures de sanctions pour les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté ! Et je suis gentil, je ne commenterai pas davantage ce point !
Je pense aussi à la discussion que j’avais qualifiée de « marchands de tapis », dans le débat sur la mission « solidarité et intégration » du projet de loi de finances, lorsqu’il a fallu argumenter tant et plus pour obtenir une rallonge budgétaire de 3 millions d’euros pour les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, le ministre délégué à la sécurité sociale, Philippe Bas les estimant, pour sa part, « suffisamment dotés ».
Peu après, curieusement, il aura fallu la pression de la rue, des « Enfants de Don Quichotte » et de la gauche antilibérale, pour que l’on « découvre » le « mal-logement », les conditions sordides dans lesquelles survivent des milliers d’hommes et de femmes.
Le rapport de la Fondation abbé Pierre sur le logement, qui sera publié le 1er février, indique - selon l’information qui m’a été communiquée par l’un de ses principaux auteurs - que la situation du logement pour les plus démunis est pratiquement comparable à celle qu’avait constatée l’abbé Pierre en 1954 !
Nous aurons aussi à discuter de ce sujet dès la semaine prochaine, madame la ministre !
Et ne m’accusez pas d’être hors sujet : tout est intimement lié dans la vie des gens ; du travail décemment rémunéré découle tout le reste.
C’est pourquoi il me paraît important de m’arrêter sur le contexte de vie des quelque sept millions de salariés pauvres, comme des 3,5 millions de titulaires de minima sociaux, vous l’avez dit vous-même. Plus de 6 millions de personnes étaient concernées à la fin de 2005, selon les statistiques de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES.
Sans sous-estimer ni se moquer du travail de qualité réalisé par Valérie Létard, sans nier que notre système de solidarité soit complexe et parfois producteur d’incohérences, je pense sincèrement, mes chers collègues, que nous ne vivons pas tous sur la même planète !
Alors, permettez-moi de vous donner quelques exemples du monde réel dans lequel nous vivons.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Guy Fischer. Un monde dans lequel entre 30 % et 40 % des SDF ont un revenu mensuel de l’ordre de 1 000 euros - ce fut l’un des débats centraux des mois de décembre et janvier. Je rappelle que le seuil de pauvreté est actuellement estimé à 602 euros par mois.
Un monde dans lequel les femmes actives subissent, pour plus de la moitié d’entre elles, un temps partiel imposé et totalisent 80 % des bas salaires.
Un monde dans lequel près de 200 000 personnes vivent dans des « hôtels » miteux, pour le plus grand profit des marchands de sommeil.
Un monde dans lequel les 8,5 millions de repas que servaient les Restos du coeur en 1985, à leur création, sont aujourd’hui 67,5 millions...
Alors, lorsque l’on accuse de fraude les travailleurs pauvres et les titulaires de minima sociaux, je voudrais ramener les choses à leur juste proportion : d’après les statisticiens, il s’avère que les fraudes au RMI ne sont ni plus ni moins nombreuses que celles qui existent dans le domaine de la fiscalité et des évasions de capitaux.
Au fond, ce sont moins les abus eux-mêmes qui sont visés que les catégories sociales qui « bénéficient » des minima sociaux. On les stigmatise sans retenue et, surtout, en passant volontairement sous silence les véritables questions sociales que sont le chômage et l’explosion de la précarité, de la grande pauvreté qui s’impose de plus en plus. Notre pays connaît, et je crois que c’est l’un des problèmes auxquels nous devrions réfléchir, un creusement des inégalités sans précédent.
Même si la proposition de loi de Valérie Létard apporte un certain nombre d’améliorations, notamment pour le passage entre minima sociaux et travail précaire, il n’est pas acceptable pour nous de considérer les titulaires de minima sociaux par ce seul « bout de la lorgnette ». Il n’est pas possible de considérer leur situation en faisant abstraction de l’augmentation du coût de la vie, qui pénalise encore plus les pauvres et touche des postes essentiels des comptes des ménages, que ce soient l’alimentation, le gaz et l’électricité, l’essence, les transports, les logements, inaccessibles même dans le secteur public,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes d’accord !
M. Guy Fischer. ... les hausses incessantes et insupportables des charges qui deviennent l’un des problèmes numéro un, ou l’injustice fiscale dont la TVA est l’exemple type...
Par ailleurs, cette proposition de loi n’est pas chiffrée. Je regrette vivement pour Valérie Létard que Mme la ministre n’ait pu nous en donner tous les contours financiers qu’aujourd’hui, par un coup de baguette magique. Nous aurions pu travailler et, surtout, argumenter encore plus sérieusement si nous les avions connus plus tôt. Notre collègue elle-même, dans son rapport, déplore les obstacles qui lui ont été opposés par le Gouvernement quand il s’est agi d’avancer dans ce domaine ! On évoque en effet une somme de l’ordre de 1 milliard d’euros...
C’est donc à défaut d’avoir obtenu tous les éléments qu’elle souhaitait que Valérie Létard préconise, dans un premier temps, une simple expérimentation dans des départements volontaires... Je parie que le Rhône comptera dans leurs rangs ! (Sourires.)
Elle dit clairement, et je l’approuve sur ce point, qu’il appartient au Gouvernement d’approfondir le travail ébauché dans sa proposition de loi : les missions de solidarité nationale doivent demeurer dans le giron de l’État. C’est aussi ma conviction.
Elle ne dit pas, mais je pense qu’elle le sait parfaitement, qu’il serait nécessaire de revaloriser significativement les minima sociaux - nous proposons pour notre part de les augmenter immédiatement de 300 euros et de porter le SMIC à 1 500 euros - ; de les indexer tous sur un même indice ; de redonner clairement à l’État la responsabilité globale de la solidarité ; d’engager une véritable politique de l’emploi et du logement.
Bien au contraire, madame la ministre, votre gouvernement n’en finit pas de jeter dans le chômage et la précarité des centaines de milliers de salariés, par toutes ses lois qui défont le code du travail, jettent à bas nos acquis sociaux issus de la Libération, organisent une régression sans pareille au nom de la libre concurrence et de la mondialisation, font des centaines de milliards d’euros de cadeaux aux entreprises, bref, par ses lois qui entérinent le cynisme de Mme Laurence Parisot et la formule qu’elle défend avec ses pairs, à la veille de l’assemblée générale du MEDEF qui va voir 5 000 patrons entrer en campagne électorale, selon laquelle « la vie, l’amour, la santé sont précaires... pourquoi le travail ne le serait-il pas » - et ne le deviendrait-il pas davantage ?
Vous aurez compris que mon groupe votera contre ce texte, instrumentalisé par une majorité qui a prémédité de longue date le nivellement par le bas des minima sociaux.