Maltraitance envers les personnes handicapées

Publié le 12 décembre 2002 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Guy Fischer

Monsieur le Président,
Mes Chers-(ères) Collègues,

La proposition de résolution qui nous est soumise ici ambitionne de constituer une commission d’enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et sur les moyens de la prévenir. Elle se propose d’en mesurer l’ampleur et d’évaluer l’efficacité des moyens publics de son contrôle et de sa sanction.

De toute évidence, cette proposition répond à une attente de nos concitoyens. La récente affaire des disparus de l’Yonne a révélé combien l’absence d’attention des autorités compétentes pouvait générer d’effroyables drames.

Cette affaire n’est d’ailleurs pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Relatées dans les quotidiens, les pratiques de maltraitance envers les franges de la population les plus vulnérables émergent de l’anonymat. Elles sont de plus en plus nombreuses et les témoignages proviennent de tout l’hexagone.

Nous devons à nos concitoyens de faire la lumière sur ces agissements et de contribuer à ce qu’ils ne se reproduisent plus jamais. Tout comme nous devons aussi aux personnels des établissements qui accueillent ces personnes handicapées de lever le voile de suspicion qui s’abat sur leur travail et leur personne, alors même qu’ils exécutent très majoritairement leur mission avec force conscience.

Il n’est donc pas incohérent pour le groupe CRC d’abonder dans le sens de la proposition de résolution de notre collègue, dans la mesure où, dans son principe, elle cherche à éclairer une situation par la mesure, la prévention, et le contrôle des agissements inqualifiables envers cette catégorie de la population.

Un des moyens réside effectivement dans la constitution d’une information préalable à toute analyse de la situation. La relative faiblesse de l’information disponible sur le sujet empêche aujourd’hui toute mesure ciblée et d’envergure des pouvoirs publics à l’encontre des fautifs.

Si en 2001, seulement 151 affaires de maltraitance de personnes handicapées sont parvenues au Ministère des affaires sociales par l’intermédiaire des Directions départementales de l’action sanitaire et sociale, les associations estiment leur nombre a plusieurs centaines par an. Affaires, au demeurant, qui restent pour la majorité d’entre elles non résolues ou qui sont classées, au détriment des victimes.

A cet égard, nous ne pouvons donc qu’encourager la commission d’enquête à constituer un observatoire des maltraitances de personnes handicapées.

Toutefois, et notre collègue le rappelle à juste titre, la loi du 2-01-2002 visant à rénover l’action sociale et médico-sociale a donné les moyens aux pouvoirs publics d’intervenir avec fermeté contre les responsables d’actes de maltraitance afin de restaurer la dignité des personnes victimes de maltraitances.

En effet, les articles 6 et 7 de la loi affirment le droit des personnes au travers de la Charte déontologique nationale. Les articles 38 et suivants définissent les conditions de contrôle de ces établissements pouvant aller jusqu’à leur fermeture ordonnée par le représentant de l’Etat, accompagnée de sanctions pénales à l’encontre des responsables. Et par son article 48, cette loi prévoit de protéger les salariés dénonçant des faits de maltraitance, notamment par réintégration des salariés licenciés. L’arsenal juridique a disposition permet donc largement aux Pouvoirs publics d’intervenir efficacement en cas de maltraitance de personnes handicapées.

Alors pourquoi les autorités compétentes n’appliquent-elles pas la loi ?

En fait, il semble que la réponse à cette question soit sur le fond d’une autre nature que la simple confusion des compétences entre Etat et collectivités territoriales ou que l’inaction présumée des services nationaux et départementaux de contrôle des établissements sociaux et médicico-sociaux. Il nous semble que la réponse à cette question réside plutôt dans la configuration générale de la politique nationale de traitement du handicap.

Dès lors, il n’est pas incohérent non plus, compte tenu de la gravité du sujet, de s’attarder plus longuement sur les enjeux qui doivent sous-tendre la démarche de la commission d’enquête.

Il est indéniable qu’il faut évaluer l’efficacité du dispositif de veille, de prévention et de contrôle de la maltraitance, pour définir avec pertinence les dispositions à mettre en œuvre pour éradiquer ce fléau.

Mais, si l’on recherche les conditions d’une action efficace en faveur des personnes handicapées, il est surtout nécessaire de porter préalablement l’effort de réflexion sur ce que l’on doit apprécier au travers de la notion de maltraitance des personnes handicapées et de son périmètre d’effectivité.

Pour le sens commun, la première approche de la maltraitance est celle de la violence qui s’étale le plus souvent et le plus visiblement dans les quotidiens. Particulièrement odieuses parce qu’elles s’attaquent à des personnes le plus souvent dans l’incapacité de s’opposer à cette violence, violences physiques et violences psychiques sont les deux formes de la maltraitance des personnes handicapées qui apparaissent le plus souvent aux yeux de nos concitoyens. Et il est évidemment fondamental de pouvoir intervenir efficacement dans les plus brefs délais face à ce genre de maltraitances.

