Mauvais traitement à enfants

Publié le 23 février 2000 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Hélène Luc

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la seconde fois en moins d’une année notre commission est saisie d’une proposition de loi faisant suite aux travaux du Parlement des enfants.

Après nous avoir alertés sur la nécessité de maintenir les liens entre frères et soeurs, ce qui a conduit à l’adoption de la loi du
30 décembre 1996, puis sur la participation de l’enfant orphelin au conseil de famille , ce fut la loi du 14 mai 1998, puis sur le respect des droits de l’enfant dans le monde - loi du 9 juin 1999 - les enfants attirent aujourd’hui notre attention sur l’enfance maltraitée.

A l’énoncé de ces quelques thèmes, on mesure que la citoyenneté de nos jeunes compatriotes est loin d’être épuisée et qu’elle s’exerce sur des dossiers d’une extrême actualité.

Devant la gravité du sujet de la proposition de loi qui nous est soumise, il nous faut rendre hommage à la vigilance des enfants et nous livrer à l’examen des causes qui rendent à ce point difficile l’éradication de la violence et de la maltraitance envers les enfants.

J’ai lu avec beaucoup d’émotion, car cela interpelle les adultes et les parlementaires que nous sommes, ce que les enfants ont dit à l’appui de leur proposition : " Des élèves de notre classe ont apporté des articles de journaux très choquants sur des enfants martyrisés. En nous renseignant davantage, nous nous sommes aperçus qu’il y en avait beaucoup. Ainsi, nous avons pensé qu’il fallait faire prendre conscience aux enfants maltraités qu’il faut parler. Pour que ce sujet ne soit plus tabou, il faut en parler dans les
écoles. "

Au-delà des aspects strictement législatifs qui nous occupent ici, la violence dont sont victimes les enfants, dans sa réalité tant statistique que psychologique, est d’une appréhension particulièrement complexe.

En dépit des différents dispositifs législatifs et réglementaires existants, les chiffres restent tragiquement stables.

Sur les causes de la violence et de la maltraitance, je partage largement les analyses de notre rapporteur,
M. Jean-Léonce Dupont.

Parmi les auteurs de la maltraitance, la famille reste la principale responsable. L’observation révèle également que les familles recomposées et monoparentales, de plus en plus nombreuses du fait de l’évolution des structures familiales, sont plus exposées que les autres. La précarité des familles et des conditions de vie matérielle souvent difficiles ajoutent encore à la détresse psychologique engendrée par la maltraitance.

Depuis 1989, notre pays s’est doté d’une législation et de textes réglementaires en vue d’enrayer la maltraitance. La loi du
10 juillet 1989 a ainsi confirmé les missions du conseil général en matière d’action sociale en direction de l’enfance et fait obligation aux départements de mettre en place des dispositifs chargés de recueillir les informations concernant les mineurs maltraités. Elle prévoit en outre des actions de prévention et de formation en direction des professionnels de l’enfance, de la justice et de l’éducation.

Force est de constater que ces différents dispositifs se révèlent dans les faits d’une efficacité insuffisante, et cela pour plusieurs raisons.

La dénonciation de la maltraitance constitue, pour des motifs que l’on peut aisément cerner, un acte difficile et lourd de conséquences pour les familles. La judiciarisation qui accompagne la révélation de la maltraitance rend plus difficile encore la tâche des éducateurs ou des accompagnateurs de l’enfant et la lenteur de la justice renforce les réticences des adultes à dénoncer le phénomène.

Selon l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée, le recours systématique au juge marquerait un recul de l’efficacité du système de protection de l’enfance.

A côté de la maltraitance à proprement parler, un autre danger menace l’enfance dans notre pays ; ainsi, en 1998, l’Observatoire national de l’action sociale, l’ODAS, recensait 64 000 enfants " en situation de risques ", expression qui vise les enfants dont les conditions d’existence mettent en danger la santé, la sécurité ou l’éducation.

La solitude des familles et l’absence de relations sociales - autant de maux que l’on sait engendrés, pour une large part, par la précarité - sont les principaux facteurs qui expliquent que tant d’enfants soient en situation de risques. Notre société tout entière doit réagir à cette état de fait qui puise tout autant son origine dans la crise

  • divorce, décès, dépression, alcool, et, surtout, perte d’emploi, près de la moitié des parents qui maltraitent étant sans emploi - que dans la répétition d’un schéma familial, les enfants maltraités pouvant devenir, faute de soins, des parents qui maltraitent.

