Lutte contre les drogues illicites

Publié le 12 décembre 2002 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Guy Fischer

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Il est tout à fait souhaitable qu’un grand débat parlementaire ait lieu sur la question de l’usage des produits psychoactifs.

En effet, l’usage et les modes de consommation de drogues ont bien évolué depuis la loi sur la toxicomanie du 31 décembre 1970, évolution constatée également au niveau des connaissances en matière d’action des drogues au niveau du cerveau et de leur dangerosité.

Si cette loi a été pensée dans un aspect plutôt répressif afin d’éradiquer le phénomène, il faut néanmoins constater qu’elle n’a pas atteint l’objectif qu’elle s’était fixé, l’action répressive n’étant pas la seule à mener.
Or, j’observe que notre commission entend se consacrer uniquement à la lutte contre les drogues illicites. Notre arsenal juridique et répressif en la matière serait-il à ce point insuffisant ?

Entre parenthèse, la commission d’enquête n’envisage pas d’intervenir sur la lutte contre les trafics, ni contre le blanchiment de l’argent de la drogue. Derrière la lutte contre les drogues illicites, n’y a-t-il pas en fait une volonté implicite de renforcer la lutte contre les usagers ? Je referme cette parenthèse.

Vous n’êtes pas sans savoir, mes chers collègues, qu’il existe en France une Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et les Toxicomanies.

Jusqu’à présent, la politique de la France, portée par la MILDT, est de lutter contre toutes les drogues, qu’elles soient licites ou illicites. Pour ces raisons, la MILDT s’est dotée d’outils permettant d’avoir une meilleure connaissance de la question afin de pouvoir sortir du champ de l’idéologie pour s’appuyer sur celui de la connaissance scientifique.
Or, vous balayez ce travail d’un revers de main !

Vous mettez sur le même plan le consommateur, plutôt un jeune, pratiquant la « fumette », et l’« accro », devant trouver 300 euros par jours pour satisfaire sa dépendance. Ces deux situations ne demandent pas pourtant les mêmes réponses sociales !

Cet amalgame ne correspond pas à la réalité. S’il y a aujourd’hui en France un jeune sur deux qui a expérimenté le cannabis, il y a 150 000 personnes dépendantes à l’héroïne, dont plus de la moitié qui sont d’ailleurs dans un programme de substitution.

Vous parlez, mes chers collègues, de « drogues dures » et de « drogues douces ». Je tiens à vous rappeler que l’approche du plan triennal de la MILDT adopté le 17 juin 1999 ne classe plus les produits ainsi. La MILDT a élargi le champ des drogues à l’ensemble des produits psychoactifs. Le fait de les classer en drogues licites ou illicites dépend de la seule volonté du législateur de les répertorier ainsi.

Or, cette approche n’a jusqu’à présent jamais été remise en cause.

C’est justement un des mérites de la MILDT -que reconnaît lui-même le nouveau président Didier Jayle- que d’avoir eu comme priorité de sortir la drogue du débat idéologique en améliorant l’état des connaissances scientifiques et en mettant ces connaissances à la disposition de tous.

La création, en 1992, de l’Office français des drogues et des toxicomanies avait précisément cette vocation. L’OFDT possède aujourd’hui toutes les données scientifiques sur le sujet, que l’on peut aisément se procurer.

De nombreux travaux ont été réalisés ces dernières années, qui ont pu enrichir notre connaissance, notamment les rapports des professeurs Roques et Parquet, mais également trois expertises collectives menées par l’INSERM : une sur l’alcool et ses effets sur la santé parue en septembre 2001 à la demande de la MILDT, de la CNAM et du CFES ; une sur les dangers du cannabis rendue publique en novembre 2001 ; une dernière sur les risques sociaux liés à l’usage de l’alcool va être rendue publique dans les semaines qui viennent.

Vous demandez une évaluation sur des politiques publiques mais je vous rappelle que la Cour des comptes a rendu un rapport sur le sujet en 1998 et qu’elle vient de rendre un rapport de suivi en février 2002. J’ajoute que dans son plan triennal, la MILDT a demandé à l’OFDT d’évaluer la politique publique sur le sujet et que cette évaluation est en cours.

Je crains que votre demande de commission d’enquête n’émane d’une démarche politique et idéologique, sans aucun socle scientifique sérieux venant nourrir cette demande.

Vous abordez furtivement le problème de l’alcool et du tabac, et des décès qu’ils engendrent (45 000 et 60 000 morts par an), puisque vous dissociez ce qui est licite de ce qui ne l’est pas.

Cette façon de raisonner est erronée pour plusieurs raisons : beaucoup de toxicomanes, aujourd’hui, s’intoxiquent à partir de produits légaux, tels que l’alcool. Par ailleurs, de nombreuses personnes sont à la fois dépendantes d’une drogue illicite et d’alcool. Il n’est pas rare de voir par exemple un ancien héroïnomane devenir alcoolique après l’arrêt de sa consommation d’héroïne. Ne mérite-t-il pas, à ce titre, le même suivi médico-social ?

Cette distinction mal appropriée entre produits licites et illicites pose aussi des limites en matière de prévention.

Ainsi, l’expérience nous montre que les toxicomanes consommant des drogues illicites sont souvent des personnes ayant ressenties leurs premières sensations d’ivresse à partir d’abus de boissons alcoolisées.

Par ailleurs, le rapport du professeur Roques, que j’ai déjà cité, et qui étudie aussi la dangerosité des produits, montre que certains produits licites présentent une dangerosité plus importante pour l’organisme que certains produits illicites.

Cette complexité fait qu’aujourd’hui la gravité de la consommation de produits doit être évaluée bien plus à partir du comportement de consommation d’un sujet (usage réglé, usage à risque ou abusif, dépendance), qu’à partir du type de produit utilisé par celui-ci.

Or, c’est le contraire que vous proposez d’étudier au travers de votre commission d’enquête !

Parce qu’il n’y a pas d’usage de produits psychoactifs licite ou illicite sans risque de dérapage, il est nécessaire que la collectivité pose des limites à cet usage. Mais ces limites doivent être posées en fonction d’une réalité sociale, et non en fonction d’une certaine idéologie, comme nous le craignons.

Toutefois, ce qui est le plus surprenant, c’est que vous-même, Monsieur le Président de la Commission des Affaires Sociales vous semblez vous désolidariser de vos collègues Messieurs Plasait et de Raincourt à la lecture de l’exposé des motifs, marqué idéologiquement et socialement, puisque celui-ci commence par évoquer « la France et la drogue » en citant « les jeunes dealers de banlieue parisienne ». Est-ce à dire qu’il n’y a pas de dealers ailleurs ? Il est ainsi troublant de noter dans cet argumentaire que la drogue en banlieue est représentée par les dealers, mais que la drogue à Paris est incarnée par l’intelligentsia !

Nous allons donc être particulièrement attentifs au débat afin de connaître vos intentions réelles en matière de lutte contre la toxicomanie.

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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