Mais, bien que plus médiatisées que les autres formes de maltraitances, ces violences ne sont ni les plus importantes, ni les plus nombreuses. La raison essentielle à cela tient tout entière dans la définition de la maltraitance.

En effet, si la maltraitance est synonyme de violences, elle est aussi synonyme de "non-traitance". A savoir, synonyme de la non application des traitements, des soins et des attentions nécessaires à la prise en charge et à l’épanouissement de la personne atteinte de handicaps. Or interroger la maltraitance sous cet angle renvoie à une autre lecture de sujet.

Une lecture complémentaire bien entendu, mais une lecture différente, qui interroge la cause de la maltraitance au travers du désengagement progressif de l’Etat de la question du handicap dans la société. Et ce, malgré les quelques initiatives nationales ou locales, réussies par ailleurs. Rappelons encore une fois, que la part de l’effort de la Nation en direction du handicap a chuté de 2,1 à 1,7 points du PIB entre 1985 et 2001.

Or ce désengagement progressif de l’Etat conduit à la contraction des financements destinés au fonctionnement de ces établissements sociaux et médico-sociaux.

Dans les faits, cette attitude purement comptable conduit à la révision à la baisse quasi systématique des propositions de budgets faites par les établissements sociaux et médico-sociaux. Très concrètement, cela peut se traduire par l’impossibilité d’assurer les missions les plus élémentaires en direction des personnes handicapées.

Comme par exemple, le fait de ne pas avoir les moyens d’acquérir les lits adaptés aux personnes lourdement handicapées, de ne pas avoir les moyens de rénover les locaux sanitaires afin de les adapter au nombre et aux pathologies des pensionnaires. Ou encore, comme le fait de ne pas avoir les moyens d’embaucher du personnel qualifié capable de réagir en adéquation avec les besoins des personnes handicapées, de s’engager dans une politique de formation du personnel appropriée aux tâches réelles exécutées en établissement ou de développer une véritable gestion des ressources humaines au sein de ces établissements.

Prenons le cas du célèbre foyer Saint Nicolas de Villeneuve-sur-Yonne. Pour lui, l’application de cette stratégie comptable s’est traduite en 1999 par un budget global amputé de 0,107 millions d’euros, par l’impossibilité de rémunérer un médecin au-delà de 9 heures par semaine alors que sa présence est requise en permanence pour tous les patients. Elle s’est traduite en 2000, face à l’affluence des demandes d’inscription, par l’augmentation du nombre de lits ouverts mais à budget constant ! Dans ces conditions, comment parvenir à assumer la charge de travail dans de bonnes conditions pour les personnels et les personnes handicapées ?

La presse en a suffisamment fait état. Les exemples sont légions qui montrent les conséquences désastreuses d’une politique de restriction budgétaire sur l’ensemble du fonctionnement des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

Pour autant, loin de moi l’idée d’excuser des faits avérés et injustifiables. Mais ce constat permet simplement de comprendre les raisons du climat délétère qui peut régner dans ces établissements, et ses effets sur les personnels et les patients. Il confirme les réclamations des associations : "l’absence de moyens suffisants alloués aux établissements explique l’essentiel des dérapages de la profession".

Mais il n’est pas non plus dans mon intention d’impliquer de façon démesurée la responsabilité des Directions départementales de l’action sanitaire et sociale dans ce constat. Empêtrées dans les contradictions comptables, les DDASS allouent aux établissements les financements en fonction des moyens dont elles disposent. Moyens qui, de toute façon, ne couvrent pas l’ampleur des besoins des personnes handicapées.

Sur le fond, l’analyse de la maltraitance sous l’angle de la non-traitance révèle l’absence d’une véritable volonté politique nationale de s’occuper du handicap. Au-delà des déclarations présidentielles, au demeurant fort instructives, un réel engagement en direction des personnes handicapées, un réel engagement contre toutes les maltraitances qu’elles subissent, implique de s’atteler véritablement à cette tâche.

Or, là encore, la commission d’enquête, en restreignant son champ d’investigation, restreint par la même occasion la possibilité d’apporter sa contribution. En effet, s’engager dans la voie d’une grande politique nationale du handicap suppose aussi de réfléchir la notion de maltraitance au-delà de seul périmètre de l’institution sociale et médico-sociale.

Malheureusement, cette dimension qui touche à la maltraitance des personnes handicapées, la commission d’enquête n’envisage pas de la traiter. Pourtant, si cette dernière veut apporter des éléments de réponse à cette maltraitance, elle devrait aussi se donner les moyens de son ambition.

Voilà donc les motifs qui conduisent le groupe CRC a soutenir la création de la commission d’enquête proposée par la proposition de résolution. Mais voilà aussi quelques unes de ses insuffisances qui mériteraient d’être retravaillées dans l’intérêt des personnes handicapées et dans l’objectif du grand chantier gouvernemental prévu pour 2003.

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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