Dans sa version originale, le texte adopté par les élèves comportait deux mesures applicables à l’école. La première visait à instaurer une visite médicale annuelle obligatoire pendant toute la durée de la scolarité. La seconde mesure tendait à organiser chaque année, dans les écoles, collèges et lycées, une séance d’information et de sensibilisation sur l’enfance maltraitée.

Tel que modifié par l’Assemblée nationale, le texte que nous examinons prévoit que les visites médicales des enfants de moins de six ans ont notamment pour objet de prévenir et de détecter la maltraitance.

De plus, l’Assemblée nationale a renforcé la portée de l’obligation d’organiser au moins une fois par an une séance d’information et de sensibilisation sur l’enfance maltraitée.

L’amoindrissement de la portée normative du texte qui nous est proposé résulte donc bel et bien des amendements qui ont été adoptés.

Organiser une visite médicale annuelle pour tous les enfants scolarisés est une proposition qui émane des enfants et qui doit attirer toute notre attention, d’autant que - et je tiens à le dire de manière formelle, madame la ministre, faute de voir avancer ce dossier - la situation de la médecine scolaire, même s’il y a des progrès, n’est plus admissible. C’est là un manquement grave de l’Etat à l’une de ses missions fondamentales.

Comme le rappelle de manière judicieuse M. le rapporteur, l’annonce, dans le budget de 1999, de la priorité accordée à la création de postes de médecins n’a pas été suivie d’effets à la hauteur des besoins, puisque seuls dix postes de médecins scolaires ont été créés. En l’état actuel des choses, les effectifs permettent d’assurer un taux d’encadrement qui n’est que de un médecin scolaire pour près de 6 500 élèves, alors que les besoins véritables sont évalués à un médecin pour 3 000 élèves. On compte une assistante sociale pour
2 370 élèves - et je n’ose évoquer le nombre de psychologues scolaires !

Le médecin scolaire, qui est chargé de l’interface entre le milieu médical, le monde scolaire et la famille, peut difficilement, dans une telle situation, remplir ce rôle pourtant fondamental.

Du côté des infirmières, dont tout le monde s’accorde à reconnaître l’importance, la situation a été améliorée, madame la ministre, puisque le budget a créé
110 emplois supplémentaires, mais elle n’en reste pas moins préoccupante.

Enfin, la notion d’équipe médicale, d’application pourtant indispensable, y compris pour prévenir et enrayer les risques de maltraitance, est absente, dans les faits, des établissements scolaires.

C’est parce qu’ils subissent ces manques au quotidien que les enfants ont élaboré la proposition de loi que nous examinons et c’est d’une certaine manière détourner leur proposition de son but initial que de l’amputer de l’un de ses dispositifs essentiels. Ce serait d’ailleurs une singulière manière de les inciter à poursuivre dans la voie de la citoyenneté ! Cela ne signifie pas que nous devrons toujours accepter les propositions faites par les enfants, mais, en l’occurrence, elles sont utiles et raisonnables.

Pour cette raison, nous entendons réintroduire, dans le texte, les propositions initiales des enfants.

La maltraitance, l’augmentation du nombre d’enfants et de jeunes en situation de risques sont des problèmes qui peuvent être mieux maîtrisés, pour peu qu’aux stricts critères de gestion qui prévalent en matière de dépenses publiques on substitue des critères privilégiant l’intérêt général et public.

Dans une période de reprise de la croissance, on ne peut accepter comme une fatalité que le qualificatif " sinistré ", pour reprendre une expression de
M. le rapporteur, soit accolé à la médecine scolaire.

Enfin, je ne partage pas l’analyse de notre rapporteur lorsqu’il s’interroge sur sa valeur normative de la présente proposition de
loi ; je la partage d’autant moins que ce sont des amendements qui la diminuent !

Tel était le message des enfants et de leur Parlement ; tel est le message que, respectueusement, nous nous devons d’entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)

Explication de vote

Nous voterons bien sûr ce texte, tout en regrettant que notre amendement n’ait pas été adopté. Cependant, j’ai bien noté, madame la ministre, les efforts que vous voulez faire pour la médecine scolaire. Je souhaite qu’ils se concrétisent très rapidement par l’inscription de crédits supplémentaires au budget de l’éducation nationale.

Hélène Luc

Sénatrice du Val-de-Marne
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